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Cap David Menth, Pilote professionnel sur F/A-18

Décollage pour une mission de défense à bord de mon F-5 Tiger. Par mauvais temps, en volant dans ou au-dessus des nuages, les capacités limitées de mon système de navigation m'obligent à recevoir le soutien d'un contrôleur aérien qui me transmet par radio les directions à suivre pour rejoindre mon secteur d'engagement. Une fois arrivé, je suis en mesure de déterminer approximativement ma position et un contrôleur tactique surveille ma position tout en me donnant des informations sur la position des appareils alliés et ennemis. Basé sur ces données, je me construis mentalement une image de la situation tactique avant que ne soit conduite une attaque. Pendant la première partie de l'interception je suis totalement dépendant du contrôleur tactique car mon radar ne me permet en effet pas de détection à grande distance. Mon armement n'étant lui aussi engageable qu'à courte distance, je suis obligé de me rapprocher jusqu'au contact visuel de mon adversaire avant de pouvoir le combattre. Pour peu que ce dernier dispose d'un meilleur armement, je dois pour ce faire manœuvrer de manière optimale à de nombreuses reprises pour me protéger de ses tirs. Avec un peu de chance ou face à un adversaire mal entraîné, j'arrive enfin à une distance à laquelle, avec de l'expérience et le soutien adéquat du contrôleur tactique, j'obtiens un contact radar et ce peu avant de découvrir l'appareil ennemi visuellement. J'engage le combat et dois manœuvrer relativement longtemps, une fois encore sans erreur, afin d'obtenir une opportunité de tir. Le vol se poursuit avec une mission de police du ciel. La centrale d'engagement de défense aérienne a reçu une demande du contrôle aérien civil. Un avion semble avoir une panne de communications. Le contrôleur tactique m'annonce l'appareil à identifier et me guide tout au long de l'interception. Le guidage se termine environ 2 km derrière et 600 m plus bas que l'appareil qui vole dans les nuages. Je dois maintenant attendre de voir ma cible avant de pouvoir m'en approcher pour l'identifier. Mon radar de bord ne me livre pas d'informations suffisamment précises pour m'approcher d'avantage. Heureusement les nuages s'éclaircissent et je peux donc effectuer la mission d'identification. De nuit, le F-5 Tiger n'étant pas équipé d'un phare pour illuminer l'avion intercepté, un tel engagement aurait été impossible. Retour à la base, le plafond nuageux bas m'oblige à effectuer une approche aux instruments. Je ne dispose pas de système me permettant une approche autonome et suis par conséquent guidé par un contrôleur d'approche jusqu'au contact visuel avec la piste. Ce type de guidage étant moins précis qu'un système d'approche embarqué, je ne peux pas voler lorsque le plafond nuageux est très bas. Même type de mission, cette fois à bord d'un avion de combat moderne. Par tous les temps, les différents systèmes de navigation embarqués me permettent de rejoindre n'importe quel point, en suivant une route donnée et sans appui externe. Je connais en tout temps ma position exacte et dispose sur une carte digitale de toutes les informations géographiques et tactiques nécessaires à ma mission. Le contrôleur tactique m'annonce les différentes menaces en approche, que j'observe également représentées directement, ainsi que la position de mes alliés, sur un écran devant moi. Je suis en mesure de décider quelle est la meilleure tactique à adopter avant de déclencher l'attaque. A plusieurs dizaines de kilomètres le radar embarqué détecte les adversaires; je peux adapter la géométrie de mon interception et je peux désigner les cibles que je veux combattre par ordre de priorité. Grâce à mon missile radar actif je suis en mesure de combattre mes ennemis à plusieurs dizaines de kilomètres au-delà de la portée visuelle (BVR : beyond visual range); les particularités de ce type de missile permettent de terminer son vol de manière totalement autonome, je peux faire demi-tour avant d'être menacé par les missiles ennemis. Si malgré tout un appareil ennemi réussit à se rapprocher suffisamment de moi, un système de brouillage embarqué me protège jusqu'à ce que je puisse engager le combat et après quelques secondes de manœuvre, avec l'aide de mon viseur de casque, je peux engager mon missile à guidage thermique (infrarouge) à courte portée très agile qui tourne agressivement et détruit ma cible. La mission suivante est une mission de police du ciel. La centrale d'engagement a repéré un aéronef d'Etat étranger qui est entré sans autorisation de survol diplomatique (diplomatic clearances) dans notre espace aérien. Le contrôleur tactique m'annonce l'appareil à identifier, m'ordonne l'interception et m'indique une direction de vol initiale. Le radar de bord détecte rapidement mon objectif et je navigue dès lors de manière autonome, adaptant le chemin de vol pour une interception rapide. Equipé d'un capteur infrarouge et TV, j'ai la possibilité de commencer l'identification à plusieurs kilomètres de distance. Disposant d'un contact radar précis contenant de multiples informations comme l'altitude de vol, la vitesse de la cible ainsi que la vitesse de rapprochement, je peux me rapprocher à quelques centaines de mètres de l'avion à identifier et ce même de nuit ou dans les nuages. Dès lors les chances sont grandes d'établir le contact visuel avec la cible afin d'être en mesure de m'en rapprocher et ainsi procéder à son identification. De nuit grâce à un phare ou à des jumelles de vision nocturne (JVN) il m'est également possible d'effectuer cette mission. De plus comme l'avion est en liaison avec la centrale d'engagement par un système de liaison de données (Link 16), des images de ma cible prises depuis mon viseur de casque ou par le capteur infrarouge/TV y sont directement disponibles. Si nécessaires les images peuvent être transmises après le vol. Retour à la base. Grâce à différents systèmes de navigation embarqués il est possible, si les conditions météorologiques l'exigent, d'effectuer des approches aux instruments de manière autonome. La précision de ces systèmes et la présence d'un autopilote permettent d'approcher même dans de mauvaises conditions météorologiques. En résumé, là où le F-5 Tiger nécessite le soutien d'une station au sol, des conditions météorologiques favorables et de se rapprocher d'une cible avant de pouvoir la combattre, un avion moderne peut de manière autonome, par tous les temps, de jour comme de nuit et même à grandes distances, effectuer les missions de défense et de police aérienne qui incombent aux Forces aériennes. L'évolution technologique importante qui sépare ces deux générations d'avions de combat permet donc de garantir les missions, d'augmenter la sécurité des vols et d'assurer une défense efficace avec des pertes moindres contre des menaces potentielles actuelles. Comme l'évolution technologique ne s'arrête pas, il est indispensable que nos moyens de défense aérienne continuent à s'adapter afin de rester compétitifs. Le produit des Forces aériennes, la sûreté et la sécurité dans la troisième dimension pour la Suisse, dépend directement de notre capacité à nous améliorer sans cesse. D. M.
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Colloque sur la dissuasion nucléaire française à l’Assemblée nationale

Lt col EMG Alexandre Vautravers Rédacteur en chef, RMS+
A l’initiative de Pierre Pascallon, un colloque a été organisé à l’Assemblée nationale sur le thème de l’avenir de la dissuasion nucléaire française face aux défis et aux changements géostratégiques d’aujourd’hui et de demain, le 9 décembre 2013. Le colloque s’est déroulé en quatre temps : la dissuasion nucléaire est-elle obsolète et ne faut-il pas la supprimer ? Faut-il au contraire la maintenir face aux lendemains incertains ? Comment peut-elle être adaptée ? Et enfin comme s’intègre-t-elle dans une architecture européenne ou globale ? Ce ne sont pas moins de 27 intervenants qui ont taché d’apporter leur réponse à ces quatre questions.

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/en-ligne-directe/ Une dissuasion nucléaire obsolète et coûteuse, pour quoi faire ? Car la dissuasion nucléaire fait débat en France. L’ancien Premier-ministre, Michel Rocard, ne mâche pas ses mots pour « une arme inutile et dangereuse (…) aujourd’hui. » Il apporte son soutien à l’initiative Global Zero qui vise à la disparition de celle-ci. Il regrette qu’au moment où les présidents Medvedev et Obama ont évoqué cette possibilité, ni la France, ni la Grande-Bretagne n’ont réagi. Revenant sur l’histoire des relations complexes du Parti socialiste (PS) avec la dissuasion, il laisse entendre que c’est l’arrivée de François Mitterrand au PS qui change la donne. Michel Rocard admet lui-même admet avoir « changé d’avis deux fois en deux sens » car si celle-ci était utile pour se défendre contre la menace de l’Est et garantir l’indépendance stratégique vis-à-vis de Washington, il admet que cette stratégie avait, déjà alors, ses lacunes : « le tiers de nos cibles était sur l’Allemagne de l’Est. Si cela s’était su, notre diplomatie était foutue. » A fortiori aujourd’hui, il s’agit d’une « dissuasion sans cible. » L’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin, a inauguré le colloque en annonçant qu’il « partage les idées de Michel Rocard » : le nucléaire fait immédiatement ressortir les mots « absurde, opaque et tabou, » un « sujet sur lequel il y a un œcuménisme total. » Il critique la récente Loi de programmation militaire (LPM) française, qui a réalisé une diminution homothétique plutôt que de constituer les éléments distincts dont la France a besoin aujourd’hui : • un corps expéditionnaire de 6-7'000 militaires, capable d’intervenir de manière indépendante ; • des « briques » pour la coopération au sein de l’Union européenne (UE). Hervé Morin demande : « Quel est le cas où nous aurons besoin de la ceinture et des bretelles ? C’est-à-dire les deux composantes nucléaires : aérienne et sous-marine ? » La question se pose donc d’une mutualisation, voire de « l’abolition complète de l’arme nucléaire. » Car « le Traité de non-prolifération nucléaire de 1968 ne tiendra pas sur le long terme, face à un certain nombre de pays émergents (…) plus riches et plus puissants que nous (…) quelque soient les succès diplomatiques avec l’Iran. » L’armement nucléaire est donc indépendant de la menace ; les raisons de son maintien tiennent davantage de la politique intérieure, du lobby et du (manque d’) évolution des mentalités. Il faudra bien trancher. Or « François Hollande a même accentué ce fait en allant visiter un SNLE peu après son élection, à la manière du monarque se faisant sacrer à Reims. » Jean-Marie Collin, activiste du désarmement, propose d’ouvrir rapidement des discussions en vue d’une mutualisation avec la Grande-Bretagne. Car l’arme nucléaire coûte très cher : 1 milliard d’euro par an pour son fonctionnement, 6 milliards à brève échéance pour la modernisation du missile de croisière ASMP. Il demande le gel de la mise en œuvre d’un nouveau missile lancé par sous-marin (SSBN) M-51, ainsi que l’abandon de la construction du développement de sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) de 3e génération. Le général de division (2S) Le Borgne présente la dissuasion en tant que « catéchisme imparable mais théorique. » Or l’efficacité de la dissuasion repose au moins autant sur des critères techniques que décisionnels. Or, de nos jours, peut-on imaginer un décideur occidental capable d’engager de telles armes ? Le général d’armée aérienne Bernard Norlain, de l’Institut des Hautes études de Défense nationale (IHEDN) évoque le « mythe de l’arme absolue » qui naît chez Renan. Il s’agit, pour lui, non d’une assurance-vie mais d’une « assurance-mort qui repose sur un pari : la responsabilité de l’Autre. » Il critique ainsi le discours lénifiant de l’indépendance et de l’autonomie stratégique. Yannick Queau, chercheur associé au GRIP de Bruxelles, critique les mythes construits autour de la dissuasion, à l’exemple du « minima » qu’on ne saurait définir. Il rappelle que la possession d’armes nucléaires n’a rien à voir avec le statut de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Il critique enfin les lobbys industriels et militaires. Renoncer c’est décliner Philippe Wodka-Gallien, membre de l’Institut français d’analyse stratégique, répond que la défense conventionnelle coûte(rait) bien plus cher que le nucléaire. Le vice-amiral d’escadre (2S) Thierry d’Arbonneau, ancien commandant de la Force océanique stratégique (FOST), montre bien la problématique de l’abandon de la dissuasion dans le contexte d’un tir de missile russe au moment du sommet du G20 et de la crise ukrainienne, et au moment où la République populaire de Chine déclare unilatéralement une « zone identification aérienne » créant la contestation et la confusion de quatre Etats voisins. Il démontre que l’arme atomique a changé la position de la France dans la Communauté internationale, car « l’arme atomique donne le statut de grande puissance. » Bernard Sitt, directeur du Centre d’études de sécurité internationale et maîtrise des armements (CESIM), rappelle que le concept d’une « arme absolue » vient d’Alfred Nobel. Pour lui, le nucléaire compte quatre piliers que l’on ne saurait séparer : • La non prolifération ; • Le désarmement ; • Les applications civiles du nucléaire ; • La dissuasion. Il défend le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) dont le passé est « plutôt robuste. » Ce traité avait d’ailleurs été lancé, à son origine (1964), pour empêcher la prolifération en France et en Chine. Mais il met en garde contre la prolifération inexorable, motivée par le besoin de sécurité (1), la norme ou le statut de grande puissance (2), enfin par des motivations de politique intérieure (3). Et de conclure que tous les Etats « proliférant » sont la proie de crises majeures : Corée du Nord, Irak, Iran, Libye, Syrie pour ne citer que ceux-ci. Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), énumère les progrès techniques des vingt dernières années, afin de montrer que l’OTAN doit être en mesure de proposer, à moyen terme, un véritable système anti-missiles balistique (ABM). Les choix arrêtés sous l’administration Bush, d’un système basé à terre en Europe centrale, sont aujourd’hui remis en question. Le « pivot vers l’Asie » américain laisse donc une lacune béante qu’il s’agit de combler, techniquement ou politiquement. Et cet effort sera coûteux. Philippe Cothier, président d’honneur du Centre d’étude et de prospective stratégique (CEPS), appelle à un débat d’expert avant le débat public. Car « la doctrine ne tient plus. » Mais il met en garde contre l’abandon de cet outil stratégique : « Le pire qu’on pourrait laisser à nos enfants c’est un monde où l’arme nucléaire est dans les mains de la Corée du Nord, l’Iran etc et nous ne l’avons pas. » Le général de division (2S) Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po, rappelle que « ce qui compte, c’est l’équilibre. » Il existe un lien très fort entre les armes stratégiques et conventionnelles. On ne peut donc pas raisonnablement « sacraliser l’arme nucléaire » aux dépends des capacités conventionnelles. C’est la dialectique classique de Clausewitz entre vraie guerre (SOLL) et guerre réelle (IST). Il est donc nécessaire de trouver des adaptations : « la question taboue de la permanence à la mer doit être posée. » Peut-on imaginer davantage de coopération avec la Grande-Bretagne ? Doit-on remplacer les missiles chaque 6,5 ans en moyenne, soit deux fois plus vite que des armes conventionnelles ? Et de mettre en garde contre la constitution d’une nouvelle ligne Maginot… Bruno Tertrais, Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) répond « on peut encore réduire. (…) C’est une question de choix politique ; mais jusque ici aucun chef d’Etat n’a accepté cette réduction. » Il prend la comparaison avec la Grande-Bretagne, où le système de navigation inertiel du SSBN Trident D5 équivaut au prix du missile M-51 français. Il avance également les arguments de l’adaptabilité de la doctrine, de l’inscription des armes nucléaires dans le droit international et dans le cadre du Traité de Lisbonne (article 46) sur la défense européenne commune. Pierre Pascallon évoque le thème de la « dissuasion concertée » entre Paris et Berlin, discussion lancée à l’époque de la crise des « euromissiles » du début des années 1980. A l’époque le Président Mitterrand ouvre la discussion avec son homologue le Chancelier Kohl, qui a entre-temps négocié la mise à disposition d’armes nucléaires américaines entreposées sur son sol. La « dissuasion concertée » puis « élargie » aux pays voisins est évoquée sous la présidence Giscard d’Estaing ; mais les membres de la Communauté européenne n’en veulent pas. Sous la présidence Chirac, la « sanctuarisation élargie » -une extension de la notion de riposte à une agression en Europe- conduit à des discussions sur le partage des tâches, notamment au sujet du Plateau d’Albion puis de la Force aérienne stratégique ; on évoque même une « double autorisation » pour l’engagement des armes atomiques. L’idée est de compenser la puissance économique de l’Allemagne avec la puissance militaire/stratégique française. Mais l’accueil européen est froid. En conclusion, « la dissuasion nucléaire, pour ceux qui y croient, n’est pas partageable. Et l’Allemagne ne s’intéresse pas à partager la dissuasion française. » A l’échelle européenne, « cela supposerait un seul Gouvernement / Etat fédéral européen. Nous sommes loin du compte. » A+V
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12 février, 2014.- Le Centre français de doctrine et d’emploi des forces a fait paraître une étude, intéressante et à méditer, sur le rôle de la Bundeswehr lors de son intervention sur le territoire national durant des inondations de juin dernier. Du 2 au 19 juin, la Bundeswehr a déployé pas moins de 20’000 hommes sur le territoire allemand.

