Colonel brigadier Roger Masson (1894-1967)

1936, Adolf Hitler a pris le pouvoir à Berlin depuis trois ans. La défense nationale suisse est réduite à sa plus simple expression car, depuis 1918, la politique fédérale a consisté à diminuer chaque année les crédits consacrés à l’Armée. Maintenant que l’existence même de la Suisse est en jeu, et sous l’impulsion d’un chef du Département militaire fédéral, Rudolf Minger, le pays se réveille et les antimilitaristes baissent pavillon. Cependant, un temps précieux a été perdu : il faut le regagner. Il importe en premier lieu de mettre le pays à l’abri de toute surprise. C’est alors que le lieutenant colonel EMG Roger Masson est appelé à Berne où le chef de l’Etat-major général le charge de développer un Service de renseignements qui n’existe que sur le papier. Quand il prend ses fonctions, Masson ne trouve, en tout et pour tout, que quelques cartons remplis de coupures de presse et un secrétaire d’état-major. Dès lors, Roger Masson, rédacteur de la RMS depuis 1931, est jour et nuit sur la brèche. Il ne connaît plus ni loisirs, ni vie de famille. Il n’agit que dans un seul but : déceler à temps les menaces qui planent sur la Suisse.

Aux journalistes qui l’interrogent en août 1939, le conseiller fédéral Giuseppe Motta, profondément attaché à la paix, dit sa conviction que celle-ci pourra être sauvée. Le colonel Masson est d’un autre avis. Quand le Conseil fédéral décide de mobiliser la couverture frontière et de convoquer l’Assemblée fédérale pour désigner le Général, même si les hostilités n’ont pas encore commencé, chacun comprend en Suisse que cette mesure n’a rien de déplacé. Bien avant le 10 mai 1940, Masson prévient le Général que le Führer va attaquer à l’Ouest. Les mois passent. Le 1er mars 1942, Roger Masson est nommé sous-chef d’état-major de l’Armée avec le grade de colonel brigadier. D’heure en heure, le Service de renseignement, son chef, ses officiers et ses agents suivent à la piste, parfois à des milliers de kilomètres de nos frontières, chacune des Grandes Unités de la Wehrmacht et de la Luftwaffe, afin de déceler les intentions de l’Oberkommando der Wehrmacht. Roger Masson n’abandonne pas pour autant ses fonctions à la tête de la RMS, bien que, depuis de longues années, il n’a pas pris un seul jour de repos. Il dirige, non seulement le SR stratégique et le service de sécurité, mais encore le service territorial, c’est-à-dire plus de 100’000 officiers, sous-officiers et soldats.

C’est à lui qu’incombent les missions les plus délicates, les plus ingrates, y compris celles dont le pouvoir politique ne veut pas se charger. C’est, pour lui, le début d’une période difficile entre toutes. Parce que sa conscience lui commande d’agir ainsi dans le seul intérêt du pays, il accepte même de se rendre en civil en territoire allemand pour y rencontrer le général SS Walter Schellenberg. Roger Masson s’est voué corps et âme à son activité, sacrifiant sa vie de famille et compromettant sa santé, ne prenant jamais de vacances. Depuis 1943, il doit souvent s’absenter de son poste, car il souffre de problèmes de coeur et se voit prescrire de séjours dans des établissements thermaux. Sa vue se détériore sérieusement…

Il n’empêche que, dans les coulisses, ses adversaires se préparent… En 1945, à l’heure où le Général pénètre en grande tenue sous la coupole du Palais fédéral pour recevoir l’hommage qui lui est dû, Roger Masson doit répondre à la convocation d’un colonel de la justice militaire ! C’est le début de ce qu’on va appeler « l’affaire Masson ». Mis prématurément à la retraite en 1948, il poursuit, avec une opiniâtreté exemplaire, sa tâche à la tête de la RMS. Dès 1947, il ne peut plus lire qu’avec l’aide d’une loupe et il est incapable d’étudier une carte. Seule la mort, le 19 octobre 1967, l’empêche de la continuer, le surprenant à l’âge de 73 ans. Dans la RMS, le colonel EMG Georges Rapp rappelle avec une concision toute militaire qu’« après la fin des hostilités, l’ingratitude des républiques devait atteindre à son égard une consternante ampleur (…) » et que Roger Masson est retourné à la vie civile, la tête haute mais le cœur amer…

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