Pierre M. Gallois
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Les Américains devraient admettre qu’il est très difficile de se fier aux gouvernements des pays islamiques et, davantage encore, de se concilier les bonnes grâce de leurs populations qui accordent à la religion la place prépondérante, ont le sentiment de détenir des richesses indispensables au reste du monde et la volonté d’en tirer tout le profit. Autant d'incitations à s'opposer aux desseins des Etats-Unis et, plus généralement, de tous ceux qui partagent leurs conceptions de la société des hommes. La démocratie n'a aucun attrait pour des peuples dont le Coran définit le sens de l'existence et le code de vie. Elles n’y aspirent guère, leurs lois étant d'un autre ordre. D'où le fiasco de la croisade islamo-pétrolière. En revanche, les mêmes analystes pourraient constater – il semble même qu’ils l’aient fait – que l’ex-Empire soviétique offre pour les Etats-Unis un champ d’action prometteur1.
L'athéisme soviétique y a détruit une part de sa spécificité et les populations s’y montrent moins insensibles aux attraits de la démocratie qu'ils tiennent, en général, pour une heureuse alternative à l'autocratie. Il y a là un potentiel d'interventions à exploiter avec de meilleures chances de succès, cela en usant de l'atout «Démocratie». Une campagne de dénigrement – «Pas assez de démocratie», «Droits de l'homme pas respectés» - vise à rallier l’opinion à cette offensive contre la Russie. Cette campagne est en cours et les média occidentaux ont trouvé profit à la mener bon train.
La Communauté des Etats indépendants (CEI) a été créée en décembre 1991, la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine proclamant la fin de l'Union soviétique et, implicitement, la fin de l'économie planifiée. Ainsi, naissait un nouveau pôle de puissance sanctionnant l'échec communiste, apparemment tourné vers les formules politiques et économiques de l'Occident.
Mais, dans le même temps, la CEI pouvait devenir un rival. Son vaste territoire recèle des ressources nécessaires au développement de peuples également capables, un jour, de tenir tête aux Etats-Unis, il importait donc de limiter sa liberté d’action. Aussi, vue de Washington, la Russie peut-elle être caractérisée comme suit:
- Elle occupe le plus vaste des territoires relevant d'une seule autorité, 17 millions de kilomètres carrés, soit près du double de l'étendue, respectivement, du Canada, de la Chine ou des Etats-Unis.
- La Russie a été le siège de l'application du marxisme-léninisme. Elle a occupé militairement l'Europe centrale qu’elle avait libérée du joug allemand. Elle a entretenu la guerre froide durant près d'un demi siècle… Le passé pèse encore sur les relations américano-russes.
- La Sibérie détient d'importantes ressources en espace et, surtout, en matières premières non inventoriées. En dépit des distances et du climat, la technique permettra demain de les exploiter. Le développement de ses voisins, moins bien pourvus, en dépend.
- Après la difficile phase de transition conduite par Gorbatchev et par Eltsine, le Kremlin s'efforce de re-nationaliser les grandes entreprises du pays, afin qu'elles servent d'abord l'intérêt national. A l'extérieur, la démarche n'est guère appréciée, particulièrement aux Etats-Unis.
- Durant encore un demi-siècle, l’économie russe sera, pour une large part, fondée sur l'extraction et la commercialisation de l’énergie fossile. Après il faudra s'accommoder de l’épuisement de cette énergie.
Aussi peut-il apparaître opportun, outre-atlantique, de détacher de la Russie les anciennes possessions de l'Union soviétique, riches en matières premières d'un autre ordre, afin de freiner l'économie de ce pays. D'où la pénétration politique et militaire dans les républiques musulmanes d'Asie centrale, entre la Caspienne et la Chine. Une pénétration d'autant plus avantageuse qu'elle sert les Etats-Unis à la fois face à la Russie et face à la Chine voisine, demain leur principale rivale.
Les camps d'entraînement au terrorisme des Talibans ont justifié les bombardements de l'Afghanistan et l'occupation de son territoire par les forces armées américaines et alliées, mais elles ont également légitimé l'implantation de bases américaines en Ouzbékistan, au Kirghizstan et au Tadjikistan, avec l'accord de Moscou. Engagé, lui aussi, dans la lutte contre les terroristes, il ne pouvait refuser l'assistance demandée par Washington.
