Peter Veleff

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Seuls 12% des Suisses contre l'armée
Après la fin de la guerre froide et la chute du bloc communiste, les membres du Parlement fédéral avaient exigé à plusieurs reprises une enquête sur les activités des services secrets de l'Allemagne de l'Est en Suisse. Un communiqué sommaire de la Commission juridique du Conseil national, en date du 18 novembre 1997, précise que le Conseil fédéral a pris dans le passé diverses mesures, afin d'obtenir l'accès aux archives allemandes contenant les fiches de la Stasi [1] en relation avec la Suisse. Le Conseil fédéral se dit en principe favorable à une enquête historique; il privilégie cependant une approche privée par les historiens, puisqu'une telle recherche ne lui semble pas être une tâche de la Confédération. Suite à un avis d'experts allemands au sujet de l'accès en Allemagne aux fiches des anciens services secrets de la RDA, une Commission du Conseil national doit constater que de telles recherches dans les diverses archives s'avéreraient difficiles, lentes et coûteuses. La minorité d'une Sous-commission refuse la proposition de nommer pour une telle enquête un expert, qui aurait confié des mandats de recherche à d'autres historiens: un tel procédé semblait peu crédible et, qui plus est, difficile à financer. Au contraire, la majorité de la Sous-commission avait jugé qu'il serait raisonnable de nommer un historien indépendant à titre d'expert, dont l'activité s'étalerait vraisemblablement sur plusieurs années et qui demanderait, au fur et à mesure, les fonds nécessaires au Parlement.   Une lacune de recherche Le 14 juin 1995, le Conseil national donne son consentement par 80 voix contre 76 à une initiative parlementaire du conseiller national Walter Frey (UDC, Zurich) demandant la nomination d'un historien-expert. Cette nomination intervient en dépit des demandes contraires du Conseil fédéral et de la majorité de la Commission du Conseil national. L'initiative Walter Frey ne va cependant pas aboutir: le Conseil des Etats n'acceptera pas la décision de l'autre Chambre parlementaire. Cette lacune de recherche, âprement débattue au Parlement mais finalement laissée ouverte, est aujourd'hui comblée en partie par un livre[2] qui vient de paraître aux éditions Orell-Füssli. Après un travail de recherche scientifique de dix ans, un ancien juge d'instruction du Canton de Zurich présente le résultat de ses propres recherches sur les activités des deux services de renseignement de la RDA. Ces services secrets sont d'une part la section des renseignements (Hauptverwaltung Aufklärung, HVA) du Ministère pour la sécurité d'état, la Stasi, d'autre part le Renseignement militaire de l'armée nationale populaire (Nationale Volksarmee, NVA). L'auteur décrit leurs activités en relation avec la Suisse, de même que quelques activités en Autriche. Ses recherches portent sur le but et les objectifs des activités d'espionnage en Suisse; ses travaux ne sont pas ciblées sur certaines personnes dans le but de les démasquer en tant qu'espions, ce qui n'aurait pas été conciliable avec l'objectif purement historique du travail, condition pour le permis d'accès aux archives allemandes. En d'autres termes, il s'agissait de trouver une réponse à la question pourquoi et dans quel but les services secrets de la RDA s'intéressaient à la Suisse et à ses institutions, par quels moyens ces objectifs devaient être atteints, ont-ils tous été atteints.   Les archives allemandes Les résultats proviennent de longues et importantes recherches dans divers archives allemandes et de longs et nombreux entretiens avec des témoins importants et compétents, ayant occupé les postes-clés de ces services secrets:  notamment l'ancien chef de la HVA, le général de corps d'armée Markus Wolf, ainsi que son successeur, le général de corps d'armée Werner Grossmann; le chef de l'exploration radio du ministère pour la Sécurité d'Etat, le général de brigade Horst Männchen; le colonel Karl Rehbaum, chef de section et officier traitant de l'agent «Topas» au commandement de l'OTAN. Du côté du Renseignement militaire, l'auteur a obtenu des informations du dernier chef de cet organisme, le général de division Alfred