Mai 2013, des précipitations exceptionnelles frappent d’Europe, saturant les sols et les cours d’eau. Une vague de 40 km de long et d’une dizaine de mètre de haut frappe l’Elbe et le Danube. 7 morts sont recensés, les dégâts sont estimés à 12 milliards d’euros. Heureusement, l’intervention rapide des forces civiles (pompiers, sécurité civile) et militaires permet de limiter les dégâts. La Bundeswehr a immédiatement mis ses moyens au service des autorités civiles. Les effectifs sont sollicités ainsi que des véhicules tactiques et engins du génie. Elle a rempli divers types de missions : renforcement des digues, évacuation de victimes, transport de matériels, mise à disposition de bâtiments (logement, accueil), nettoyage, reconnaissance. En terme capacitaire, cette intervention s’est traduite par 1’415 heures d’hélicoptères pour 4’268 tonnes de matériels transportés. Près de 2 millions de sacs de sable des dépôts de l’armée ont été utilisés; 2’900 lits de camps et autant de lits médicaux; 5’300 couvertures et 29 tentes; 400 pains d’explosifs; 2’300 tonnes de matériels ont été transportées par 143 véhicules militaires et 43 civils. La large dotation en moyens de transmissions Tetrapol a largement facilité la coopération entre moyens civils et militaires, révélant la bonne interopérabilité entre les systèmes d’information et de communication civils et militaires. L’emploi des hélicoptères a été déterminant, avec 29 machines au total, dont des NH90, ainsi que des avions de patrouille maritime. Apparaît également l’importance du commandement centralisé et de l’exécution Actualités Guillaume Belan
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Légitimité et efficacité des sanctions économiques

Lt col EMG Alexandre Vautravers, Rédacteur en chef, RMS+
Un colloque organisé le 30 mai 2013 par l’université Paris-Descartes et le Club Participation et Progrès a été consacré aux sanctions économiques. La question a été traitée en deux temps : d’une part, la définition, l’histoire et les mécanismes des régimes de sanctions ; d’autre part, des cas pratiques étudiés par pays. Pascal Chaigneau a magistralement introduit le sujet, en démontrant premièrement l’ancienneté de la conception punitive et belliqueuse des sanctions – en rappelant le blocus continental de Napoléon Ier à l’égard du Royaume Uni ; mais aussi des réparations des guerres de 1870 et évidemment des deux Guerres mondiales. Il a par ailleurs montré le glissement de la notion de sanction – d’une conception punitive à celle de la prévention, visant à influencer ou à contraindre les décisions de certains gouvernements. Malheureusement, les sanctions économiques se révèlent historiquement peu efficaces. Tout d’abord, elles peuvent généralement être contournées ; elles sont parfois dé-tournées, tout comme le profit qui peut être tiré du marché noir ; les sanctions servent par ailleurs souvent les régimes autoritaires qui s’en servent comme alibi et se renforcent à leur insu. Enfin, les sanctions économiques sont trop souvent, pour la communauté internationale, une mesure émotionnelle et immédiate destinée à rassurer l’opinion publique des pays du Nord. Car on sait, au fond, que ni l’humanitaire ni les sanctions ne peuvent résoudre les crises. Fort de son expérience auprès de trois secrétaires généraux de l’ONU, l’ambassadeur Hassem Fodha a présenté dans le détail les bases juridiques et les mécanismes des sanctions économiques. On peut être surpris d’apprendre que celles-ci ne sont pas explicitement prévues dans la Charte des Nations Unies ; mais elles sont désormais appliquées de manière systématique au cas où une partie refuse de participer à des négociations internationales en vue d’un règlement pacifique du conflit. Le régime des sanctions s’est donc élargi ces dernières décennies ; un processus progressif s’est donc empiriquement mis en place, partant d’un embargo sur les armes, partiel puis total, au blocage de fonds des dirigeants, à la restriction de leur mobilité, à la limitation du commerce avec le pays. Afin d’être votées, les sanctions doivent être approuvées par au moins 9 membres du Conseil sécurité de l’ONU qui en compte 15, dont 5 permanents. Un Comité de sanction est alors créé, qui porte le numéro et l’année de la Résolution ; il s’agit d’un organe subsidiaire du Conseil de sécurité. Celui-ci délibère sans règles ni procédure obligatoire, sans obligation de transparence… mais ses décisions doivent être prises à l’unanimité. On voit dans deux grands écueils dans ce mécanisme : tout d’abord, le risque de détournement ou de corruption ; ensuite, en cas de désacord d’un seul membre, l’inefficacité des sanctions. Le régime de sanctions de l’ONU a d’ailleurs été critiqué par l’ancien Secrétaire général Boutros Ghali, pour ses effets néfastes sur les droits fondamentaux et la condition des populations touchées, comme l’a fait remarquer Malik Boumediene. On parle donc depuis la fin des années 1990 de « sanctions intelligentes » sensées viser les dirigeants avec davantage de discrimination. Le professeur Fouad Nourah a modélisé les effets économiques des sanctions et conclut qu’il s’agit souvent d’un « effet d’annonce, effet d’image. » L’effet est plus important sur l’électorat national que sur les populations du pays sensé être visé. Ainsi, les sanctions américaines contre Cuba ont été prises davantage pour répondre aux attentes de la diaspora cubaine –essentielle dans la Floride qui est un « swing State » électoral- que pour induire un changement politique sur l’île des Caraïbes. De manière générale, on peut conclure que les sanctions heurtent davantage les classes moyennes que les plus pauvres – c’est-à-dire précisément l’opposition des régimes autoritaires. Les sanctions sont par ailleurs d’autant moins fortes que le régime est autoritaire – où l’on assiste généralement à une réaction autour du leader ou de la résistance « à tout prix. » L’ambassadeur français Michel Raimbaud a présenté l’inefficacité et le détournement de sanctions unilatérales puis internationales contre le Soudan par la diplomatie américaine. On a ainsi « fabriqué un Etat-voyou.» Fereydoun Khavant a démontré l’effet des sanctions américaines puis internationales sur l’Iran ; mais également leur inefficacité pour parvenir à changer les orientations politiques ou le régime en place dans la République islamique. Le Professeur Jorge Huerta Jemio a présenté le cas de Cuba, où des motivations politiques –Kennedy succédant à Einsenhower- et économiques –les nationalisations d’entreprises pétrolières et sucrières- expliquent l’embargo, qui n’a fait que pousser le régime castriste dans les bras de Moscou. A bien des égards, des sanctions contre Cuba aujourd’hui ne se justifient plus ; mais on n’entend guère de voix demander une levée de celles-ci. N’est-ce pas la démonstration de la force des décisions des Etats et la faiblesse de la communauté internationale ? Pierre Pascallon a pu ainsi conclure que les sanctions économiques sont un intermédiaire entre le « soft » et le « hard power. » Les sanctions sont d’autant plus courantes et utiles qu’il n’y a aujourd’hui plus de superpuissance mondiale, ni de capacité d’intervenir pour gérer les crises. Les sanctions économiques posent un double problème : celui de leur légitimité et celui de leur efficacité. Il y a ainsi deux poids et deux mesures – les sanctions n’affectant que les Etats faibles, donnant du crédit à la phrase de Noam Chomsky : Les sanctions économiques sont « le paravent de la loi du plus fort. » A+V
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Suisse, neutralité et sanctions internationales

Alexandre Vautravers, Directeur, Département de Relations intern
On peut s’étonner que le cas de la Suisse trouve sa place dans un colloque parisien traitant de sanctions internationales. Il faut cependant cons-tater que par sa situation géographique, son histoire et son économie, le pays a joué un rôle considérable dans l’histoire de la finance et celle de la guerre économique. L’invention des sanctions En effet, les sanctions économiques sont inventées en 1938 dans le cadre de la Société des nations ( SDN ), basée à Genève, dans le but de punir l’Italie alors engagée dans un conflit colonial d’une rare agressivité en Abyssinie ( Ethiopie ) – utilisant contre les guerriers zulu aussi bien des avions que des chars de combat, voire même des armes chimiques… A cet instant, la Suisse se réfugie derrière sa neutralité ; elle ne condamne pas et ne décide pas de mesures de rétorsions qui, comme les embargos, sont considérés comme des actes de guerre au sens du droit international humanitaire. La SDN, d’ailleurs, édicte des sanctions non contraignantes. Et de toutes les manières, Mussolini annonçant le retrait de l’Italie, suivie peu de temps après par l’Allemagne, ces sanctions perdent leur sens. Guerre et neutralité Durant et suivant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse a suivi une politique de stricte neutralité, volontaire mais en même temps imposée par les circonstances. En effet, le pays reste sur la « liste noire » du gouvernement américain jusqu’à la signature des accords de Washington, en 1951. L’environnement se prête donc –en tous cas vis-à-vis de l’opinion public et de l’étranger- à une politique fondée sur les principes de la neutralité et de la non ingérence. Les diplomatie helvétique d’alors est presque exclusivement bilatérale ; il faut en effet attendre 1952 pour que s’ouvre la première représentation diplomatique permanente, à Paris. Or la conception suisse de la neutralité armée et la notion de l’indépendance stratégique milite en faveur du développement d’une industrie nationale d’armement. Et celle-ci, une fois les différends de la Guerre résolus, se place en pôle position des fournisseurs d’armements à la nouvelle Bundeswehr, créée en 1949 dans le même élan que le nouveau Gouvernement de la République fédérale allemande ( RFA ) et de son adhésion dans la toute nouvelle Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ( OTAN ). Guerre et neutralité Sous l’impulsion de Max Petitpierre, la neutralité traditionnelle affichée cache de moins en moins une activité de plus en plus proactive de la diplomatie helvétique. Aussi, la diplomatie reste largement détachée –du moins dans la forme- des intérêts économiques. C’est ainsi que se dessinent deux grandes tendances des années 1960-1980 : • D’une part, l’aspiration au multilatéralisme, sous la forme de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe et de l’Association européenne de libre-échange ( AELE ). Cet axe de développement, basé sur des valeurs humanitaires et universelles, donne lieu à la création de la Direction du développement et de la coopération ( DDC ). • D’autre part, la poursuite des affaires économiques, selon le principe des accords bilatéraux. Ces efforts sont soutenus depuis 1999 par la création du Secrétariat à l’économie ( SECO ). Certains chercheurs démontrent le fossé croissant qui peut exister entre la philanthropie et les intérêts. On constate ainsi que la Suisse a commercé avec le Bloc de l’Est ( Conseil d’assistance économique mutuelle : COMECOM ) avec la complicité ou du moins la bon vouloir du Gouvernement américain. Mais les activités commerciales de la Suisse prennent un essor considérable en Angola puis en Afrique du Sud durant les années 1970 – alors que les deux pays sont sous embargo international en raison des guerres qui y règnent et surtout de la situation inacceptable de l’Apartheid dans ce dernier. Communauté internationale Alors que 75 % du peuple suisse refuse l’adhésion de la Suisse à l’Organisation des Nations unies ( ONU ) en 1986. En 1994, 57 % refusent la création de casques bleus. En 2002, 54,6 % acceptent finalement l’adhésion à l’ONU. A partir des années 1990, l’adhésion de la Suisse à nombre d’institutions et une participation de plus en plus proactive en matière de promotion des droits fondamentaux, du développement durable et de la sécurité humaine, conduisent le pays à se plier aux injonctions de la Communauté internationale en matière de sanctions – notamment envers certains pays en guerre, ou en proie à de graves manquements en matière de droits humains. Le développement de « sanctions intelligentes » au milieu des années 1990, ciblant spécifiquement la fortune des dictateurs et de leur entourage, met la Suisse au centre d’un dispositif de pressions et de guerre économique visant à éviter les abus, les injustices, les crimes et les conflits. A+V
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Leurs âmes vogueront sur la mer ! L'Amérique ne baisse pas les bras : le USS New York a été construit avec 24 tonnes de ferraille provenant du World Trade Center, les Tours jumelles. C'est le cinquième d'une nouvelle classe de navires de guerre conçus spécialement pour des missions antiterroristes. Il transportera un équipage de 360 marins et 700 Marines prêts au combat, déposés au sol par des hélicoptères et des barges d'assaut. La proue du navire a été fondue le 9 septembre 2003 à Amite, Los Angeles. Le capitaine du navire, Kevin Wensing qui se trouvait sur place, souligne que les ouvriers ont traité l'acier avec le plus grand respect. «Ce fut un moment spirituel pour chacun de ceux qui étaient présents.» Junior Chavers, responsable des opérations à la fonderie, raconte qu’au premier arrivage de l'acier du Trade Center, il toucha la matière de la main. «Les cheveux m'ont dressé sur la tête. Cela avait une grande signification pour nous tous. Ils nous ont mis à genoux. Ils ne pourront pas nous garder ainsi. Nous allons nous relever.» La devise du navire? «Never Forget» N'oubliez jamais.
