Vincent Groizeleau, Mer & Marine
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Jadis souveraine sur les mers, troisième flotte mondiale dans les années 90, la marine britannique subit aujourd'hui, de plein fouet, les restrictions budgétaires consécutives à la coûteuse campagne d'Irak. La situation semble si désastreuse que, depuis trois semaines, la presse anglaise a cru bon de tirer la sonnette d'alarme.
Selon les journaux (notamment le Daily Telegraph et le Sunday Times), le gouvernement Blair souhaiterait encore économiser près de 400 millions d'euros sur le budget de la Défense. La Royal Navy, déjà contrainte de réduire ses forces, préparerait le retrait de six destroyers et frégates, tout en reconnaissant que treize autres bâtiments sont, si ce n'est en réserve, du moins peu opérationnels.
Le format de la flotte est aujourd'hui des plus limités, au regard des intérêts historiques et stratégiques de la Grande Bretagne. A la fin de la guerre froide, en 1989, la flotte anglaise représentait 589.000 tonnes, dont 153 bâtiments de combat, chacun d'un tonnage supérieur à 2000 tonnes. Au 1er janvier 2006, ce chiffre était tombé à 470.500 tonnes (le gros du tonnage étant assuré par les navires de soutien), dont seulement 63 bâtiments de combat hauturiers. Enfin, de nouvelles réductions d'effectifs se profilent à l'horizon.
Retraits anticipés
La Royal Navy fait bel et bien pâle figure. En 15 ans, ses effectifs sont passés de 56.000 à 32.000 personnels, soit moins que ceux de la Marine nationale, et pourraient encore décroître de façon significative, selon les sources ministérielles citées dans la presse. Le nombre de porte-aéronefs est passé, l'été dernier, de trois à deux, avec la mise en réserve du HMS Invincible. L'Ark Royal servant de porte-hélicoptères d'assaut, pendant l'arrêt technique majeur de l'Ocean, Londres ne dispose même plus que d'un « carrier » à proprement parler. Du côté des sous-marins, outre les quatre SNLE, la marine de sa majesté n'aligne que 9 sous-marins nucléaires d'attaque, contre 12 en 1991, époque à laquelle elle comptait en outre une douzaine de submersibles à propulsion diesel. Quant aux deux derniers SNA du type Swiftsure, les Superb et Sceptre, ceux-ci doivent être désarmés en 2008 et 2010.
La situation des forces d'escorte n'est guère meilleure. Réduits de 13 à 8, les destroyers lance-missiles vieillissent (livrés entre 1980 et 1985), leur principal système d'armes, le Sea Dart, accusant lui aussi son âge. En 2009, le nombre de DLM pourrait tomber à seulement six, le retrait des Exeter et Liverpool étant programmé. Concernant les frégates, aucune solution de remplacement n'est encore arrêtée pour les quatre dernières Type 22 (dont une a été affectée à la formation des cadets), le programme Future Surface Combattant ayant été ajourné en 2004, faute de crédits. Les FSC, prévues à 20 exemplaires, devaient également remplacer les 16 frégates de la classe Duke (type 23). Bien que relativement récentes, trois d'entre-elles ont été vendues l'an passé au Chili. Au Royaume Uni, les échos les plus pessimistes évoquent une nouvelle réduction des forces d'escorte. Comptant 60 unités fin 1988, elles passeraient de 25 actuellement à seulement 19 dans les toutes prochaines années. Une autre type 23 pourrait être vendue et un certain nombre de nouveaux bâtiments abandonnés.
Coupes sombres dans les programmes de renouvellement
Si la situation des forces en service n'a rien de brillante, les perspectives d'avenir ne sont que peu rassurantes pour les marins anglais. Pour certains officiers supérieurs, dont les propos sont repris par les journaux, les conséquences de la guerre en Irak tournent au scénario catastrophe. Ainsi, les Britanniques, contraints d'appeler les industriels américains à la rescousse, rencontrent les pires difficultés pour achever les trois nouveaux SNA du type Astute, dont le coût aurait littéralement explosé, passant de 2 à 4 milliards de Livres. La commande des trois suivants, prévue en 2006, est désormais plus qu'incertaine, bien que les 2 derniers SNA du type Swiftsure seront désarmés d'ici 2010 et les 7 Trafalgar à partir de 2008. Du côté des sous-marins stratégiques, le gouvernement Blair a décidé, le mois dernier, de remplacer les quatre Vanguard par trois ou quatre nouveaux SNLE. Pour financer ce programme colossal, dont le coût est estimé à 30 milliards d'euros, des lignes budgétaires devront être dégagées.