L'installation de contingents militaires étrangers, surtout si elle a lieu à grande distance de la mère-patrie, est généralement accompagnée ou suivie de la venue d'organisations non gouvernementales affichant des fonctions caritatives ou culturelles, voire d'aide matérielle aux populations locales. Ces ONG se réfèrent tout naturellement à leur système politico-social. En l'occurrence, elles vantent les mérites de la démocratie, de la liberté, du respect des droits de l'homme. Elles rallient les suffrages des jeunes, des étudiants, des sans-emplois, mobilisent une fraction de la population en lui laissant entrevoir d'autres perspectives que celles que lui offre l'autocratie dont elle dépend. Lorsqu'il y a élection, les ONG interviennent en sous-main, les fraudes électorales étant aussitôt sanctionnées par l'insurrection.
Ethniquement et politiquement instable, la région a une grande importance stratégique. Elle se trouve aux confins de l'Afghanistan, de la Chine, du Pakistan, de pays de l'Islam et du monde slave, de surcroît non loin de la Caspienne et de ses réserves énergétiques.
Tadjikistan, Ouzbékistan, Bachkortostan & Cie
En 1993, le Tadjikistan était déjà en guerre civile; il s’était proclamé indépendant en septembre 1991, avait adhéré à la CEI mais, à la différence des présidents des autres anciennes républiques soviétiques qui avaient rompu avec le parti communiste, le dirigeant tardjik lui est resté fidèle. Résultats: 100000 morts et 500000 malheureux fuyant la répression. Depuis, l'exemple géorgien (Révolution des roses), ukrainien (Révolution orange) aidant, la contestation populaire s'est étendue à l'Asie méridionale du centre et, le 24 mars 2005, les révoltés ont mis en fuite le président Askar Akaiev du Kirghistan (Révolution des tulipes). Il payait la fraude électorale, la corruption, le chômage…
Ayant soutenu l'insurrection, les Etats-Unis placent le Tadjikistan sous leur influence s’empressent d'y voir une «nouvelle victoire de sa campagne pour la liberté et la démocratie». La Russie maintient ses bases militaires non loin de celles des Etats-Unis, les deux pays affichant une neutralité de façade. Pour la Chine la Révolution des tulipes est une position stratégique à sa frontière enlevée par l'unique superpuissance du moment, un avantage pour elle lors du grand affrontement dans futur. Pékin, rappelons-le, a créé le Groupe de Shanghai - dont le Kirghzistan est membre - pour lutter contre le terrorisme islamique et le séparatisme des Ouïgours du Xinjiang, province chinoise.
Deux mois plus tard, le 13 mai, «la campagne pour la liberté» enflamme l'Ouzbékistan, du moins sa vallée du Ferghana. Paradoxalement, c'est le régime du président Islam Karimovl, fidèle allié des Etats-Unis et ardent persécuteur du terrorisme islamique, qui est en cause. Réagissant aux violences des services secrets ouzbeks, les manifestants se sont emparés à Andijan d'un poste de police, d'une caserne, avant de délivrer les prisonniers enfermés dans les geôles de la Sécurité, de s'attaquer au QG de la police et aux bâtiments de l'administration. La répression est violente et meurtrière: l’armée intervient faisant plus de 3000 victimes, dont près d’un millier de morts. Des centaines d’Ouzbeks cherchent refuge au Kirghzistan voisin.
Cette nouvelle révolution plonge Moscou et Washington dans l'embarras, les deux pays soutenant le régime incriminé, alors que les manifestants cherchent une troisième voie, refusant à la fois celle de Moscou et celle de Washington.
La stratégie des Etats-Unis dans cette région du monde se serait-elle retournée contre eux? Quant à la Russie, elle ménage les autorités encore en place mais entre en contact avec les leaders de leurs oppositions respectives afin de ménager l'avenir. En somme, Washington lui cause bien des soucis, l'attaquant à la périphérie et à même à l' intérieur. Les révolutions sont contagieuses, qu'elles soient à la rose, à l'orange ou à la tulipe.