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En janvier 2014, Dassault Aviation a annoncé avoir mené avec succès les premiers vols d’essais du Rafale dans une nouvelle configuration très lourdement armée. L’avion de combat français a, ainsi, volé avec six armements air-sol modulaires équipés d’un corps de bombe de 250 kg, 4 missiles air-air à moyenne portée Mica EM et IR, 2 missiles air-air à très longue portée Meteor, ainsi que 3 réservoirs de 2000 litres. «Cette nouvelle configuration, inégalée par sa polyvalence et la puissance de feu qu’elle représente, a été rendue possible grâce à l’architecture ouverte de l’avion conçue, dès l’origine, pour remplir l’ensemble des missions dévolues jusqu’alors à sept types d’avions différents en France. Véritable multiplicateur de forces, le Rafale est un outil de rationalisation des armées», affirme Dassault, qui a financé sur fonds propres les travaux liés à cette nouvelle configuration, qui aboutiront à une ouverture complète du domaine de vol. Alliant grande autonomie et polyvalence du système d’armes, la nouvelle évolution de l'appareil démontre, selon l'avionneur français, «la puissance et la supériorité opérationnelle du Rafale qui dispose déjà d’un éventail inédit de configurations, parmi lesquelles une capacité unique de frappe dans la profondeur, avec deux missiles de croisière Scalp et trois réservoirs de 2000 litres, utilisée par les armées françaises lors de l’opération Harmattan en Libye en 2011.» Equipant l’armée de l’Air et la Marine nationale, le Rafale a pour le moment été livré à 126 exemplaires. Présenté comme omnirôle par son concepteur, il peut remplir tous types de missions, de la défense aérienne à l’attaque air-sol ou la lutte antinavire, en passant par les frappes nucléaires, la reconnaissance et le ravitaillement en vol. «En démultipliant les capacités de ses 14 points d’emport dont 8 sous voilure, le Rafale est le seul chasseur au monde capable de porter 1.5 fois sa propre masse.» Deux Rafale représentent ainsi un potentiel équivalent à six avions de la classe Mirage 2000. Dassault-Aviation
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Europe Mad Max demain?

Yves Garcia Rédacteur adjoint, Revue militaire suisse (RMS)
Bernard Wicht est un expert en stratégie et histoire militaire, membre du Conseil Scientifique de l’Institut d’Etudes Géopolitiques de Genève et privat-docent à l’Université de Lausanne.

Bernard Wicht est un expert en stratégie et histoire militaire, membre du Conseil Scientifique de l’Institut d’Etudes Géopolitiques de Genève et privat-docent à l’Université de Lausanne. Europe Mad Max demain? Vers la défense citoyenne ou, plus simplement pour Bernard Wicht : le citoyen-soldat à l’ère du chaos. Dans un contexte international de « fusion des états » et « fission des sociétés, » Bernard Wicht nous rappelle que le citoyen-soldat a été et reste le premier pilier de la démocratie. Il nous amène également au-delà de la dimension suisse pour souligner l’importance de la responsabilité citoyenne qui est d’être en mesure d’assurer notre propre défense, celle de nos familles et celle de nos biens. Toutefois, là où la vision de Bernard Wicht se cristallise, c’est lorsqu’il avance la notion de « discours » rassembleur, ou l’importance des forces morales sur les forces matérielles ; un élément crucial à l’heure où les acteurs non-étatiques concurrencent les Etats. En effet, la réalité à l’ère de l’information n’est plus Staline demandant « Le pape ! Combien de divisions ? », mais belle et bien le pape demandant « Staline ! Quel discours ? »… Bernard Wicht, Europe Mad Max demain? Vers la défense citoyenne, publié aux éditions Favre, 14.00 €.
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Au Salon AUSA 2013 organisé à Washington au Convention Center, Northtrop Grumman présente le MADSS (Mobile Armed Dismount Support System), basé sur le CaMEL (Carry_all Mechanized Equipment Landrover). Ce drone terrestre est équipé d’un moteur hybride diesel/électrique et d’un train de roulement à trois essieux. Sa vitesse est de 8 km/h et son autonomie d’une vingtaine d’heures. Il peut gravir une pente de 40% et franchir un dévers de 30%. Il est particulièrement adapté aux missions répétitives de surveillance. Il peut aussi être utilisé pour des opérations aéromobiles (possibilité de le transporter sous élingue avec un UH 60 et en soute dans un CH 47 par exemple). Le MADSS présenté est armé du canon LW 30 mm M 230, de la firme américaine ATK.
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Boeing va continuer à augmenter l'efficacité et la polyvalence du bombardier B-52 en vertu d'un nouveau contrat de l'US Air Force. L’objectif concerne l’accroissement de l’emport d’armes intelligentes de l’ordre de 50%. Le contrat est estimé à 24,6 millions de dollars,

Boeing va s’employer à modifier les lanceurs d'armes existantes en soute, afin de permettre l’usage d’armes à guidage automatique en phase terminale. Pour l’US Air Force l’intérêt consiste à allié le temps de vol particulièrement long du B-52 avec la capacité de disposer d’un système d'armes efficace et polyvalent. Cette extension de capacité d'armes se joint au programme CONECT, qui concerne la mise à niveau globale des systèmes de communication en cours d'installation sur la flotte de B-52. Boeing va mettre au point trois lanceurs prototypes pour des évaluations. Le programme prévoit que les premiers B-52 puissent recevoir le nouvel équipement à partir du printemps 2016. Les B-52 seront alors capables de transporter 24’500 livres de munition de type Joint Direct Attack (JDAM) ou 20 JDAM de 2000 livres. Les phases ultérieures permettront d’ajouter l’antimissile ainsi que des engins Air-to-Surface Standoff, (JASSM) et sa variante de longue portée (JASSM-ER).
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01.11.2013.- Alors que les drones US continuent de frapper dans le nord-est du Pakistan (deux missiles se seraient invités ce vendredi lors d'une réunion de chefs de Tehrik-i-Taliban Pakistan dans la région de Dande Darpakhel, faisant cinq morts dont le chef du mouvement des taliban pakistanais, Hakimullah Mehsud), la chercheuse Linda Robinson de la Rand Corporation et auteur d'un livre qui vient de paraître, One Hundred Victories: Special Ops and the Future of American Warfare, intervient dans le débat actuel et met en garde contre le recours systématique aux frappes. Elle le fait non pas pour des raisons éthiques mais parce que la destruction d'objectifs par des raids de drones armés s'effectue, selon elle, trop souvent au détriment du renseignement. Même si les frappes tactiques sont des succès (c'est le fameux 3F: find, fix, finish), elles ne peuvent pas donner un avantage stratégique, à la différence d'un raid lancé par des forces spéciales qui, s'il réussit, va permettre de faire des prisonniers, de saisir du matériel et de collecter du renseignement. Linda Robinson développe ses vues dans un récent article («The downside of drones») paru sur le site USNews. Elle est en phase avec son livre qui met l'accent sur la contribution des forces spéciales dans la cruciale collecte du renseignement et dans la guerre contre le terrorisme. Et elle affirme que, même si les opérations des forces spéciales peuvent avoir un coût humain, le risque de pertes ne doit pas légitimer un recours systématique aux drones: «Simply minimizing risk to U.S. lives is not a sufficient calculus» ("Réduire le risque de pertes en vies américaines n'est pas un bon calcul"), écrit-elle.
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L’Institut d’Etudes Géopolitiques de Genève, le Musée des Suisses dans le Monde et La Revue Militaire Suisse vous invitent à la conférence : Europe Mad Max demain? Vers la défense citoyenne Par le Professeur Bernard Wicht, expert en stratégie et histoire militaire, membre du Conseil Scientifique de l’Institut d’Etudes Géopolitiques de Genève

De nos jours, on peut se demander si des organisations sans territoire, mais dotées d’une réelle puissance financière et militaire, ne sont pas en train de supplanter l’État-nation ou, tout au moins, de le concurrencer de manière décisive: d’un côté, les diverses formes de groupes armés (des guérillas aux réseaux terroristes sans tête, en passant par les mafias ou les diasporas militairement organisées), de l’autre, les sociétés militaires privées (SMP). Si, dans ces conditions, l’ordre politique de l’État se délite, où se situe la participation des citoyens à la gestion des affaires communes ? Le retour de l’initiative individuelle via le web ne s’inscrit pas dans une logique de citoyenneté, mais dans une logique de «cause», celle nécessaire pour se battre. Mercredi 20 novembre 2013 à 18h30 Au Musée des Suisses dans le Monde – Domaine du Château de Penthes Salle Lefort Chemin de l’Impératrice 18, 1292 Pregny-Chambésy Prière de réserver votre place (nom et domaine d’activité professionnelle) : contact@geopolitics-geneva.ch
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Le Sword de Sagem Outre le drone Patroller, présenté sur le stand de l’entreprise française au salon britannique de la défense, Sagem a dévoilé à Londres une évolution de sa jumelle multifonctions JIM LR. Baptisé Sword, la JIM LR se dote d’une capacité de détection acoustique de tir, grâce à l’ajout du système Pearl de Metravib-Alcoem. Outre l’intégration mécanique de la boule de détection sur la JIM LR, Sagem a également réalisé une intégration logicielle, afin d’afficher les données de localisation dans la lunette. Depuis l’Afghanistan, la détection acoustique de tir est devenu un incontournable, faisant les beaux jours de la PME française, qui a vendu son système partout dans le monde. Les évolutions sur la portabilité lui permettent aujourd’hui d’être intégrée sur divers systèmes d’armes. Sagem avait réfléchi sur le sujet dans le cadre du programme «Felin» et étudié une solution de détection installée sur le casques du fantassin (le casque devenant un véritable capteur acoustique), mais les difficultés techniques et humaines se sont avérées trop importantes. Sagem propose également le système de détection acoustique de tir Deloc sur le tourelleau téléopéré WASP, en service dans l’armée française sur le PVP. Pour la JIM LR, tout en conservant ses capacités d’observation, l’ajout du Pearl lui permet de devenir un véritable centre de détection multi-capteurs. Thales lance la Sophie Lite L’autre grand industriel spécialisé dans les jumelle multi-fonctions, c’est Thales, qui a dévoilé sur ce marché une nouveauté durant le salon DSEI. La jumelle optronique Sophie, bien connue et vendue à de nombreux pays, perd du poids et de l’encombrement. Elle passe de 3 à 1,6 kg, pour des capacités qui ne sont pas revues à la baisse (imagerie, thermale TV/IR, compas, GPS, télémétrie), elle gagne même un pointer laser et une interface flexible pour d’autres applications (ports USB etc.).
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Allemagne: Plus de Phantômes dans le placard ?

Alexandre Vautravers Rédacteur en chef, Revue militaire suisse (
Le 29 juin 2013 à Wittmund près de Wilhelmshaven, la Bundesluftwaffe a pris congé, devant 130'000 personnes, de ses dix derniers F-4F Phantom d’active, après 40 ans de bons et loyaux services. Cet appareil –et son retrait– sont tout un symbole. Sommes-nous en train de faire le ménage ? Est-ce le signal que la Bundeswehr fait table rase du passé ? Le chasseur-bombardier F-4 Phantom vole pour la première fois aux USA en 1958. Il est produit à plus de 5'000 exemplaires pour les forces aériennes américaines, rend de fiers services au Vietnam, est exporté vers une dizaine de pays alliés dont le Japon, Israël, le Royaume-Uni, l’Iran… L’acquisition du F-4 en Allemagne, en 1973, s’explique de deux manières : tout d’abord, la volonté de disposer au sein de la « jeune » Luftwaffe –recréée seulement en janvier 1956 à partir d’engagés volontaires ; les conscrits n’ont été intégrés qu’à partir de 1958- d’un appareil bimoteur, plus fiable et plus sûr que le F-104 dont la centaine d’accidents mortels lui a valu le surnom de « faiseur de veuves. » Ensuite, parce qu’au début des années 1970, la crise économique entre les USA et ses partenaires européens est montée à son paroxysme, avec la rupture de l’étalon-or et du marché des changes à taux fixe, ainsi que les accords de Bretton Woods. L’achat d’un appareil américain, coûteux, est alors un moyen de compenser le déséquilibre de la balance des paiements transatlantiques – une sorte de paiement en retour pour le Plan Marshall et son corolaire, le Military Assistance Program (MAP). Si cet avion a relativement peu évolué au cours des décennies, l’Allemagne et la Bundeswehr ont, elles, bien changé. Aujourd’hui en effet, il est difficile d’imaginer la Bundeswehr acquérir un appareil 100% américain ; au contraire, tout a été fait depuis les années 1980 pour développer une industrie aéronautique intégrée en Europe – c’est-à-dire Airbus et EADS. L’industrie allemande est entre-temps devenue le premier producteur et exportateur d’armements européen. L’Europe de la défense existe et l’on ne va plus s’entraîner au Canada, mais en Sardaigne ou en Scandinavie. Durant la guerre froide, la République fédérale allemande (RFA) a été très timide dans ses achat de matériels de guerre, renonçant sciemment aux armements les plus performants afin d’exorciser les démons du passé et de rassurer ses partenaires. Le F-4F était un appareil allégé par rapport au modèle américain, ne disposant pas de missiles à longue portée. Aujourd’hui, la baisse des budgets de défense et la rationalisation empêche toute fabrication « sur mesure » et impose les partenariats industriels, tout comme la mise en commun (pooling) des moyens : c’est la philosophie du Tornado (tri-national) puis de l’Eurofighter (7 utilisateurs, dont 5 européens). On imagine aussi mal la Bundeswehr disposer, aujourd’hui, d’un matériel uniquement destiné à la défense territoriale – tant dès son origine en 1949, il est clair que celle-ci n’a de sens et de légitimité qu’au sein de l’OTAN, constituée la même année. En 2012 les F-4F ont été engagé pour protéger l’espace aérien des Etats baltes. L’Allemagne a fourni, après les Etats-Unis, le second plus important contingent à l’ISAF, en Afghanistan, avec plus de 5'000 soldats déployés. Depuis 2010, la Bundeswehr a abandonné la conscription et est devenue une armée professionnelle, vouée à être engagé pour des missions infra-guerrières de stabilisation ou de gestion de crises (dites de Petersberg) dans un cadre multinational. Le Phantom, obsolète déjà il y a vingt ans, a été maintenu en service en raison des hésitations stratégiques et politiques. A la fin de la guerre froide, la réunification des deux Allemagnes a primé sur toute autre considération, obligeant à faire des sacrifices économiques et stratégiques. On a même maintenu pendant une décennie, dans la même escadre, le F-4F et son concurrent de la guerre froide : le MiG-29 issu de l’ex-NVA. Tout cela pour ménager les esprits de l’Est et de l’Ouest, imposant une décennie de procrastination stratégique aux partenaires européens et prenant des distances avec les fournisseurs intéressés aux USA. L’influence des intérêts politiques dans la politique de sécurité allemande est évidente, allant parfois à rebours des intérêts économiques. Mais il est tout aussi intéressant de constater l’utilisation de la politique d’armement en tant que véritable « soft power » allemand. A+V Pour en savoir plus : Alexandre Vautravers, « F-4F : 40 ans et toutes ses dents, » Revue militaire suisse (RMS) Thématique Aviation, septembre 2013.