En ce qui concerne la flotte de surface, la houle est sévère. Alors qu'aucun projet ne voit le jour pour remplacer les 17 frégates, la flottille des nouveaux destroyers lance-missiles du type 45, variante britannique des Horizon, devrait être vraisemblablement réduite de 8 à 6 unités (12 initialement). Pire, selon le site britannique Navy Matters, très au fait de ces questions, l'hypothèse de la vente des cinquième et sixième destroyers (Defender et Duncan), par exemple à l'Arabie Saoudite, serait envisagée. Pour mémoire les quatre premiers bâtiments, actuellement en construction chez BAE Systems, dépassent l'enveloppe budgétaire de plusieurs centaines de millions d'euros et accusent du retard. De plus, la tête de série, le HMS Daring, initialement prévue en mai 2007, ne sera pas livrée avant décembre 2009, en raison semble-t-il de problèmes de mise au point du radar Sampson et du Principal Anti Air Missiles System (PAAMS), étudié en coopération avec la France et l'Italie.
Les porte-avions prennent l'eau ?
Les sous-marins, destroyers et frégates ne sont pas les seuls à affronter la tempête des économies. La flotte amphibie est également en première ligne. L'industrie britannique, très dispersée, non restructurée comme en Allemagne ou en France et ayant perdu nombre de compétences ces dernières années, semble incapable de tenir les délais et les coûts des programmes. A l'instar des sous-marins et destroyers, les transports de chalands de débarquement auxiliaires du type Bay en sont un exemple flagrant. Les deux premiers, construits par Swan Hunter à Wallsend, ont un an de retard et leur prix aurait doublé. L'annulation de la commande d'une cinquième unité, plus que probable, pourrait s'accompagner d'une autre mauvaise nouvelle : la mise en réserve de l'un des deux transports de chalands de débarquement du type Albion, livrés en 2003 et 2005, serait à l'étude. Pour les journaux britanniques, Londres pourrait décider d'abandonner l'une des principales missions de sa marine, la projection de forces.
Au beau milieu de cette tempête, la question de l'avenir des deux futurs porte-avions (CVF), les Queen Elizabeth et Prince of Wales, se pose plus que jamais. Initié en 1998, ce programme ne cesse d'être retardé. Prévu fin octobre 2006, la « main gate », équivalent du dossier de lancement et de réalisation a, ainsi, été reportée. Les industriels réclameraient un budget de 3.8 milliards de Livres (5.7 milliards d'euros), jugé trop cher par le ministère de la Défense britannique. Un autre facteur aggravant, apparu l'année dernière, pourrait avoir des incidences négatives sur le projet des CVF. De sources américaines, Londres envisagerait de n'acheter que 138 avions de combat JSF, au lieu de 150. La version à décollage court et appontage vertical, le F 35B, serait menacée. Les quatre flottilles devant équiper les futurs porte-avions ne pourraient recevoir que 9 appareils chacune, au lieu de 12. L'ensemble, compte tenu des arrêts techniques, ne fournirait même pas le parc aérien complet d'un navire, fixé à 36 avions.
Quant à la France, engagée auprès de la Grande-Bretagne afin de réaliser un troisième porte-avions en coopération, ces incertitudes sont des plus problématiques, à quelques mois de la présidentielle. Au moment où la mer se trouve plus que jamais au coeur des enjeux et rivalités internationales, l'Elysée juge indispensable de redonner à la France un second porte-avions, conférant la capacité d'intervenir en permanence, à l'autre bout du monde, pour défendre les intérêts du pays. Entre volonté politique, image d'une sanctuarisation européenne et réalisme économique aussi bien qu'opérationnel, des choix devront être faits, et de manière diligente.
Vincent Groizeleau, du site Mer & Marine
La RMS remercie Mer & Marine pour avoir promptement autorisé la reprise intégrale de cet article.