A mille kilomètres seulement de Moscou, la petite République du Bachkortostan est en ébullition. A Oufa, sa capitale, des manifestants protestent contre les pouvoirs excessifs de leur président s'appropriant le pétrole du pays. Cette atteinte à l'unité du CEI est étroitement surveillée outre-atlantique, d'autant qu'ailleurs dans l'ex-Empire du Mal, les exemples géorgiens, ukrainiens, kirghize encouragent les oppositions. C'est le cas au Kazakstan, au Turkménistan et en Azerbaïjan où les Etats-Unis sont déjà intervenus ouvertement.
Les Etats-Unis provoque un réaménagement des rapports de force dans le monde
1. La Russie se tourne vers les gouvernements que les Etats-Unis ont menacés ou qu'ils menacent encore. Fin janvier 2005, à l'invitation du président Poutine, le président syrien, Bachar Al-Assad se rend à Moscou. Accueil chaleureux, retrouvailles, effacement des deux tiers de la dette contractée par la Syrie avec les Soviétiques, si bien que «la coopération traditionnelle dans le domaine technico-militaire sera approfondie», selon le communiqué qui suit la rencontre. Une coopération qui n’est ni du goût de Washington qui mène la vie dure à la Syrie, ni de Tel-Aviv.
2. Vers l’Est, la Russie resserre ses liens économiques et militaires, à la fois avec l'Inde et avec la Chine. Il faut rappeler que, déjà en avril 1991 au lendemain de la première guerre du Golfe, Boris Eltsine a rencontré le président chinois Jiang Zemin et signé avec lui quatorze accords de coopération, la Chine «soutenant l'opposition de Moscou à un élargissement de l'OTAN à l'Est», et Boris Eltsine déclarant vouloir «coopérer à la mise au point d'un nouvel ordre mondial». La première guerre d'Irak a associé, à nouveau, Russes et Chinois pour affronter les ambitions américaines. Onze ans plus tard, c’est Vladimir Poutine qui vient à Pékin réclamer le «respect d'un monde multipolaire», dans lequel Washington ne serait pas seul à faire la loi. Plus prosaïquement, le pétrole irakien (50% des approvisionnements de la Chine à l’époque) passant sous le contrôle des Etats-Unis, Moscou et Pékin décident la construction d'un oléoduc pour livrer en Chine, à Daqing, le pétrole de la région sibérienne d'Irkoutsk. Moscou ravitaille également Pékin en armements aériens et maritimes. Même entente avec l'Inde en plein développement industriel, à laquelle Moscou fournit des armements.
3. A l’Ouest, vers l'Union européenne, la Russie doit surmonter l'hostilité des Etats-Unis et la forte influence qu'ils exercent sur la Commission de Bruxelles, celle-ci subordonnant ses accords à la «promotion des droits de l'homme». Néanmoins, l'Union ayant besoin d'énergie fossile, la coopération s’impose, qui s'étend aux transports, aux télécommunications, à l'espace, domaine dans lequel excelle la Russie. Le 10 mai dernier, les entretiens des représentants de l'Union européenne avec les dirigeants russes se terminent par un communiqué où figurent les expressions «confiance, solide amitié, très bons résultats», ce qui n'engage à rien, mais laisse entrevoir une future entente.
4. La présence des Etats-Unis sur une grande partie du monde, commande une réorganisation de celle qui leur échappe encore. C'est ainsi qu'à l'initiative du Brésil est organisé à Brasilia, les 10 et 11 mai 2005, un sommet sud américano-arabe. La stratégie des Etats-Unis, notamment en Irak, y est vivement critiquée par le président vénézuelien Hugo Chavez: «Les Etats-Unis veulent être les maîtres du monde. Ce sommet est une réponse (...) à cette prétention. (…) les forces impérialistes qui occupent l'Irak doivent s'en aller.» Un accord relatif aux échanges entre l'Union douanière sud-américaine et le Conseil de coopération du Golfe (qui comprend les Emirats) est signé. L’Amérique du Sud et une importante fraction du monde arabe s'émancipent ainsi de la tutelle des Etats-Unis, le Venezuela et le Brésil ayant pris les devants.
