James Sarazin

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Seuls 12% des Suisses contre l'armée
La guerre de Bosnie a révélé un nouveau danger pour les unités militaires chargées du rétablissement ou du maintien de la paix: le tireur d'élite. Embusqué à bonne distance, il a causé des ravages dans les rangs des soldats de la SFOR en toute impunité. Un temps seulement car, aujourd'hui, le chasseur est devenu gibier: un nouveau système de détection par laser permet de le localiser avant même que puisse agir.   Au premier coup d'oeil, l'engin ressemble à un bon vieux radar de la police routière, une boîte métallique rectangulaire en acier montée sur un trépied avec, sur une face, deux petites fenêtres vitrées. Ce n'est pourtant pas l'automobiliste pressé que traque cet appareil, mais un tout autre gibier, le sniper. Dans les conflits modernes, faits souvent d'engagements rapprochés, ces tireurs d'élite représentent pour les états-majors un cauchemar, non seulement par les victimes qu'ils provoquent, mais aussi par l'insécurité qu'ils engendrent en permanence parmi les soldats et la population. Menace d'autant plus lourde qu'ils agissent par définition en toute impunité, à l'abri d'un bâtiment ou d'un couvert qui les rendent pratiquement indétectables par les procédés visuels classiques. Une vulgaire carabine devient ainsi l'arme absolue contre des opérations de maintien de la paix. C'est ce qu'éprouvèrent les militaires français en débarquant à Sarajevo en 1992. Dans les premiers temps de leur déploiement, plus de quatre-vingts d'entre eux sont victimes de tireurs isolés. Une hécatombe qui provoque, à Paris, l'émoi du ministère de la Défense, lequel demande aux industriels de concevoir une parade contre cette menace. A l'époque, le seul système, capable de répondre au besoin, est le détecteur acoustique, un système mis au point dans les années 1980 par les Britanniques pour leurs opérations en Irlande du Nord. Testé en Bosnie, celui-ci brille par son manque de précision, son temps de réaction élevé et, surtout, un défaut congénital: comme les micros qui le composent réagissent à l'onde de bouche et à l'onde de choc engendrées par une balle, il ne peut s'activer qu'après qu'un coup de feu au moins a été tiré, laissant dans une large mesure la menace persister. Malheureusement pour les soldats français en Bosnie, les snipers locaux étaient d'excellents tireurs qui atteignaient souvent leur cible du premier coup.   Le principe de l'«œil de chat» Cilas, filiale de EADS spécialisée dans l'optronique, se lance alors dans le développement d'un système non plus passif mais actif, c'est-à-dire capable de détecter la présence du sniper avant que celui-ci ne tire. «Il n'est pas facile de détecter une carabine, mais une lunette oui, grâce au laser... et au principe de l'«oeil de chat», résume Jean-Marc Rouchon, directeur des programmes militaires. On sait en effet que, exposée aux phares d'une voiture, la rétine du matou renvoie une partie de la lumière qu'elle reçoit dans la direction précise d'où elle a été émise. Le réticule de la lunette de visée d'un tireur réagit exactement de la même manière lorsqu'il est «éclairé» par un faisceau laser invisible. Un système de type «émetteur-récepteur laser» peut donc localiser le tireur rapidement et avec une grande précision. Pour autant, le passage de la théorie à la pratique n'est pas si simple. Traditionnellement, le sniper utilise une carabine de calibre 7,62 mm et opère à des distances comprises entre 300 et 600 mètres de sa cible; nous pouvons alors détecter sa lunette au laser sans trop de difficultés, explique Jacques Delhall, responsable des exportations. Mais plus récemment, en ex-Yougoslavie, est apparu le «super-sniper » en calibre 12,7 mm (50") et précis jusqu'à 1000 mètres. Et là, le système de détection doit être extrêmement pointu. D'autant que, les opérations de maintien de la paix se déroulant souvent en milieu urbain, les échos parasites ne manquent pas... et qu'il ne faut pas confondre la lunette d'un tireur avec le téléobjectif d'un journaliste. D'où l'importance du logiciel de traitement des images dans l'élimination des fausses alarmes... et aussi du savoir-faire de l'opérateur dont l'expertise se rapproche de celle de l'artilleur dans le réglage de sa hausse, reconnaît Jean-Marc Rouchon. On ne s'étonnera donc pas que les trois valises qui composent le système SLD-400 de Cilas renferment un véritable concentré de technologie. Celui-ci repose sur une caméra spéciale synchronisée à un laser pulsé à faisceau large (avec un champ de 5 x 4 degrés) qui éclaire la zone à analyser. Un processeur numérise et compare ensuite les images visuelles et laser. A la moindre différence entre les deux, il donne l'alerte en quelques dixièmes de seconde en indiquant sur l'écran du terminal d'ordinateur associé la localisation et l'image de l'anomalie. Le système zoome sur la zone considérée, ce qui permet à l'opérateur de lever le doute. Pour ce faire, il dispose d'un mini-manche qui lui permet de piloter la tourelle sur laquelle repose le système optronique, tant en azimut (sur 350 degrés) qu'en élévation (sur 40 degrés), afin d'orienter ce dernier vers les sources présumées de menace. L'alimentation par batteries confère au système SLD-400 une autonomie supérieure à 24 heures.   Efficacité jusqu'à 4000 mètres Le laser utilisé opère à des longueurs d'onde de 0,8 à 0,9 ?m, ce qui lui permet de détecter, non seulement les lunettes de fusils - y compris si elles se dissimulent derrière des filets de camouflage, des fenêtres on des protections en nid d'abeille - mais aussi beaucoup d'autres optiques telles que les intensificateurs de lumière pour vision nocturne, les télémètres, les jumelles, etc., ce à des distances si élevées qu'elles réduisent à néant l'efficacité du tireur: 1000 mètres en plein jour dans toutes les conditions (sauf, évidemment, par des temps bouchés... qui ne sont guère favorables non plus aux snipers), et jusqu'à 4000 mètres la nuit, ainsi qu'il a pu l'être démontré récemment dans les neiges d'un pays d'Europe du Nord. Auparavant le SLD-400 a fait son apparition fin 1994 en ex-Yougoslavie sous la forme d'un prototype qui réalise tout de suite des prodiges, les pertes humaines dans les rangs français du fait des snipers chutant spectaculairement. Mieux, le contingent déployé quelques années plus tard au Kosovo, nanti d'un certain nombre de détecteurs, n'enregistre aucune victime de tireurs isolés. «Jusque-là sans risque ou presque, le travail du sniper est d'un coup devenu extrêmement dangereux», constate Jacques Delhalle. Et la peur a changé de camp.   J.S.       [1] Cet article a été initialement publié dans Planet Aerospace, 1-2 avril 2005. Il a été repris par Armée et Défense, oct.-nov.-déc. 2005.
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