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21 juin 2013.- L'Armée de l'Air souhaite acquérir, à l'horizon 2016, une vingtaine d'avions suisses Pilatus PC-21 pour la formation et l'entraîement de ses pilotes, a laissé entendre le général Mercier, chef d'état-major, lors d'une rencontre avec la presse au Salon du Bourget. Ces appareils sont équipés d'un cockpit très moderne, qui les apparente à un avion de chasse, le coût de l'heure de vol étant sans comparaison... Le PC-21 servira à la fois à la formation initiale – qui quittera sans doute Tours pour Cognac – puis pour les abonnés, les pilotes affectés en dehors des escadrons de chasse. C'est l'idée de la différenciation de l'entraînement, afin de disposer d'un deuxième cercle de pilotes permettant de conduire des opérations aériennes dans la durée. En revanche, le chef d'état-major de l'Armée de l'ASir exclut l'emploi de ce type d'appareil pour des missions d'appui-feu dans des conflits comme le Mali. «Je n'y crois pas une seule seconde», affirme-t-il, en expliquant que ce type de guerre a besoin des technologies de pointe des Rafale. Le PC-21 est l'un des rares appareils modernes disponibles sur le marché, avec le Super-Hawk britannique et le futur Aermacchi-345 italien. Reste un problème : le PC-21 est un appareil suisse. Ce pays vient de refuser d'acheter des Rafale.
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1. Ces jours-ci, l’agenda politique est dominé par le quatrième amendement de la Loi fondamentale. La vague provoquée, surtout dans les organisations internationales, ne se calmera pas de sitôt. Il est naturellement question du texte de la loi, ainsi que de certains arrêtés qui, avec l’amendement, seront inclus dans la Loi fondamentale. Et les objections et les autojustifications se limitent à ces réglementations. L’article ne se concentre pas cependant à cet amendement..Il suffit de dire que la quasi-totalité des règles destinées à être incluses dans la Loi fondamentale, a fait l’objet d’un examen approfondi de la part de la Cour constitutionnelle qui a statué sur leur incompatibilité avec cette même loi, et les a annulées. Le présent amendement de la Loi fondamentale ne tient compte que rarement, et alors aussi seulement d’une manière partielle des objections formulées par la Cour constitutionnelle. Il est impossible donc de dire que − maintenant, lorsqu’on incorpore dans le texte même de la Constitution certaines règles à la place des arrêtés transitoires, − on ne fait que suivre les verdicts de la Cour constitutionnelle en effectuant uniquement la « correction » de fautes formelles. C’est que la racine du problème est justement la manière et les raisons pour lesquelles ces réglementations furent incluses dans les arrêtés de transition de la Loi fondamentale. Ce qui vient d’être dit montre bien que le constitutionnalisme ne peut être jugé uniquement sur la base du texte de la Constitution. La vie de la Loi fondamentale est partie intégrante de la constitutionnalité. Il s’agit de son suivi, de sa force coercitive, de son acception, de son autorité et surtout de sa solidité. La Constitution ne s’intègre dans l’identité nationale qu’au bout d’un processus long et évolutif, caractérisé par un dialogue ininterrompu. Même si on a toutes les raisons de poser la question − comment et dans quelle mesure le présent amendement de la Loi fondamentale restreint certains droits fondamentaux et l’indépendance des institutions −, il est cependant beaucoup plus important de comprendre que la situation actuelle soulève des problèmes bien plus généraux et graves non seulement dans la perspective de faire respecter la Constitution, mais aussi pour la survie de son identité et pour le mode de fonctionnement de la majorité habilitée à effectuer des amendements. 2. D’après la Loi fondamentale, dès le commencement, c’est-à-dire depuis le 2 mai 1990, la «nouvelle démocratie et l’ordre constitutionnel de notre patrie» [la Hongrie] repose sur la division et la séparation de différentes branches du pouvoir, sur leur équilibre et leur coopération. Cela a été fixé et dans la nouvelle constitution hongroise au moment du changement de régime, et dans la Loi fondamentale adoptée en 2011. Dans ce système, la Cour constitutionnelle est l’organe suprême de protection de la Loi fondamentale, tandis que l’Assemblée nationale est le principal organe représentatif en Hongrie. Chacune est «suprême» dans son domaine de compétence. Il est important à noter qu’au-delà de sa fonction représentative, la Loi fondamentale ne qualifie pas le Parlement même en général comme l’organe suprême du «pouvoir d’état». Le statut juridique du Parlement au-dessus de tout, était une caractéristique du système de parti unique communiste. Il existe bien sûr, des régimes démocratiques dans lesquels le Parlement exerce seul le pouvoir suprême. Mais, dans ces cas, notamment en Grande-Bretagne ou en Suisse, il y a d’autres contrepouvoirs, traditionnels et politiques. Dans l’histoire de la Hongrie, cependant, la Cour constitutionnelle a joué un rôle prépondérant dans la réalisation de la première démocratie constitutionnelle. Que ce soit en Hongrie, ou plus généralement en Europe Centrale, les systèmes parlementaires aux pouvoirs illimités n’ont jamais été démocratiques, et ils sont de sinistre mémoire historique. 3. Les élections de 2010 ont permis au FIDESZ d’acquérir une majorité parlementaire de plus des deux tiers. Cela est largement suffisant et pour les amendements et pour faire adopter une nouvelle Constitution. Les aspirations de la majorité parlementaire d’étendre son pouvoir essentiellement au détriment de la magistrature et de la Cour constitutionnelle ont été perceptibles aussitôt après les élections. Dans un premier temps, cela est apparu dans la Constitution sous la forme de la réglementation des dispositions personnelles. Telle fut la retraite obligatoire des juges, ou encore l’éviction du président de la Cour suprême par le truchement de la nouvelle règle de l’élection du président de la Kúria (nouveau nom de la Cour suprême). D’abord (et immédiatement après les élections) les restrictions concernant la Cour constitutionnelle furent aussi introduites dans la Constitution par le biais de l’augmentation du nombre des juges, et d’une nouvelle réglementation de l’élection des juges et de celle du président. Tout cela garantissait l’influence de la majorité parlementaire sur la composition de la Cour. La lettre et la pratique du système politique et juridique défini dans la Constitution, s’éloignent l’une de l’autre. La Constitution a commencé à être utilisée comme instrument au service de la réalisation des objectifs de la politique du jour: sur la base de motions individuelles, la Constitution fut modifiée à plusieurs reprises, pratiquement sans le moindre débat sur le fond. Qui plus est, les 13 amendements adoptés avant l’entrée même en vigueur de la Loi fondamentale (1er janvier 2012) ont apporté deux fois plus de modifications. Tout cela n’a fait qu’anéantir la solidité et l’autorité de la Constitution. Cependant, les modifications n’avaient pas encore effectué la redéfinition des fondements du système constitutionnel. Toutefois, la restriction des compétences de la Cour constitutionnelle était une exception sévère, qui sonnait comme un avertissement. Dès l’automne 2010, elle mettait fin au contrôle de constitutionnalité des lois touchant aux finances publiques.L’adoption des lois anticonstitutionnelles était désormais devenue possible. C’était un coup sévère infligé au système constitutionnel. D’autant plus qu’il ne s’agissait nullement de questions personnelles, c’était bel et bien une restriction qui limitait sérieusement les compétences de la Cour en tant qu’institution. Avec cette limitation, la majorité gouvernementale vengeait en réalité l’annulation d’une loi qu’elle considérait importante pour des raisons de propagande. En même temps, elle s’affranchissait également des contraintes de la Constitution pour mener sa politique économique à sa guise. Conséquence concrète de l’affaire: l’imposition rétroactive de l’indemnité de départ fut doublement inscrite dans la Constitution. Le fait d’inscrire un réglement dans la Constitution pour le soustraire ainsi à l’examen et à une éventuelle annulation par la Cour constitutionnelle, témoigne également de cette volonté d’affranchissement. On a pu observer la même chose dans un autre cas concret: notamment l’inscription dans la Constitution de l’emprisonnement effectif à vie. Cela a été fait de manière anticipée vu que la loi prévoyant la peine était encore en examen de constitutionnalité à la Cour constitutionnelle. C’était le prélude à l’affranchissement des contraintes de la constitutionnalité et du contrôle de la Cour constitutionnelle. 4. Le texte initial de la Loi fondamentale adopté en avril 2011 maintenait encore le système des droits fondamentaux et l’organisation de l’état, inscrits dans la Constitution précédente. La protection de la constitutionnalité restait la tâche de la Cour constitutionnelle. (La restriction de la compétence dans le domaine des finances publiques était maintenue.) Mais à partir de ce moment – surtout au sujet des lois qui selon la Loi fondamentale ne pouvaient être adoptées qu’avec une majorité des 2/3 du Parlement – c’est devenu une pratique courante d’inscrire dans la Constitution les dispositions législatives que la Cour constitutionnelle avait déclaré anticonstitutionnelles. L’objectif était que la Cour constitutionnelle ne soit plus en mesure de les examiner et de les annuler. Le Parlement a introduit les dispositions contraires à la Loi fondamentale dans les dispositions transitoires de cette même loi. Quand le Médiateur a demandé à la Cour constitutionnelle d’examiner ces dispositions transitoires, l’Assemblée nationale les a déclarées partie intégrante de la Loi fondamentale – voulant ainsi assurer l’impossibilité de leur examen. 5. Avec cette procédure devenue routine, la majorité gouvernementale de l’Assemblée nationale a transformé le système constitutionnel d’une manière contraire à la Loi fondamentale. Elle n’a pas accepté la décision de la Cour constitutionnelle comme valable pour tous, mais s’est employée à la réviser, en se réservant le droit d’avoir le dernier mot en matière de constitutionnalité. Ce système nous est bien connu par le modèle d’interprétation de la Constitution, datant de la première période du socialisme, quand – la doctrine socialiste mettant le Parlement au-dessus de tous les autres organes de l’état – les conseils constitutionnels ou même des organes appelés Cour constitutionnelle n’avaient aucun droit d’annuler les lois, car la décision finale revenait au Parlement. C’était justement en opposition à ce système que la Constitution de la démocratie hongroise avait institué une véritable Cour constitutionnelle. Son rôle et statut juridique de défenseur de la constitutionnalité même contre le législateur furent expressément maintenus par la Loi fondamentale. 6. Dans la situation exceptionnelle où l’Assemblée nationale pratiquait l’intégration des dispositions anticonstitutionnelles dans la Loi fondamentale, allant ainsi à l’encontre de la susdite loi, la Cour constitutionnelle fit des efforts pour remplir son devoir constitutionnel et défendre la Loi fondamentale. Dans plusieurs décisions elle a incriminé les motions individuelles et la pratique de l’adoption des amendements dans une très brève procédure, expliquant les dangers que cela représente pour l’état de droit. En fin de compte, la Cour constitutionnelle dut affronter le problème de l’amendement anticonstitutionnel. Pour pouvoir remplir son rôle dans cette situation exceptionnelle, elle fut obligée de changer sa position préalable – définie pour des conditions normales –, selon laquelle elle n’examine pas les amendements. Nous pouvons suivre les étapes de cette prise de conscience dans les décisions. Il est intelligible que là, où cela était possible, la Cour constitutionnelle a établi l’anticonstitutionnalité formelle, cette possibilité étant généralement acceptée. À ce sujet, c’est dans sa dernière décision, en examinant justement les dispositions transitoires, qu’elle est allée le plus loin. Dans celle-ci, la Cour constitutionnelle a formulé des exigences substantielles en ce qui concerne la constitutionnalité des amendements. Elle a clairement énoncé que dans l’état de droit démocratique, il y a des critères substantiels permanents et irréductibles de constitutionnalité dont la Cour constitutionnelle peut contrôler la validation même à l’occasion d’un amendement. Elle a clairement indiqué que les amendements ne doivent pas conduire à des contradictions irréconciliables dans la Loi fondamentale. Elle a également réagi contre la pratique des amendements ayant comme objectif la limitation des compétences de la Cour constitutionnelle. 7. En énumérant les compétences de l’Assemblée nationale, la Loi fondamentale ne fait aucune distinction entre le pouvoir d’adopter une Consittution (pouvoir constituant) et celui de l’amender. Qui plus est, les amendements sont adoptés par une Assemblée nationale qui se définit elle-même comme constituante. L’amalgame de ces deux types de pouvoir peut conduire à la conviction que les deux sont les mêmes, plus encore à la certitude que le pouvoir d’amender la Constitution est illimité, bien que la nature et l’étendue de ces pouvoirs soient différentes. Beaucoup de Constitutions précisent que le pouvoir d’amender la Constitution est limité. Par conséquent, elles définissent clairement les dispositions de la Constitution qui ne peuvent pas être amendées (clauses d’«immuabilité», d’«éternité»). Ce sont elles qui garantissent l’identité de la Constitution. Nous connaissons cependant de nombreux exemples aussi où − quand la Constitution elle-même ne contient pas de telles dispositions et qu’une crise constitutionnelle sévit, que l’amendement menace de changer l’identité même de la Constitution −, la Cour constitutionnelle a estimé être de son devoir de préserver l’identité de la Constitution et a déclaré l’anticonstitutionnalité de l’amendement. Pour cela, il est naturellement nécessaire d’identifier les dispositions qui constituent l’identité de la Constitution. Cela signifie qu’il faut établir une hiérarchie claire entre les dispositions de la Constitution. La Cour constitutionnelle hongroise a toujours classé par exemple les droits fondamentaux (mettant la dignité humaine et l’inviolabilité de la vie en tête, mais en définissant d’autres droits «matriciels» également). À présent, sous la pression de la situation et de son devoir constitutionnel, la Cour constitutionnelle a pris le chemin de préserver l’identité de la Constitution en examinant les amendements. 