5. Après des décennies d'antagonisme, deux guerres et une incessante guérilla aux frontières longuement disputées, l'Inde et le Pakistan en sont venus à un processus de paix irréversible. Partagé, même inégalement, l'armement nucléaire a, une fois de plus, accompli son oeuvre pacifique en rendant inconcevable un conflit armé entre deux Etats possédant l'atome militarisé. En avril, le président pakistanais se rend en Inde où sa visite est qualifiée de «triomphale et d'historique». Entre les deux pays la frontière est rouverte, les liaisons ferrées rétablies. Si le différend frontalier n'est pas réglé, il est mis de côté afin que les deux puissances abordent, ensemble, les grands problèmes dont les solutions pourraient bouleverser la scène internationale.
Ainsi la politique américaine a secoué violemment le puzzle mondial et ses morceaux se réarrangent de manière différente, indice d’une nouvelle stabilité et d’un nouveau paysage politique de la planète.
P.M.G.
1 Première partie, voir RMS, novembre-décembre 2005.
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Les commémorations officielles se révèlent parfois aussi significatives que les événements qu'elles célèbrent. Pas aussi décisives, certes, mais cependant riches d'enseignements. Déjà, en 2004, lors du soixantième anniversaire du débarquement en Normandie, la rencontre des chefs d'Etat des ex-belligérants avait accordé au vaincu, le chancelier allemand, une première place tandis que l'un des grands vainqueurs, le président russe, était demeuré dans l'ombre.
Cette fois, pour célébrer le soixantième anniversaire de la victoire sur l'Allemagne, le président Bush a, sans réserve, manifesté sa puissance. Avant de rejoindre Moscou, il avait choisi de faire escale à Riga, en Lettonie, ne ralliant Moscou que le lendemain pour terminer triomphalement son déplacement européen en Géorgie. A Riga, il critiqua Yalta et, surtout, invita les républiques baltes, membres de l'OTAN, à encourager les mouvements séparatistes des provinces aux frontières occidentales de la Russie. D'ailleurs, les gouvernements letton et lituanien se sont déjà rangés aux côtés des indépendantistes ukrainiens lors des élections ukrainiennes et de la Révolution orange. George Bush évoqua aussi «la loi de fer d'un autre empire» et, s’adressant à Moscou, l’avertit avec insistance de «ne pas intervenir dans les jeunes démocraties aux frontières de la Russie».
Ces aménités, peu diplomatiques, n’ont pas empêché le couple Bush de dîner avec Poutine dans leur dacha et d’afficher la plus grande cordialité, bien qu'aux propos tenus à Riga le Président russe ait aussitôt répondit qu’«après les élections présidentielles américaines de 2000, les Etats-Unis n'ont pas de leçon de démocratie à donner». Aux journalistes le porte-parole officiel fit savoir qu'entre les deux hommes la discussion avait porté sur le désarmement nucléaire et l'évacuation par l'Etat d’Israël de la bande de Gaza et que Georges Bush a pris plaisir à conduire une vieille Volga remise à neuf.
Après avoir assisté, sur la place Rouge, à la parade militaire et déjeuné au Kremlin, le Président américain s'envola pour la Géorgie, autre terre de l'ex- Union soviétique, indépendante depuis 1991, où l'accueil fut triomphal. Dès la dislocation de l'Union soviétique, la Géorgie s'était tournée vers l'Ouest. Edouard Chevardnadze au pouvoir à partir de 1992, déclarait que ses «relations avec les Etats-Unis étaient idéales (...) ils nous aident énormément.»
Mais l'oléoduc Bakou - Ceyhan (en Turquie) traverse la Géorgie, celle-ci prend donc une grande importance économique, et Washington avait soutenu l’opposition géorgienne afin d'installer à Tbilissi un allié encore plus sûr. Finançant les mouvements de jeunes protestataires - comme en Serbie et, plus tard, en Ukraine - le Département d'Etat déclenche une Révolution des roses, qui porta au pouvoir Mikhaïl Saakashvili, ancien ministre de la Justice, un irréprochable américanophile. N’a-t-il pas été étudiant à l'Université Columbia de New-York?
