Fabien Jakob
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Le fichier central au coeur de l'Espace Schengen connaît actuellement une évolution qui renforcera son rôle dans la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Quel impact sur la protection des données ?
L'Accord de Schengen du 14 juin 1985 a créé un espace de libre circulation des personnes en instaurant le principe d'un contrôle d'entrée sur le territoire Schengen. Pour maintenir un niveau de sécurité satisfaisant, il est apparu nécessaire de prendre des mesures compensatoires à la suppression des contrôles aux frontières intérieures des États participants, en renforçant notamment la coopération policière et judiciaire, harmonisant les politiques de visa et d'asile, programmant le Système d'Information Schengen (SIS).
SIS, créé par la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 19 juin 1990, est un fichier commun à l'ensemble des États membres de « l'espace Schengen » comportant des informations concernant des personnes recherchées, placées sous surveillance ou jugées « indésirables » dans « l'espace Schengen » (articles 95 à 99) , ou des véhicules et objets recherchés (article 100). Près de quinze millions de données sont actuellement enregistrées dans SIS, dont le système central est installé à Strasbourg. Il est alimenté par des systèmes nationaux (par exemple, 15 '000 terminaux d'ordinateurs répartis entre police nationale, gendarmerie, douanes, préfectures et autres services du ministère de l'Intérieur ou des Affaires étrangères sont répertoriés en France). SIS, permet depuis 1995 aux autorités compétentes (policiers, gendarmes, douaniers, autorités judiciaires) de disposer en temps réel des informations introduites dans le système par l'un des États membres grâce à une procédure d'interrogation automatisée (environ 34,5 millions d'interrogations du SIS ont été faites en France en 2004).
Évolution vers le SIS II
Une seconde version (SIS II) , en cours de réalisation, permettra à cet instrument de devenir un système d'investigation performant. Il sera en effet dès lors possible d'enregistrer de nouveaux types d'informations (nouvelles catégories de signalements de personnes et d'objets ; éléments biométriques ;...), de prolonger les durées de conservation des signalements et d'accorder la consultation des données à un plus grand nombre d'autorités (Europol et Eurojust notamment)...
Ainsi, SIS II renforcera la lutte contre la délinquance transfrontalière, la criminalité organisée et le terrorisme. SIS II améliorera également la gestion des flux migratoires qui revêt une importance grandissante depuis l'adoption par les États membres du plan global de lutte contre l'immigration clandestine et la traite des êtres humains le 28 février 2002 et du plan d'action concernant la gestion des frontières extérieures du 13 juin 2002. La France assurera l'exploitation et la supervision du système central SIS (comme c'est le cas actuellement), bien que la Commission européenne envisage la création d'une Agence indépendante spécialisée. D'autres modifications sont également étudiées : centralisation exclusive des données à Strasbourg (plus d'enregistrement et de conservation au plan national) ; externalisation de certaines activités...
Protection des données
Le libellé actuel du projet SIS II autorise non seulement l'accès à certaines catégories de signalements par Europol et Eurojust, mais envisage encore la possibilité de transférer des données à des pays et des organes tiers. Ceci soulève la question de la protection des données à caractère personnel , d'autant plus qu'une certaine interopérabilité entre SIS II et les autres bases de données existantes au niveau européen, (base de données sur les empreintes digitales des demandeurs d'asile, EURODAC ; système d'information sur les visas, VIS...) sera probablement mise en place.
La Convention de Schengen a répondu à cette problématique en obligeant les Parties Contractantes à adopter des dispositions nationales assurant une protection des données au moins égal à certains standards européens. La protection des données à caractère personnel nécessitera cependant un cadre réglementaire précis, conforme aux principes de la spécification et de la finalité.
Droit à l'information, droit d'accès, de rectification et d'effacement, voies de recours
En application des principes de la protection des données, des droits particuliers (accès, rectification, voies de recours y relatives) sont reconnus par la Convention de Schengen aux personnes, qu'elles soient ou non ressortissantes d'un État membre de l'espace Schengen. Le droit d'accès est la possibilité pour toute personne qui le demande d'accéder aux informations la concernant enregistrées dans un fichier lié au SIS. Ce droit est cependant refusé s'il peut nuire à l'exécution de la tâche légale consignée dans le signalement, ou pour la protection des droits et libertés d'autrui.
En ce qui concerne le droit à une rectification, il arrive fréquemment qu'un individu dont l'identité a été usurpée (par exemple, à la suite du vol et de l'utilisation de ses documents d'identité par un tiers) soit signalé dans SIS. Pour remédier à cette situation, il a été prévu pour toute personne le droit d'obtenir la rectification ou l'effacement de données à caractère personnel la concernant, traitées dans le SIS II.Toute personne exerçant son droit d'accès ou de rectification s'adresse aux autorités compétentes du pays Schengen de son choix conformément au droit national de l'État saisi. Dans certains pays, le droit d'accès est direct (demande adressée aux autorités gestionnaires des données ; services de police, de gendarmerie, de douanes, etc.), dans d'autres, le droit d'accès est indirect (demande adressée à l'autorité nationale de protection des données). Lorsque le droit d'accéder, de rectifier ou d'effacer des données à caractère personnel, est refusé, des voies de recours ont été prévues.
Certains défenseurs de la sphère privée, opposés à la réforme de SIS, ont dénoncé le fait que tous les pays n'ont pas les mêmes critères pour inscrire « de manière préventive » des données à caractère personnel dans leurs banques de données, ce qui conduit à des différences, voire des inégalités de traitement d'autant plus fâcheuses, qu'une fois enregistrées sur SIS II, ces informations seront accessibles à davantage d'organes et stockées plus longtemps que sur SIS I. Pour ces raisons, et pour lutter contre les erreurs, voire les abus du système, les droits à l'information, la rectification et l'effacement ont justement été renforcés, ce qui devrait lever ces ultimes oppositions.
Conclusion
La mise en place de ce système de seconde génération nécessite encore quelques ajustements tant au niveau de la gestion des données, que de leur accès, utilisation / protection. Cependant, son entrée en vigueur permettra sans aucun doute de lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. SIS II représente également une grande importance pour les dix nouveaux États membres. En effet, c'est seulement lorsque ce système sera mis en place qu'il sera possible d'envisager leur participation pleine et entière aux accords de Schengen et la levée des contrôles aux frontières intérieures avec ces pays.
Fabien Jakob
Ce texte a été publié dans le numéro 90 d'avril 2007 de la revue Le Débat stratégique. La RMS remercie le Cirpes et M. Jean-Paul Hébert pour en avoir autorisé la republication.