8. Le quatrième amendement barre justement cette route. Il énonce expressément que la Cour constitutionnelle ne peut examiner la Loi fondamentale et les amendements qu’en fonction des exigences procédurales qui se réfèrent à leurs création et proclamation. Par conséquent, il limite aussi exclusivement aux exigences procédurales, le droit du président de la république a saisir la Cour constitutionnelle. Cela permet à la majorité des 2/3 d’adopter n’importe quelle disposition en la qualifiant d’amendement, fut-elle en contradiction flagrante avec d’autres dispositions de la Loi fondamentale. Le quatrième amendement de la Loi fondamentale ratifie la situation dans laquelle l’Assemblée nationale s’arroge le droit de superviser l’activité de la Cour constitutionnelle déployée en faveur de la défense de la Constitution. Se crée ainsi un fossé entre le régime constitutionnel inscrit dans la Loi fondamentale et la situation réelle. Car, dans cet état des faits – à l’opposé de la structure des organes suprêmes de l’état, définie dans la Loi fondamentale – la Cour constitutionnelle n’est plus l’organe suprême de protection de la Loi fondamentale. L’affermissement du système contraire à la Loi fondamentale est réalisé exclusivement avec des règles restrictives. Le texte modifié de la Constitution ne dit pas l’essentiel, c’est-à-dire la nature du changement, car sur le papier, la Cour constitutionnelle reste à l’avenir aussi le gardien suprême de la Constitution. De ce point de vue, la modification du système reste pratiquement invisible. Dans le texte de la Constitution ne figure que l’interdiction de l’examen constitutionnel des amendements. C’est cela la Constitution invisible de la majorité des 2/3 qui vit dans l’attitude des partis gouvernementaux. Dans la Loi fondamentale n’apparaissent strictement que les règles régissant les compétences, et qui excluent les corrections et rendent impossible tout retour à un état constitutionnel. Leur sens n’est perceptible que par et pour celui qui scrute la vie de la Constitution dans son ensemble et son application pratique. 9. Comparé à cette perte, le fait que l’amendement abroge toutes les décisions de la Cour constitutionnelle prises avant l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale devient quasiment minime. Bien sûr, cela ne signifie nullement que les lois auparavant annulées reprennent vie. Cependant, nous ne devons pas oublier que les décisions ne comportaient pas seulement les annulations, mais encore bien plus et des choses beaucoup plus importantes du point de vue de l’ordre constitutionnel: des exigences constitutionnelles pour la future législature, des principes, des clarifications et des interprétations des concepts, un système fondé sur des principes. C’est pourquoi, il s’agit de bien plus que d’un coup symbolique porté à deux décennies de développement constitutionnel de «la nouvelle démocratie de notre pays». Car désormais la plus grande partie du droit constitutionnel hongrois en vigueur contenu dans les décisions de la Cour constitutionnelle, perd son caractère obligatoire. Afin que formellement ce droit redevienne à nouveau opérant, il doit être redécouvert et la Cour constitutionnelle doit de nouveau l’énoncer. On peut seulement espérer que l’idée une fois pensée, est indestructible. Que la continuité de notre culture constitutionnelle va persister. 10. Avant que la porte se ferme et que s’établisse, d’une manière quasiment irrévocable, un état contraire à la Loi fondamentale initiale, il ne reste qu’une ultime solution: le veto du président de la république. Avec une interprétation restrictive de la Loi fondamentale, on peut argumenter que cette possibilité n’existe pas dans le cas de l’amendement. Il y a des arguments cependant, selon lesquels le président de la république peut saisir la Cour constitutionnelle quand c’est pratiquement l’identité de la Constitution qui est modifiée, et quand la contradiction entre le texte même de la Constitution et la pratique de la majorité parlementaire est devenue pour ainsi dire irrémédiable. Car ce qui se passe en réalité, ce n’est pas un amendement, mais davantage une introduction insidieuse d’une nouvelle Constitution, avec une toute autre identité. Le président de la république est devant un choix où il doit interpréter sa fonction et sa vocation: veiller au fonctionnement démocratique de l’appareil de l’état. La décision finale, c’est-à-dire l’interprétation obligatoire de la Loi fondamentale concernant les compétences du président de la république et la constitutionnalité de l’amendement en question, est aujourd’hui encore, la possibilité et le devoir de la Cour constitutionnelle.* Budapest, le 11 mars 2013, jour de l’amendement de la Loi fondamentale. * Le Président de la république, M. János Áder a signé et proclamé l’amendement de la Constitution le 16 mars 2013. En même temps, l’amendement de la Loi fondamentale est examiné par la Commission de Venise, et aussi par le Parlement Européen et la Commission Européenne. Dans cet examen, le plus important est de ne pas se limiter à certaines dispositions concrètes qui peuvent être l’objet de discussions sans fin et qui surtout n’expriment pas l’essentiel des modifications concernant la constitutionnalité, et toute la culture constitutionnelle hongroise. Cet article a voulu signaler que le tout est toujours plus que la somme des parties et c’est pourquoi la situation ne peut et ne doit être jugée que de la perspective de l’ensemble du processus. (Traduit du hongrois par Attila Jakab) LÁSZLÓ SÓLYOM (Pécs, 1942) 1983−2012 professeur de droit civil à l’Université Lóránd Eötvös de Budapest, à l’Université Catholique Péter Pázmány de Budapest, 1989−90 Viceprésident, 1990−98 Président de la Cour Constitutionnelle, 1998−2005 membre de la Commission de Venise, 2005−2010 Président de la République Hongroise.
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Toute une époque ! Les derniers chars Abrams de l'Armée américaine ont quitté, le 18 mars, le sol allemand. Dans la plus grande discrétion, l'embarquement à Kaiserslautern, non loin de la frontière française, de 22 blindés a marqué le dernier épisode d'une histoire vieille de soixante-neuf ans, celle de la présence de blindés américains en Allemagne. A son apogée, durant la Guerre froide, la présence occidentale outre-Rhin a comporté jusqu'à 20 divisions blindées de l'OTAN, soit quelque 6’000 chars. Il y avait peu de monde, peu de journalistes et peu d'officiels de l'OTAN ou d'ailleurs pour confirmer le propos du lieutenant-colonel Wayne Marotto, un porte-parole du commandement de soutien aux opérations de l'armée américaine : «Il n'y a plus de char sur le sol allemand, c'est un moment historique.» Depuis juin-juillet 1947 et la réelle division de l'Europe en deux blocs, avec la rupture définitive entre Occidentaux et Soviétiques au sujet du sort de l'Allemagne, bien du chemin a effectivement été parcouru. Tensions Est-Ouest En mars-avril 1948, en pleine tension Est-Ouest, les Européens demandèrent une coopération et une participation américaine à leur protection. Le principe allait être accepté par le Sénat américain. Le 18 mars 1949 était publié le texte du traité de l'Atlantique Nord avec, entre autres un article 5 disposant que «les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties.» Un caractère exclusivement défensif de l'OTAN approuvé et entériné, le 4 avril 1949, par un accord signé par 12 pays à l'époque, malgré les protestations des pays du pacte de Varsovie, qui présentaient l'Alliance atlantique comme offensive et dirigée exclusivement contre l'Union soviétique. L'Allemagne allait adhérer à l'Alliance en 1955, une étape que la France eut les plus grandes difficultés à accepter. Le retrait des derniers chars américains du territoire allemand confirme de manière très symbolique qu'après avoir mis l'Europe au centre de leur dispositif militaire pour contenir l'URSS, les Etats-Unis poursuivent leur réorientation stratégique. Depuis la présidence de Bill Clinton, dans les années 1990, ils allègent leur dispositif en Europe, resserrent leur réseau de bases en Méditerranée mais le développent dans les Balkans, en Asie et au Moyen-Orient. Les tentatives d'opposition russes à ce repositionnement sont fréquentes mais sans grand effet : la Russie est réellement encerclée sur le plan stratégique et les Etats-Unis installent de nouvelles bases à ses portes, disposant ainsi de centres névralgiques d'où pourraient être lancées des opérations dans la zone de la mer Caspienne et de l'Asie centrale, voire sur des cibles à l'intérieur de la Russie elle-même. «L'Europe n’a pas envie de parler de défense» Est-ce parce qu'il laissait entendre que le continent européen est désormais sûr ou, au contraire, parce qu'il est délaissé que le départ des derniers chars M1 est passé inaperçu ? «Personne n'a voulu d'une mise en scène et l'affaire révèle surtout la volonté générale en Europe de ne pas songer à des choses désagréables, juge François Heisbourg. Les Russes s'arment, les Etats-Unis n'ont pas envie de parler de l'Europe, l'Europe n'a pas envie de parler de défense», estime le conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique. Le char Abrams comme témoignage d'une époque que l'on n'a pas aimée et que l'on préfère oublier ? Confrontés à leurs difficultés budgétaires et au repositionnement américain, qu'ils préfèrent minimiser, les Européens semblent parfois se mettre la tête dans le sable. A Moscou, pendant ce temps, on songe à multiplier les tests de capacités, comme l'ont montré des incidents aux frontières de la Scandinavie ou de la Pologne au cours des dernières années. Une Guerre tiède ? Le Monde géo et politique, 14 mai 2013.
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AgustaWestland (Finmeccanica) travaille sur drone électrique et convertible. Le constructeur croit définitivement au concept de rotor basculant. Après son AW-609, l'hélicoptériste italo-britannique a dévoilé, au début du mois de mars 2013, un nouveau Tiltrotor avec son Project Zero. Un démonstrateur de drone électrique doté de deux rotors basculants. Conçu et fabriqué en à peine six mois, le Project Zero s'est envolé pour la première fois, dans 1e plus grand secret, en juin 2011, à Cascina Costa, en Italie. Un essai captif qui a été suivi de vols libres stationnaires au sein d'une zone sécurisée. Malgré six mois de tests, aucun essai de translation ne semble avoir eu lieu à ce jour.

Mi-avion, mi-hélico La structure de l'aéronef est largement faite de matériaux composites. Notamment sa surface extérieure en carbone et graphite. Il dispose de deux hélices carénées. Placées à l'horizontale, e1les assurent, comme sur un hé1icoptère, la sustentation de 1'appareil lors des phases d'atterrissage et de décollage. Elles peuvent ensuite basculer progressivement à plus de 90o vers l'avant et fournir la propulsion du drone. L’essentiel de 1a portance est alors assuré par les deux ailes. Celles-ci sont amovibles pour les missions uniquement «hélicoptère». Des élevons, en arrière de la voilure, assurent le tangage et le roulis, tandis que la stabilité longitudinale est obtenue grâce à un court empennage double, taillé en V. Selon les brevets déposés aux Etats-Unis er en Europe, le Project Zero est conçu pour atteindre et maintenir une vitesse de croisière d'environ 500 km/h, au-de1à des 300 km,/h de vitesse de croisière d'un hélicoptère. Il devrait être capable d'opérer à une altitude de 7500 m. Tout l'appareil est articulé autour de son moteur électrique. Les rotors et 1es gouvernes sont mus par des actionneurs électromécaniques. Il est ainsi dépourvu de systèmes de transmission mécanique ou hydraulique, d'où une cellule allégée. Cet aspect à 100% électrique lui permet aussi d'évoluer dans des environnements dépourvus d’oxygène. Par ailleurs, ses batteries peuvent être rechargées de façon autonome, au sol, l'appareil se servant alors de ses hélices comme éoliennes. (…) Une motorisation hybride électrique-diesel est à 1'étude avec Ansaldo Energia, tandis que Selex ES travaille sur la gestion logicielle des commandes de vol, et AnsaldoBreda sur l'onduleur du moteur électrique et son algorithme de contrôle. Agusta Westland souligne que c'est la première fois qu'une telle coopération a lieu à 1'échelle du groupe. Une dizaine d'industriels étrangers (du Japon, des Etats-Unis...) sont aussi concernés par le projet. Air & Cosmos No 2353, 5 avril 2013.
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«Vigipirate» en France

D’après capitaine Lionel Pétillon – Armée et Défense, Réserve et
Le Premier ministre, en accord avec le Président de la République, détermine le niveau d'alerte applicable sur le territoire. Les mesures de vigilance, de prévention et de protection sont ensuite déclenchées et mises en œuvre par les différentes autorités publiques ou privées : services de l'État, collectivités territoriales, SNCF, RATP, aéroports, etc.

Les mesures de base, indispensables même en l'absence de menace grave, constituent la posture permanente de sécurité. S'y ajoutent des mesures graduées qui sont réexaminées régulièrement par les services spécialisés selon un rythme adapté à l'évolution de la situation nationale et internationale. «Vigipirate» est déclenché pour la première fois le 2 janvier 1991, au début de la guerre du Golfe. Les mesures préparées pour chaque niveau répondent à des objectifs précis. La mise en place, à compter du 20 mars 2003, d'un code couleur pour les niveaux d'alerte, a permis de rendre le dispositif très lisible, facilitant une réelle prise de conscience par la population. «Vigipirate» comporte dès quatre niveaux d'alerte rendus publics, matérialisés par les couleurs jaune, orange, rouge et écarlate. Le niveau le plus faible (jaune) est celui d'une menace diffuse. Le plus élevé (écarlate) vise à prévenir le risque imminent d'attentats majeurs. Cette décision intervient lors du déclenchement de la Guerre d'Irak, le niveau orange étant alors décrété. Depuis le 7 juillet 2005, date de la première vague d'attentats dans les transports en commun de Londres, «Vigipirate» a constamment été maintenu au niveau rouge; l'état de la menace terroriste pesant sur la France n'ayant pas diminué. Le démantèlement de cellules terroristes dans plusieurs pays d'Europe a confirmé le niveau élevé de cette menace. «Vigipirate» comprend plus de 400 mesures qui touchent tous les secteurs de la société. Certaines sont actives, d'autres ne le sont pas mais peuvent l'être en fonction de l'évolution de la menace terroriste qui fait l'objet d'un suivi permanent. La contribution militaire Depuis 1996, «Vigipirate» a fait patrouiller plus de 200’000 militaires des trois armées. Environ 1’200 militaires (chiffres d'août 2012) sont impliqués en permanence. Au niveau terrestre, environ 650 hommes des trois armées sont mobilisés dont 450 en Ile-de-France et 200 sur le reste du territoire national. Parmi eux, un certain nombre de réseevistes, près d'un millier par an ! Parmi les 1’741 réseryistes ayant servi en 2008 dans le cadre d'une MISSINT, 975 ont été affectés à «Vigipirate» (927 en 2009). Selon un rapport de la Commission consultative des réservistes de l’Armée de terre, les objectifs du Commandement des forces terrestres pour juillet-août 2012 étaient, en termes de contribution de la réserve aux engagements opérationnels, de puiser dans la réserve au moins le 50% des effectifs «Vigipirate». En complément du dispositif terrestre, «Vigipirate» comprend également un dispositif d'alerte permanent pour la défense aérienne et maritime. Il se caractérise par le contrôle de l'espace aérien (patrouilles aériennes et surveillance des zones sensibles telles que les centrales nucléaires) et survol des approches maritimes et des ports. «Vigimer» est assumé par environ 300 militaires (marins et gendarmes maritimes), 2 bâtiments, 59 sémaphores et 1 avion de patrouille maritime. La posture permanente de sécurité aérienne compte environ 220 militaires, 8 avions de combat, 5 hélicoptères, 1 avion C-135 et un avion E-3F.