Le nouveau Gouvernement était prêt à accepter l’OTAN sur les deux bases russes héritées de l’Union soviétique, après avoir refusé d'aider Moscou dans sa guerre en Tchétchénie. Le Kremlin, de son côté soutient la république d'Abkhazie qui s’est déclarée indépendante de la Géorgie. Aussi, sollicitant le soutien de Washington contre Moscou, Tbilissi a-t-il envoyé 800 des siens combattre en Irak.
Plus de 100000 Géorgiens ont envahi le Square de la liberté pour écouter et applaudir le Président des Etats-Unis lorsque celui-ci déclara: «Nous vivons des temps historiques, la liberté avançant de la mer Noire à la Caspienne, au Golfe persique et au-delà.» Il termina son discours par «Gloire à la Géorgie», prononcé en géorgien. Cette visite a été assortie d'un don supplémentaire de 200 millions de dollars, destinés à compenser la perte d'activité économique due au départ des contingents russes.
Moscou a été prévenu. A la fin du mois d’avril, Condollezza Rice s’était entretenue à Moscou avec le président Poutine et avec Sergueï Lavrov, ministre de la Défense, de la prochaine visite du Président américain. Elle s’est ensuite rendue à Vilnius, en Lituanie, pour participer à une conférence OTAN-Russie. C'est là, qu'aussi désinvolte que son Président, rencontrant des opposants au régime de Biélorussie elle les a encouragés à renverser un pouvoir jugé trop proche de Moscou. «La Biélorussie est la dernière dictature qui demeure en Europe», a-t-elle déclaré en s'en prenant au gouvernement de M. Loukachenko. A quoi Sergueï Lavtov a rétorqué: «aucun changement de régime ne peut être impose par l’étranger».
Entre la Biélorussie et la Roumanie, la Moldavie membre du GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Moldavie) présente un grand intérêt en ce qui concerne les transferts d’énergie fossile, de la Caspienne à l'Europe centrale et occidentale, en contournant la Russie (oléoduc Odessa - Brody). Non seulement la Géorgie mais également l’Ukraine et la Moldavie, celle-ci financièrement aidée par les Etats- Unis, entreraient dans l'OTAN.
Comme la Roumanie et la Bulgarie en sont membres, l'Alliance atlantique transformée règne militairement de la Baltique à la mer Noire, ces deux mers enlevées à la Russie sur un ensemble territorial de 1500000 kilomètres carrés (en y incluant la Pologne) aux populations attirées davantage par l'Amérique que par la Confédération des Etats Indépendants que dirige Moscou. Reste, provisoirement, l'exception biélorusse, avec les quelque 200000 kilomètres carrés du Belarus. D'où la condamnation de son régime politique par Condollezza Rice et les préparatifs d’une «révolution démocratique».
En mer Noire, la présence des Etats-Unis les situe en bonne position sur les voies maritimes d'acheminement du pétrole et du gaz naturel. Un Commandement de l'Europe de l’Est y sera créé, qui assurera la continuité de la présence des forces américaines et britanniques de la mer Rouge à l'Océan indien. Des bases aériennes et aéronavales doivent être aménagées, ou construites, en Bulgarie et en Roumanie. Une partie des 15000 hommes déployés en Allemagne s'y installeront.
Alors qu'il était secrétaire d'Etat, Colin Powel s’était rendu à Moscou (en avril 2004), où il déclara que, si «les Etats-Unis avaient encore besoin - temporairement - de bases en Europe de l’Est, le nombre de soldats diminuerait et qu'il n'était pas question d'encercler qui que ce soit.» A cette non-question, on connaît la réponse!
Ainsi, au cours des dernières années, Washington a réalisé une large part de ses desseins, au moins en Europe:
- Achever le démantèlement de l'Empire soviétique, celui du Mal.
- Former un groupe d'interposition à la dévotion des Etats-Unis entre la Russie et l'Europe industrialisée, afin d'en contrôler l'économie.