Krause, ainsi que de son chef du Centre d'analyse, le colonel Klaus Rüdiger, du chef de l'exploration des agences de la Section des renseignements de la NVA, le colonel Harry Schreyer. Le livre analyse les centres d'intérêt économiques de la HVA, les institutions et entreprises suisses qui intéressaient les services secrets allemands, les moyens de contournement de l'embargo des Etats de l'OTAN, l'acquisition de technologies de l'Ouest via la Suisse et l'Autriche, l'exploration radio contre ces Etats ainsi que l'exploration militaire et le renseignement politico-militaire des deux services secrets de la RDA. Un intérêt particulier est porté sur l'activité du Renseignement militaire à l'ambassade de la RDA à Berne, prouvée par des documents jusqu'alors restés secrets et publiés pour la première fois. Cette base d'espionnage comportait des installations principales et secondaires, de même que des services détachés partout en Suisse. Le livre traite d'une transaction financière importante, bien qu'elle ne soit pas directement liée à une activité de renseignements, qui a été discrètement planifiée entre les deux Etats allemands par l'intermédiaire d'une banque à Zurich et qui portait sur plusieurs milliards. Cette transaction n'avait pas abouti à cause de l'intervention du chef de la Stasi, Erich Mielke. Elle a été suivie d'une transaction politiquement plus intéressante entre le Dr. Schalck-Golodkovski, l'«officier des missions spéciales» de Erich Mielke, et l'ancien premier-ministre bavarois Franz Josef Strauss. Sur la base d'une analyse approfondie des fiches précises et abondantes de la Stasi au sujet de l'organisation criminelle ARAMCO, opérationnelle à Zurich, l'auteur prend position sur une affaire largement débattue à l'époque: l'assistant à l'évasion d'un réfugié de la RDA, Hans Ulrich Lenzlinger, assassiné par balles en février 1979 à Zurich, pourrait avoir été tué par un meurtrier professionnel de Berlin-Est.   Menace militaire Peter Veleff n'aborde pas la menace du Pacte de Varsovie sur la Suisse pendant la guerre froide. Une telle menace a toujours été perçue comme réelle, également en Suisse, surtout après qu'un général de l'armée tchécoslovaque du nom de Jan Sejna avait pris la fuite avec sa famille en 1968, via Trieste, pour rejoindre la CIA américaine. Douze années plus tard, il évoque dans un livre publié à Londres quelques prétendus plans d'opération tchèques contre la Suisse. Ces recherches de l'auteur feront l'objet d'une publication ultérieure. Sur la base d'entretiens approfondis avec des témoins militaires importants du Pacte de Varsovie, notamment l'ancien ministre de la Défense de la RDA, le général Heinz Kessler; le chef de l'Etat-major général de la NVA, le général de corps d'armée Fritz Streletz; le chef des Opérations, ultérieurement chef pour l'Instruction opérative, le général de brigade Hans Deim, Veleff souligne qu'il faudra revoir les idées courantes concernant cette époque, compte tenu également des prétendus plans d'opérations contre la Suisse, donnés par Sejna. La citation du général de brigade Hans Deim, engagé dans la planification opérationnelle des forces armées du Pacte de Varsovie, souligne une telle nécessité: «Du temps de la guerre froide, envahir sans besoin avéré un terrain aussi difficile que celui de la Suisse et devoir ensuite s'opposer à quatre corps d'armée bien équipés, dont l'aptitude au combat avait été jugée haute, n'aurait pas été militairement raisonnable. (...) La volonté de défense suisse était très importante, selon nos évaluations; la Suisse disposait d'une armée disciplinée, et nous respections la force de défense suisse. Nous estimions cette défense très solide.»   Peter Veleff     [1] Ministerium für Staatssicherheit, le ministère pour la Sécurité d'Etat de la République démocratique d'Allemagne (RDA). [2] Peter Veleff: „Spionageziel Schweiz?" Die Geheimdienste der DDR und deren Aktivitäten in der Schweiz. Zürich, Verlag Orell Füssli, 2006. (ISSN 3-280-06070-4 und ISBN 978-3-280- 06070-4)       Article repris de Schweizer Soldat avec l'aimable autorisation de son rédacteur en chef. Traduction par le sergent Niklaus Meier, étudiant en droit.
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