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A court terme, vers quelle Europe se dirige-t-on ?[1] La question est loin d'être académique. Effondrement de l'UE ou raidissement sous forme d'une fédéralisation forcée ? A priori les deux options sont envisageable dans le climat actuel, cependant la seconde hypothèse me semble la plus vraisemblable compte tenu de la dynamique générale qui s'est enclenché avec la crise de l'euro. En effet, si l'on suit les explications de l'historien britannique Niall Ferguson, spécialiste de la monnaie, il est plus facile de sortir de l'UE que de l'euro[2]. Si le Traité de Lisbonne prévoit la possibilité pour un État de quitter l'Union, ce n'est pas le cas pour l'euro où aucun mécanisme n'est prévu en la matière; un peu comme les conquistadores des Grandes Découvertes, l'UE a semble-t-il brûlé ses vaisseaux et rendu un retour en arrière quasi-impossible. De plus, matériellement une sortie de l'euro signifierait pour les États fortement endettés que leurs actifs seraient libellés en (nouvelle) monnaie nationale (drachme, lire, pesetas, etc.) tandis que leurs passifs resteraient libellé en euro: donc banqueroute assurée pour ces pays. A cette première explication touchant la quasi impossibilité de sortir de la monnaie unique tant institutionnellement que concrètement, Ferguson en ajoute une deuxième: une monnaie nécessite impérativement un système fiscal et budgétaire unifiés, c'est la condition fondamentale de son fonctionnement à moyen et long terme. A mon avis, ce sont ces deux éléments structurels qui imposent une fédéralisation forcée de l'UE : une monnaie et l'appareil fiscalo-budgétaire l'accompagnant. L'euro a créé ainsi une dynamique débordant largement la capacité de décision des gouvernements, sans parler des réactions des populations. Il y a là un « moteur » au sens macro-historique, qui dicte le développement des sociétés en fonction de la logique défi-réponse[3]. On l'a d'ailleurs déjà vu à l'œuvre avec les changements de gouvernement en Italie et en Grèce, changements intervenus non pas suite à une élection mais sous la pression des marchés financiers. Ouvrons brièvement ici une parenthèse pour rappeler les trois moyens dont dispose un État pour faire face au surendettement public : 1) l'inflation ; 2) la mise en faillite ; 3) la confiscation de la fortune privée. Dans le cas présent, les deux premiers sont exclus. Car la monnaie unique rend impossible toute politique inflationniste nationale. Il en va de même d'une mise en faillite autoproclamée (comme le fit l'Argentine il y a une dizaine d'années) ; la simple velléité de l'ancien Premier Ministre grec de soumettre à référendum le plan de renflouement proposé par le couple franco-allemand a conduit à sa démission immédiate. Ceci indique également que pour se mettre en faillite, un État doit pouvoir s'appuyer sur l'accord ou le consentement tacite d'une large majorité de sa classe politique et de la population ; l'exemple grec et dans une moindre mesure italien tendent à montrer que c'est loin d'être le cas en Europe pour l'instant. Il ne reste donc que la confiscation de la fortune privée. A cet égard, les pressions exercées sur les banques suisses en vue de taxer par tous les moyens l'épargne qui s'y trouve, conjuguées à la propagande visant à dénoncer les « profiteurs » qui chercheraient par ce biais à ne pas payer l'impôt, tout ceci témoigne que c'est bel et bien cette troisième voie - la confiscation de la fortune privée - qui est envisagée pour faire face au surendettement public. Revenons au moteur évoqué plus haut à propos du rôle de la monnaie unique. Si une telle dynamique est à l'œuvre, vers quelle Europe fédérale se dirige-t-on : un « gouvernement européen » à Bruxelles comme semble le dire les décisions du dernier Sommet européen  de décembre 2011 (pacte budgétaire[4]), ou bien une autre forme plus ad hoc ? Là aussi, je vois plutôt la seconde possibilité. Les réunions à répétition du G20 à l'instigation principale de la France et de l'Allemagne, les rencontres entre chefs d'États et de gouvernements et les premiers mécanismes régulateurs créés en dehors du cadre de la Commission européenne, les invitations contraignantes adressées à ces occasions aux responsables des gouvernements concernés (Grèce, Italie, etc.),  le leadership assumé en la matière par la France (en apparence) et par l'Allemagne (réellement), tout cela indique une voie probable, à savoir non pas un fédéralisme dans le cadre institutionnel bruxellois mais une formule plus empirique dans laquelle, sous couvert intergouvernemental (Sommets, conférences ministérielles, réunions restreintes, etc.), l'Allemagne laisserait la France jouer le rôle de « puissance invitante » (afin de lui permettre de sauver la face) mais déterminerait le contenu de l'agenda réel. Outre les réunions en cascade précitées, un autre argument plaide en faveur d'une telle évolution: l'Allemagne connaît déjà au niveau national un système fiscal pouvant préfigurer celui d'une Europe fédéralisée « par contrainte ». Car, d'ores et déjà dans l'Allemagne des 16 Länder, il n'y a qu'un seul système fiscal au niveau fédéral; contrairement aux cantons suisses, les Länder ne disposent pas de compétences fiscales propres, ils ne lèvent pas l'impôt eux-mêmes. L'argent est collecté de manière centrale par le Bund et redistribué ensuite aux Länder au prorata de leur taille et de leur population. Un tel système peut donc très bien s'adapter à un cas de fédéralisation forcée. Et en tenant ainsi les impôts, on peut ensuite dicter les priorités des politiques budgétaires nationales; un peu comme le FMI et la Banque mondiale ont imposé, dans les années 90, des ajustements budgétaires aux États africains en contrepartie des prêts accordés. Au passage, on retrouve donc la préoccupation actuelle de plusieurs historiens d'une africanisation de l'Europe (Cosandey, Attali). Comment cette centralisation pourrait-elle se dérouler concrètement ? Les populations rempliraient-elles des déclarations fiscales « allemandes » qu'elles enverraient ensuite à Berlin ? Peu réaliste. En revanche, la formule du pot commun est utilisée de longue date dans l'UE pour différents programmes allant de la Politique agricole commune à la Recherche scientifique. Il est ainsi possible d'imaginer grosso modo un vaste pot commun rassemblant les finances des États européens en difficulté, pot commun géré par l'Allemagne (et sous présidence honorifique française) dictant la rigueur budgétaire nécessaire en contrepartie des plans de sauvetage octroyés à ces pays. A partir de là, la fédéralisation se réalise de fait, de manière pragmatique et empirique, sous la pression financière mais sans réforme institutionnelle de l'UE (que l'on sait vouée à l'échec depuis les référendums sur le projet de constitution européenne) - l'UE se trouvant en corollaire vidé, également de fait, de sa substance (Ferguson providebit). Conséquences d'une telle évolution: 1) fusion étatique accrue et accélérée sous leadership monétaire et financier franco-ALLEMAND; 2) manifestations, émeutes et révoltes se développant de manière endémique en réaction aux politiques d'austérité; 3) militarisation exponentielle des polices nationales en réponse aux émeutes et révoltes ainsi que recours croissant aux sociétés de sécurité privées pour faire face à l'ensemble des besoins. Il faut en outre supposer que, d'une part les mouvements de type Wikileaks et Indignés auront d'ici là suffisamment discrédité les classes politiques nationales et que, d'autre part, le spectre du chaos et de l'anarchie aura été suffisamment agité, pour permettre à cette fédéralisation de ne pas se heurter à un obstacle démocratique trop important ! Il est intéressant de relever que les trois conséquences susmentionnées correspondent presque trait pour trait à celles de la Grande Dépression médiévale des XIVe et XVe siècles. Cette dépression intervient en effet avec la saturation de l'économie féodale et débouche sur un renforcement du pouvoir des classes dominantes,  sur des révoltes urbaines (Ciompi à Florence, Jacques à Paris, etc.) ainsi que sur la militarisation accrue en raison des guerres endémiques et du recours à des mercenaires (les routiers)[5].   Bernard WICHT Privat-docent, Institut d'études politiques et internationales, UNIL [1] A ce stade, il est important d'insister sur cette dimension du « court terme », le moyen et long termes pouvant déboucher sur des conséquences assez différentes comme j'ai tenté de l'esquisser dans mon petit opuscule intitulé, Une nouvelle Guerre de Trente Ans : réflexion et hypothèse sur la crise actuelle, Nancy, Le Polémarque, 2011. [2] http://www.washingtonpost.com/opinions/why-eu-collapse-is-more-likely-than-the-fall-of-the-euro/2011/11/17/gIQAuY6wZN_story.html ; http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20110215trib000601439/pourquoi-la-survie-a-long-terme-de-l-euro-est-improbable.html [3] Il importe de rappeler que l'évolution fondamentale des sociétés découle rarement des décisions des gouvernements et des plans établis par eux, ni des réflexions des philosophes. La raison humaine (comprise au sens d'un comportement dicté par des principes et un raisonnement apparemment rationnel) ne joue donc pas grand rôle. La plupart du temps c'est la pure logique défi-réponse qui dicte cette évolution et la direction de celle-ci dépend des dynamiques à l'œuvre et non tant des « réponses humaines » que l'on tente d'apporter. Ces dynamiques découlent essentiellement de l'économie, de la démographie, voire de la construction du pouvoir (au sens de prédation et hégémonie). A titre d'exemple en ce sens, il est frappant de constater que les Etats-Unis voient leur évolution actuelle dictée non tant par l'analyse rationnelle des besoins du pays et de la population, mais bel et bien par une dynamique purement hégémonique craignant l'émergence d'un peer competitor : d'où les nouveaux programmes d'armement, la défense du dollar par déstabilisation de l'euro alors que, pendant ce temps, à l'intérieur la société se délite à grande vitesse (notamment : de nombreuses petites villes devant renoncer à tout service public, la drogue en provenance du Mexique gangrénant déjà une moitié des Etats de l'Union). Ce sont de telles dynamiques qui décident et non les protestations, les historiens du temps long de Toynbee à Braudel l'ont maintes fois souligné. [4] http://www.consilium.europa.eu/press/press-releases/latest-press-releases/newsroomrelated?bid=76&grp=20199&lang=fr&cmsId=339 [5] Guy BOIS, La grande dépression médiévale, XIVe - XVe siècles : le précédent d'une crise systémique, Paris, PUF, 2000 (Collection Actuel Marx Confrontation).