- Détenir des moyens de pression sur Moscou, en démocratisant l'entourage de la Russie et en y étendant la perspective de mouvements sociaux internes.
- Acquérir de nouveaux alliés pour aider Washington à atteindre ses objectifs. A Vilnius, justement, Condollezza Rice a annoncé qu'elle entendait «utiliser l'OTAN plus efficacement», celle-ci conduisant des opérations partout dans le monde, que ce soit au Proche-Orient, en Afrique ou en Asie du Sud-est. Grâce à cette OTAN renforcée, les Etats-Unis contourneraient l'ONU, et ses atermoiements pour gérer militairement la planète conformément à leurs intérêts.
- Dévier vers l'Ouest une part des richesses énergétiques de la Caspienne en intervenant économiquement et politiquement en Azerbaïdjan, en Géorgie et, plus généralement, dans le bassin de la mer Noire, proche des gisements de l'Irak et d'Arabie saoudite.
En revanche, la croisade islamo-pétrolière menée par les Etats-Unis depuis le début des années 1990 est loin d'avoir atteint les objectifs qu'elle visait: s'assurer un ravitaillement régulier et abondant en énergies fossiles et contrôler leur acheminement vers les puissances capables, demain, de contester la super-puissance américaine. Les opérations déclenchées se révèlent fort coûteuses t, matériellement mais surtout politiquement et moralement. Elles ont créé le chaos là où existait un certain ordre, certes déplaisant, différent de celui qui est tenu pour souhaitable en Occident mais préférable à la guerre et à la misère dont les Etats-Unis sont responsables.
Force est de constater l'échec de leur intervention dans les Balkans, l'instabilité continuant à nécessiter une présence militaire, l’échec aussi de la courte expédition en Somalie, les désordres qui persistent en Afghanistan où s'exaspère la résistance des Talibans. Enfin, l'impossibilité dans laquelle se trouve Washington de ramener la paix en Irak, d'y installer un Gouvernement indépendant de l'occupant et de se dégager de ce pays sans que la guerre civile y prenne encore plus d'ampleur. Comment, dans ces conditions, en exploiter des richesses si convoitées?
Les blocus économiques ont plongé les peuples dans la pénurie en Serbie et en Irak. Les bombardements, y compris contre des populations non combattantes, la brutalité de la répression du terrorisme, la persistance de la résistance à l'occupant, le traitement des prisonniers, tous ces agissements ont surpris et affligé les amis des Etats-Unis et dressé contre eux, sinon tous les gouvernements des pays musulmans, du moins la quasi-totalité de leurs populations.
Oubliant le 11 septembre 2001, les Talibans déclarent maintenant la guerre sainte contre le tortionnaire, le prédateur et le profanateur du Coran (rappelons les révélations maladroites de Newsweek). Et voilà au moins 1 habitant sur 6 de la planète, qui s'affiche résolument anti-américain. S’y joignent, selon les circonstances, 1 à 2 milliards d'autres opposants aux ambitions planétaires des Etats-Unis. C'est là une lourde charge, même pour le plus puissant des Etats.
En somme, les analystes d'outre-Atlantique devraient admettre qu’il est très difficile de se fier aux gouvernements des pays islamiques et, davantage encore, de se concilier les bonnes grâce de leurs populations, qui ont le sentiment de détenir des richesses indispensables au reste du monde et la volonté d’en tirer tout le profit. A cela s’ajoute le fait d'accorder à la religion la place prépondérante, ce qui constituent autant d'incitations à s'opposer aux desseins des Etats-Unis et, plus généralement, de tous ceux qui partagent leurs conceptions de la société des hommes. La démocratie n'a aucun attrait pour des peuples dont le Coran définit le sens de l'existence et le code de vie. Ils n’y aspirent guère, leurs lois étant d'un autre ordre. D'où le fiasco de la croisade islamo-pétrolière.
En revanche, ces mêmes analystes pourraient constater – il semble même qu’ils l’aient fait – que l’ex-Empire soviétique offre pour les Etats-Unis un champ d’action prometteur…
P.M.G. (A suivre)