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L'été 2011 a été riche en péripéties à l'échelle mondiale. Dans l'ordre économico-financier, on a assisté successivement au quasi-défaut de paiement du trésor américain, à un quasi-krach boursier et à la poursuite de la chute vertigineuse de la monnaie européenne. Dans un ordre plus politique, on a assisté à l'escalade de la violence dans le monde arabo-méditerranéen, aux protestations massives en Espagne et en Israël, aux émeutes en Grèce et aux révoltes à Londres. L'été touchant à peine à sa fin, on peut s'attendre peut-être encore à d'autres événements de cette envergure. Alors que dire ? Peut-on dégager une interprétation d'ensemble de ces événements au-delà des commentaires déjà fournis par la presse ? Un tel exercice semble difficile. Car, finalement ces événements ne font que confirmer ce que nous savions déjà, c'est-à-dire l'instabilité des Etats (y compris les plus avancés) et la fragilité croissante de leur base. La confirmation de cette analyse est sans doute un élément important qui valide la pertinence des réflexions antérieures et de l'approche développée à ce sujet[1]. On pourrait ainsi se contenter d'un « je vous l'avais bien dit ! » et de toute l'autosatisfaction l'accompagnant. Mais, en matière de prospective stratégique, l'autosatisfaction est généralement mauvaise conseillère; c'est un oreiller de paresse particulièrement pernicieux en période de transformation rapide. Essayons donc de dépasser cet état d'esprit. Que peut-on déceler derrière les événements de cet été ? De notre point de vue, ceux-ci mettent en évidence trois paramètres de base : 1) la théorie du chaos, 2) la réduction du citoyen, 3) l'effondrement de l'espace méditerranéen.   1. La théorie du chaos Cette succession d'événements en l'espace de moins de quatre semaines nous renvoie à la théorie du chaos telle que formulée par les scientifiques depuis quelques décennies. Cette théorie postule en effet que le chaos n'est pas si « chaotique » et qu'il recèle son ordre propre qu'il convient de découvrir[2]. Cet ordre n'étant pas donné a priori, les scientifiques l'appréhendent de la manière suivante : 1) les phénomènes apparaissent à première vue aléatoires, sans lien les uns avec les autres, 2) seule une observation attentive permet de distinguer, à la longue, la mise en place d'une certaine logique, 3) l'accumulation de ces phénomènes finit par atteindre un seuil critique, au-delà duquel une simple perturbation peut entrainer des conséquences disproportionnées (effet papillon). A la lumière de cet été 2011, on saisit immédiatement tout l'intérêt de cette théorie. Dans la série d'événements susmentionnés, il ne semble pas y avoir de liens ni de corrélations les reliant les uns aux autres : la chute de l'euro n'est apparemment pas reliée aux révoltes de Londres, elles-mêmes n'ayant semble-t-il aucun lien avec le printemps arabe, et ainsi de suite. On comprend en revanche, dans ce contexte, combien une « perturbation mineure » pourrait déclencher.... une catastrophe ! Pour le stratège, c'est une situation très difficile à gérer. Le déclencheur peut paraître insignifiant, anodin... et pourtant se révéler décisif, si le seuil général des perturbations a atteint un niveau critique : on serait donc tenter de faire référence à la formule biblique, « sois prêt car tu ne sais pas quand le jour viendra ».   2. La réduction du citoyen ? Dans le monde occidental, que ce soient les émeutes grecques, le mouvement espagnol des indignés, les manifestations israéliennes ou les révoltes londoniennes, grosso modo deux types d'acteurs semblent se dessiner dans ces affrontements. D'un côté, on voit des couches de populations sans participation effective au pouvoir, aspirant à une « vie meilleure » mais sans projet ni ambition politiques. Leurs rassemblements sont spontanés, endémiques, au gré de l'actualité - vite réunis, vite dissous. C'est un peu ce que certains sociologues nomment des « mobilisations dans l'urgence » sans véritable plan ni programme[3], c'est-à-dire des agitations, des affoulements ou encore des éclatements tels que ceux que l'on retrouve dans les sociétés postmodernes, en matière musicale notamment (techno, metal, rave party). Les révoltes de Londres indiquent également qu'une partie de ces populations est très volatile et que l'embrasement peut intervenir de manière presque instantanée, sur la base d'un simple incident (p. ex. un contrôle policier qui tourne mal). De l'autre, c'est l'Etat et son appareil sécuritaire « musclé »; à Londres comme ailleurs la logique n'est pas celle de la négociation, du dialogue social et des réformes mais bel et bien uniquement celle de la répression. Dans tous les cas, l'essentiel des forces policières et militaires est déployé à l'intérieur du pays. Ce redéploiement en direction de la sécurité intérieure caractérise l'évolution générale de l'Etat moderne depuis la fin de la Guerre froide: c'est le passage de l'Etat militaro-territorial (orienté vers l'ennemi extérieur commun) à l'Etat pénal-carcéral (tourné vers le maintien de l'ordre à l'intérieur)[4]. En Europe occidentale ce schéma semble devoir se solidifier au gré des manifestations, des protestations violentes, des émeutes et des révoltes, conduisant à une centralisation accru de l'appareil étatique, au renforcement de son pouvoir coercitif au nom du maintien de l'ordre tandis qu'à l'opposé, une partie de la population va échapper de plus en plus à son contrôle en s'enfonçant dans les labyrinthes de l'économie grise et informelle, des zones de non-droit et des autres formes de marginalité. Cette dérive vers l'Etat policier et son affrontement avec les strates sociales précitées pose la question du citoyen. Qu'advient-il de lui dans cet affrontement ? Certes ce dernier attend de l'Etat qu'il garantisse l'ordre afin de pouvoir vaquer à ses activités quotidiennes. Mais au-delà de ces préoccupations immédiates, qu'en est-il de sa liberté: il semble évident que sa marge de manoeuvre se réduise à celle d'un simple contribuable sous le regard des caméras de surveillance. Dès lors quid de son avenir en tant qu'acteur politique ? Pour reprendre une image cinématographique, c'est un peu le Troisième homme, après l'Etat et ses adversaires précités. Pour mémoire, dans l'histoire de l'Etat moderne le citoyen s'est vu reconnaître des droits et des libertés généralement « par négociation », c'est-à-dire lorsqu'il a pu représenter une force économique (pas d'impôt sans représentation) ou militaire (citoyen-soldat) dont l'Etat ne peut se passer et pour laquelle il est prêt à faire des concessions. C'est ce marchandage, selon le principe do ut des (impôt) ou do ut facias (service militaire), qui est au fondement de la participation politique du citoyen au pouvoir. Par conséquent, on peut se demander quel est le marchandage que le citoyen peut faire fonctionner aujourd'hui pour re-trouver ses droits et ses libertés politiques. Là aussi, la réponse n'est pas aisée parce que, si le citoyen paie toujours ses impôts, l'élite politique au pouvoir censé le représenter a d'ores et déjà quitté le cadre national pour rejoindre l'espace global de l'hyper-classe mondiale. Désormais, les préoccupations de cette élite ne sont plus celles du citoyen; ce sont celles de sa propre image médiatique, de sa place sur le marché global que ce soit en tant que leader d'opinion, « faiseur de roi », top manager, « touche-à-tout génial », courtisan de haut vol et autres nouveaux métiers de la communication (au sens large) créés dans le sillage de la mondialisation[5]. Quant au service militaire, il n'est pas réaliste d'envisager le retour des armées de conscription; aujourd'hui pour faire la guerre l'Etat n'a plus besoin du citoyen, il recourt à des professionnels... tour à tour commandos ou gendarmes. Dans ces circonstances, la question de la liberté citoyenne est posée. Précisons que nous entendons ici par « citoyen » non pas un cortège ou une foule défilant dans les rues de la capitale pour demander l'augmentation des allocations chômage, la limitation du temps de travail ou le respect des conventions salariales. Dans notre perspective, de telles démarches s'apparentent à celles de sujets réclamant « du pain et des jeux » à leur souverain et obtenant de celui-ci la réponse bien connue, « le peuple n'a plus de pain qu'il mange de la brioche ». La notion de citoyen à laquelle nous nous référons ici est celle liée à la res publica, la participation effective à la gestion des affaires communes. Où se trouvent aujourd'hui les réactions citoyennes de cette sorte ? Cette question demeure pour l'instant sans réponse.   3. L'effondrement de l'espace méditerranéen A la faveur de l'été, le printemps arabe semble s'être transformé en automne, voire en hiver ! Il ne s'agit pas là, malheureusement, d'une simple formule de style mais d'une réalité qui risque de toucher, au-delà du monde arabo-musulman, l'espace méditerranéen dans son ensemble. En effet, alors que la façade sud de la Méditerranée s'enfonce dans une anarchie durable (on ne distingue aucun élément structurel - économie, commerce - susceptible de donner à ces sociétés une stabilité et une durabilité minimales), la façade nord « ne va pas mieux » : Portugal, Espagne, Italie, Grèce (sans parler de l'espace balkanique) sont en pleine déconfiture, au bord de la faillite. Certes, les plaies de la façade nord ne sont pas liées à celles du sud, mais la conjugaison des deux peut provoquer l'effondrement de toute la zone : non pas une crise, une urgence complexe que l'on peut résorber à court terme moyennant interventions et programmes internationaux d'assistance, mais un marasme persistant s'étalant sur plusieurs décennies et transformant l'ensemble de cet espace en une vaste « Somalie »[6]. Car, que ce soit la banqueroute des Etats de la façade nord ou la déliquescence du printemps arabe, cette double évolution est de nature historique et institutionnelle : dans le cas du nord, la fin du cycle de l'Etat-nation ; dans le cas du sud, la fin sans lendemain des nationalismes arabes nés de la décolonisation. Il convient donc de s'interroger sur la signification d'un tel effondrement du point de vue historique. On a tendance à l'oublier, l'équilibre de l'espace méditerranéen est d'une grande importance pour l'Europe et les historiens s'en sont périodiquement fait l'écho dans leurs travaux. Or, dans cette optique, il est intéressant de se remémorer l'ouvrage de l'historien belge Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne[7]. Quelque peu éclipsée par les travaux de Fernand Braudel, l'étude de Pirenne mérite néanmoins toute notre attention dans le climat actuel. L'historien avance en effet que la conquête arabe au temps de Mahomet a provoqué la fermeture de ce qui constituait jusqu'alors le centre de gravité du monde de l'époque. Cette fermeture conduit alors l'Europe à se détourner de la Méditerranée pour regarder vers le nord et commencer à construire ainsi les bases de son identité occidentale : selon Pirenne, Charlemagne - le grand empereur d'Occident -  ne se comprend pas sans Mahomet et la fermeture de l'espace méditerranéen engendré par celui-ci. En l'occurrence, la question intéressante soulevée par Pirenne n'est pas tant celle de la conquête arabe ou du grand empereur d'Occident, mais la mise en évidence de l'interaction géo-historique existant entre l'Europe et la Méditerranée, la dépendance géopolitique de l'Europe vis-à-vis de cet espace et l'impact que sa transformation peut avoir sur l'évolution de notre continent. C'est cette relation qui nous intéresse ici : que peut signifier de nos jours une telle fermeture ?  On objectera sans doute qu'à notre époque la Méditerranée ne revêt plus du tout la même importance qu'elle pouvait avoir au début du Moyen Age, notamment en matière d'échanges économiques et commerciaux ; elle n'est pas non plus le pivot géographique de la globalisation. Mais la question qui nous intéresse n'est pas celle-ci, à savoir l'importance économique et commerciale de cet espace pour l'Europe contemporaine. C'est en revanche celle de la transformation de cet espace en une vaste zone de chaos avec la coupure que cela implique. La réflexion de Pirenne prend donc tout son sens. Selon lui en effet, c'est précisément cette coupure qui provoque la naissance de l'identité occidentale, voire la renaissance carolingienne. En d'autres termes, Pirenne voit dans cette coupure, à terme plutôt une naissance, un nouveau départ et non un repli. La rupture de la zone méditerranéenne qui se profile aujourd'hui à l'horizon, laisse-t-elle entrevoir un nouveau départ pour l'Europe ? A première vue, on serait tenter de dire non : la crise de la monnaie unique et les difficultés qui en découlent pour les grands Etats (France, Royaume-Uni, Italie, Espagne), le risque de désindustrialisation de l'Europe que comporte cette crise ne devraient pas s'améliorer avec l'écroulement de la façade sud de la Méditerranée... au contraire ! L'afflux de réfugiés, l'économie grise et les trafics de tous ordres qui se mettront immanquablement en place devraient représenter un défi et une charge supplémentaires pour les Etats européens déjà gravement affaiblis. Dès lors, l'affaissement du sud de l'espace méditerranéen devrait surtout accentuer celui de l'Europe occidental... dans un premier temps en tout cas ! Mais ensuite... ? Le monde occidental est probablement à la veille d'un changement macro-historique d'outil de production : le passage de la société industrielle (en crise depuis les années 1970) à la société de l'information. Or une telle transition signifie également la mutation des modes d'organisation sociale, économique et  sans doute politique ; la fin des grandes structures hiérarchiques au profit de structures plus petites, plus flexibles, moins hiérarchisées dans lesquelles l'individu peut à nouveau avoir le sentiment de jouer un rôle, de s'engager en faveur d'une cause, de participer à la promotion d'une idée ou d'un projet... bref, de re-prendre son destin en main. On pense ici notamment au système open source, au travail coopératif de type wiki,  aux formes d'organisation « sans tête », à l'importance du story telling au détriment de la gestion proprement dite. C'est le rapport homme-machine qui change radicalement et, comme le dit Karl Marx, lorsque l'outil de production se transforme, « ce sont tous les rapports de production qui changent, donc les rapports des humains entre eux, et c'est en définitive, la vision (Weltanschauung), bref les valeurs de base et les structures de la société qui se transforment »[8]. Avouons que cette perspective du changement d'outil de production éclaire d'un jour nouveau la rupture de l'espace méditerranéen : non plus uniquement un défi supplémentaire mais aussi en quelque sorte une opportunité, celle de se re-construire, par exemple en termes d'identité et de dynamique nouvelle. Précisons notre propos. Institutionnellement les Etats européens sont dans l'impasse ; ils sont incapables de se réformer et restent prisonniers des structures et des formes de gouvernance héritées de l'ère industrielle, en particulier tout l'appareil bureaucratique lié à l'Etat-providence. Cependant, à l'intérieur de cette instance, de ce cadre étatique apparemment figé, la substance se recompose : des bassins de dynamisme et de prospérité économiques et commerciales se distinguent grâce au patient développement d'un dense réseau de PME tournées vers la qualité et l'innovation, de banques privées de taille moyenne, de petits instituts de recherche. On trouve de tels pôles de croissance principalement en Italie du Nord, en Alsace, en Flandres, en République tchèque et en Suisse. Alors que les Etats cherchent désespérément à conserver les acquis du passé, les sociétés précitées vivent déjà dans le monde de demain. Pour elles, l'ère de l'information avec ses structures souples est déjà une réalité. De notre point de vue, ces sociétés sont annonciatrices d'une renaissance[9] ! Paradoxalement cependant, ces pôles de dynamisme et d'innovation tournés vers l'avenir sont aussi les principaux foyers de ce qu'on appelle de nos jours le « populisme » et que l'on qualifie habituellement comme une réaction de repli identitaire face à la mondialisation, une volonté de retour à un passé idéalisé. Mais ce paradoxe n'est qu'apparent et cette qualification du populisme est trompeuse : car pour pouvoir se projeter ainsi dans l'avenir, pour affronter avec succès le jeu « sans pitié » de la globalisation, pour avoir la volonté de gagner et d'avancer sans cesse, ces pôles ont besoin d'un projet collectif fort, apte à les mobiliser et à les distinguer des « autres ». Or avec la disqualification des valeurs nationales et l'omniprésence des références globales dominées par le « politiquement correct », un tel projet collectif doit forcément rechercher ses repères à l'échelle locale : d'où le recours à une langue (respectivement un dialecte), une culture et des traditions régionales. Ceci d'abord - comme c'est le cas de tout projet collectif - dans le but de se distinguer des « autres », de désigner un « extérieur » vis-à-vis duquel on pourra ensuite se rassembler. Dans le contexte de la mondialisation, de la californisation des goûts et des terroirs, de l'uniformisation des valeurs, il faut donc considérer que la « fermeture » et plus encore la recherche d'autonomie ne sont pas les caractéristiques des sociétés qui se replient et reculent, mais plutôt de celles qui avancent et se positionnent pour l'avenir. Pas étonnant dès lors que la plupart de celles-ci soient animées, culturellement ou politiquement, de sentiments séparatistes ou, dans le cas de la Suisse, d'un refus d'adhérer à l'Union Européenne[10]. Si maintenant, on met cette dynamique en parallèle avec l'effet exposé par Pirenne quant à la fermeture de l'espace méditerranéen, alors on pourrait bel et bien obtenir, ce retournement, ce « nouveau départ » que l'historien belge mentionne dans son analyse de la relation Mahomet-Charlemagne..., par exemple une entrée décisive dans l'ère de l'information et, par ricochet, une opportunité nouvelle pour le citoyen actuellement réduit à sa fonction de simple contribuable... ...dans quel délai ? L'été 2011 n'est-il qu'une répétition générale, les grands bouleversements sont-il à venir ? Difficile de se prononcer, on peut néanmoins garder à l'esprit l'équation suivante : les sociétés complexes sont fragiles, les sociétés fragiles sont instables et les sociétés instables sont imprévisibles.   Bernard WICHT (29 septembre 2011) Privat-docent, Institut d'études politiques et internationales Université de Lausanne [1] Cf. notamment nos études intitulées : « Une révolution militaire en sous-sol : le retour du modèle Templiers », Stratégique, no 93-96, avril 2009, p. 709-731; « Etat failli et faillite de l'Etat », G. Csurgaï ed., Les enjeux géopolitiques des ressources naturelles, Lausanne, l'Age d'Homme, 2006, p. 34-68 [2] Pour un bref aperçu, cf. James GLEICK, La théorie du chaos : vers une nouvelle science, trad., Paris, Flammarion, 1988. [3] Cf. en particulier, Michel MAFFESOLI, La part du diable : précis de subversion postmoderne, Paris, Flammarion, 2002. [4] Sur la recomposition de l'Etat moderne, cf. notamment, Michel FORTMANN, Les cycles de Mars : révolutions militaires et édification étatique de la Renaissance à nos jours, Paris, Economica, 2010 ; Loïc WACQUANT, Punir les pauvres : le nouveau gouvernement de l'insécurité sociale, Paris, Agone, 2004. [5] L'affaire DSK en fournit une bonne illustration. [6] Cf. en particulier, « La Libia può diventare una nuova Somalia », Limes : rivista italiana di geopolitica, http://temi.repubblica.it/limes/la-libia-puo-diventare-una-nuova-somalia/24408?printpage=undefined (consulté le 29 septembre 2011). [7] Henri PIRENNE, Mahomet et Charlemagne, Paris, PUF, 2005 (Quadrige). Sur les controverses qui ont entouré cet ouvrage, voir l'entrée « Henri Pirenne » sur Wikipedia. [8] Cité chez, Marc LUYCKX GHISI, Surgissement d'un nouveau monde, Monaco, éditions Alphée, 2010. [9] Il faut s'être promené une fois sur le campus de la société Novartis à Bâle pour prendre conscience que le terme « renaissance » n'est pas utilisé à la légère : près de 8'000 chercheurs de toute nation s'y côtoient dans un espace de plusieurs km2, dessiné par les plus grands architectes, où chaque bâtiment fait l'objet d'une conception spécifique tout en s'harmonisant avec le plan d'ensemble. En d'autres termes, une sorte de « cité idéale » au service de la science, du savoir et de l'innovation. http://www.novartis.ch/fr/about-novartis/basel-campus/index.shtml [10] En particulier, Hervé JUVIN, Le renversement du monde : politique de la crise, Paris, Gallimard, 2010 ; cf. également Alain TOURAINE, Après la crise, Paris, Seuil, 2010. Il est intéressant de relever que deux auteurs, l'un américain et l'autre israélien, aboutissent à des conclusions très similaires lorsqu'ils s'interrogent sur les causes du développement exponentiel des start-up de très haut niveau en Israël plutôt que dans d'autres pays développés plus grands et mieux équipés : leur réponse principale touche la culture d'un petit pays constamment en lutte et sous pression. C'est ce « climat » et cet état d'esprit qui constitue, selon eux, le moteur de la compétitivité, de l'innovation et de l'esprit d'entreprise. Si l'étude comporte certes un certain plaidoyer pro domo, les facteurs culturels qu'elle met en évidence sont pleinement pertinents (ennemi commun, nécessité de survie stimulant l'esprit de compétition, étroite imbrication des modes de vie civiles et militaires). Dan SENOR/Saul SINGER, Start-up Nation : The Story of Israel's Economic Miracle, New York, Twelve, 2009.
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Alors que les avions décollent et que les bombes tombent, quelle est la stratégie en cours en Libye ? Au-delà des déclarations des uns et du silence retenu mais convenu des autres, qui décide des opérations ? Sur le plan décisionnel, la Résolution 1970 du Conseil de Sécurité de l'ONU (26.02.2011 -), votée à l'unanimité, détermine clairement les buts à atteindre. La Résolution 1973 (17.03.2011) votée par 10 voix et 5 absentions, se prononce sur les moyens pouvant être mis en œuvre pour atteindre ceux-ci. Les termes de cette dernière Résolution laissent beaucoup de marge d'interprétation. L'expérience des conflits, des opérations de stabilisation ou de maintien de la Paix de ces dernières années démontrent que différents Etats-membres peuvent interpréter de manière fort différente ces moyens ; ils les appliquent également sur le terrain de manière différentielle. Sur le plan du commandement, la France s'y étant fortement opposée, l'OTAN ne pilote pas les opérations militaires. Mais ce sont néanmoins ses moyens et son infrastructure qui sont utilisées dans la pratique. Ainsi peut-on distinguer trois centres de commandement importants : La liaison et la coordination entre les commandements nationaux sont assurés à Stuttgart, où se trouve le QG de l'US Africa Command, du général Carter Ham. Le commandement Sud interarmées de l'OTAN, à Naples. Le commandant des forces navales américaines en Europe, l'amiral Sam Locklear, à partir de son QG de Naples ou son navire de commandement l'USS Mount Whitney (LCC-20). La France est intervenue seule et en premier. Les objectifs et les moyens étant différents, il se dessine donc une coalition à géométrie variable. Sur le terrain, les situations sont également différentes d'un endroit à l'autre. En effet, on estime la population qui s'est soulevée contre son leader à un tiers voire un quart - nous sommes donc loin de la situation de la Tunisie ou de l'Egypte. Les combats, d'autre part, sont de plus en plus localisés à l'Est du pays. C'est là, incidemment, que se trouvent l'essentiel des ressources énergétiques du pays... L'expérience laisse donc penser que l'on assistera, à terme, à une distinction entre deux, voire trois espaces : A l'Est, la Cyrénaïque, un engagement visant à protéger la population, au plus proche des forces rebelles - qu'il s'agit d'appuyer et surtout de ne pas toucher par des erreurs de ciblage. Cette zone pourrait être mise sous la responsabilité des pays les plus actifs dans l'action militaire actuelle: France et Grande-Bretagne en premier lieu. A l'Ouest, en Tripolitaine, une action d'interdiction de vol et, au besoin, également contre les mouvements militaires terrestres, menée par les puissances moins belliqueuses; ceci pourrait également s'accompagner de la création de zones tampon ou démilitarisées. On peut imaginer que les alliés arabes interviendraient prioritairement dans ce cadre. Dans cette logique, on comprend mieux les déclarations politiques du Président américain, qui promet qu'il n'y aura pas d'invasion ou d'engagement de troupes terrestres de son pays. On comprend également les déclarations du Président français et du Premier-ministre britannique, qui insistent sur la protection des populations et l'autodétermination. Et enfin, les déclarations de Moscou et de Pékin, qui insistent sur la volonté de maintenir l'unité de la Libye. L'expérience des conflits récents démontre en effet que sans une forte présence internationale, l'unité des pays en guerre est généralement sacrifiée au profit d'un découpage militaire et politique, dans le but de séparer les problèmes, voire les groupes humains. Souhaitons que l'Afrique du Nord et le Moyen Orient ne connaissent pas, à leur tour, la « balkanisation. »   Alexandre Vautravers
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Pour diverses raisons relatées amplement dans la presse helvétique, la société militaire privée Aegis Services serait sur le point d'implanter son siège administratif à Bâle. Tout le monde, à commencer par le Prof. Stahel, s'insurge face à cet état de fait, sous-entendant que la neutralité de la Suisse risquait d'être sérieusement remise en question. Le Prof. Stahel lors d'un entretien dans le Tagesanzeiger dit: «Wenn eine Firma mit Sitz in der Schweiz beispielsweise im Irak für die USA operiert, ist das neutralitätspolitisch fragwürdig». Sur le fond, il a peut-être raison, mais j'aimerais ici m'insurger contre le fait qu'il est un peu facile de brandir la protection de la neutralité quand ça nous arrange. On s'insurge contre le fait qu'une société militaire privée s'implante en Suisse, soit. Mais qu'en est-il des banques qui gèrent à qui mieux-mieux les avoir de dictateurs impliqués dans divers conflits, meurtres de masse, actes de terrorisme et autres actes répréhensibles? L'énumération de quelques noms permet d'imager le propos: Mobutu, Marcos, Abacha. Qu'en est-il des divers trafiquants en tous genres, perturbant largement la stabilité de pays, dont les avoirs sont bien souvent dans des banques suisses? Depuis de nombreuses décennies, la Suisse est considérée comme un des centres du blanchiment des capitaux provenant des quatre coins de la terre, selon les dires d'experts. Même si la Suisse possède dorénavant des outils de lutte permettant la dénonciation d'avoirs illicites, il reste à penser que ces actes dénoncés ne représentent que la pointe de l'iceberg. Que penser de la Suisse participant aux activités du régime sud-africain en plein Apartheid? Que penser des entreprises pharmaceutiques qui refusent de baisser les prix de certains médicaments qui permettraient de sauver des pans de population entiers dans certains pays? Là aussi, les intérêts financiers semblent passer avant le respect d'une certaine neutralité. Neutralité, neutralité... Voilà bien un terme que la plupart des Suisses semblent brandir uniquement lorsque ça les arrange bien. On pourrait appeller cela la neutralité à la sauce du jour. Il serait souhaitable de plancher une fois pour toute sur ce terme et de le repositionner correctement. Car il ne faut pas se leurrer, la Suisse n'est neutre que sur le papier et dans la tête de certains politiciens frileux, lorsqu'il s'agit de contribuer à un effort international, par exemple dans le cadre du maintien de la paix. La neutralité avait son rôle à jouer dans l'affrontement est-ouest... Est-ce toujours le cas dans un environnemnt globalisé?
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Les récentes décisions annoncées au sujet de l'armée, concernant ses investissements comme son exploitation, montrent désormais la situation grave dans laquelle elle se trouve et la dégénérescence qui l'attend si aucune réaction n'a lieu. La semaine dernière, le Conseil fédéral a annoncé son intention de poursuivre l'acquisition d'un remplaçant pour le F-5 Tiger et de prendre une décision en la matière jusqu'en 2015, tout en suspendant pour des raisons financières la procédure d'acquisition actuelle. Cet investissement, le cas échéant, devra se faire sans crédit extraordinaire. En parallèle, le commandement de l'armée a également annoncé que les services d'instruction vont être dès l'an prochain adaptés en vue de réduire la charge de travail qu'ils induisent sur le plan logistique, domaine où l'armée connaît depuis des mois des problèmes majeurs, liés en partie à l'introduction difficile du système Log@V. A cette fin, le commandant de l'armée a pour sa part décidé de former sous la conduite du divisionnaire Peter Stutz, l'énergique chef de l'état-major de conduite de l'armée, un groupe de pilotage spécialement dédié aux lacunes logistiques qui touchent les troupes, ceci en vue de leur résolution rapide. Le travail de ce groupe a commencé cette semaine déjà. Si l'on ajoute à ces mesures celles révélées par les médias au début du mois de juillet, selon lesquelles les difficultés financières de l'armée ont imposé un gel dans l'engagement comme dans le remplacement du personnel ainsi qu'une suppression des primes de toute nature versées à celui-ci, la question de la santé de l'institution militaire se pose de façon aiguë. Est-ce que notre armée traverse une crise passagère, dont la résolution se précise, ou est-elle déjà aux soins intensifs, régie par les mesures d'urgence ?   Une vacance du pouvoir C'est au milieu de 2007 que le commandement de l'armée a lancé les premières mesures dites d'optimisation - c'est-à-dire d'économie - touchant tous les domaines d'activité ; parmi celles qui ont eu un effet immédiat, on peut citer la mise hors service de l'engin guidé sol-sol 77 Dragon. En parallèle, les Forces Terrestres avaient déjà lancé l'année précédente la démarche  qui mènera à l'étape de développement 08/11, avec à la clef une réduction des formations lourdes, une concentration des structures d'instruction et une augmentation des formations prévues pour les engagements dits probables. La situation de l'armée apparaissait dès cette époque sous un jour sombre : la réduction constante du budget de l'armée plaçait ce dernier nettement en-dessous des 4,3 milliards de francs promis par les dirigeants politiques lors de la conception de l'Armée XXI, alors même que les dépenses d'exploitation augmentaient dans des proportions sous-estimées. De plus, la réduction tout aussi constante du personnel s'est faite plus rapidement que la diminution des besoins, en raison de l'inertie propre à l'armée de milice dans sa diminution de format, au point de générer des lacunes critiques dans la logistique notamment. Comment expliquer ce décalage entre la planification et la réalité ? Une armée réduite de moitié mais qui produit autant de jours de service, qui centralise et réduit ses infrastructures tout en augmentant leur utilisation, qui prolonge et professionnalise son instruction de base tout en augmentant sa disponibilité opérationnelle, est une armée qui, proportionnellement, coûte plus cher, nécessite plus de personnel instructeur, use davantage son équipement et dégrade plus vite son infrastructure. Elle a besoin d'un plancher minimum, en termes de finances et de personnel, en-dessous duquel sa conception même devient caduque. Mais les années de mise en place de l'Armée XXI ont été des années de bouleversement et d'adaptation permanente, en raison des changements radicaux vis-à-vis de l'Armée 95. Des difficultés de mise en œuvre sont apparues, par exemple dans le domaine du personnel de milice, avec l'entrée en service simultanée de PISA 2000, dans le corps des militaires de carrière, où la transformation de l'instruction engendrera des départs en masse, et bien entendu dans le domaine de la logistique, principale cible des réductions de personnel, ce qui entraînera des restructurations successives. En d'autres termes, il faudra attendre plusieurs années avant que l'écart croissant entre les ressources nécessaires et les ressources disponibles soit pleinement constaté ; le temps que les turbulences créées par la transformation se dissipent un tant soit peu, le temps aussi que les nouveaux processus soient entrés dans les mœurs et fonctionnent. Le fait d'être en situation de déficit, c'est-à-dire d'occasionner davantage de dépenses que n'en autorise le budget, et donc la nécessité d'intégrer pleinement la dimension budgétaire à la conduite supérieure, constituaient également une nouveauté pour l'armée et pour ses chefs. C'est donc entre le deuxième semestre 2007 et le premier semestre 2008 que le commandement de l'armée aurait pu réagir et reprendre l'initiative. Or, par malheur, c'est à cette période que l'armée a perdu coup sur coup 4 commandants de corps : le commandant des Forces Terrestres, Luc Fellay, mis à l'écart sans ménagement ; le Chef de l'Armée, Christophe Keckeis, parvenu à l'âge de la retraite ; le commandant des Forces Aériennes, Walter Knutti, suite à l'accident de la Kander ; et le nouveau Chef de l'Armée, Roland Nef, suite à des révélations incapacitantes sur sa vie privée. Cette déstabilisation au sommet de l'institution militaire s'est révélée d'autant plus grave que la direction politique était elle-même de plus en plus affaiblie, et incapable de réagir face à l'urgence de la situation. Confronté à des propositions d'économie radicales par ses subordonnés militaires, mais désireux de ne pas bouleverser davantage une armée en quête de stabilité, Samuel Schmid a refusé de trancher dans le vif, c'est-à-dire de remettre en question la conception de l'armée qu'il a lui-même fortement influencée. Et, ce faisant, il n'aura fait que repousser de quelques années des décisions indispensables. La démission de Samuel Schmid et son remplacement par Ueli Maurer, à la fin de 2008, ont prolongé cette période d'indécision de quelques mois. Mais c'est l'armée qui, elle-même, avant même l'élection de l'ancien président de l'UDC, a réduit sa propre capacité à évaluer et à planifier les mesures lui permettant de retrouver une adéquation entre ses ressources et ses activités ; et ceci en décidant en 2009 de fusionner l'état-major de planification de l'armée avec l'état-major du Chef de l'Armée, c'est-à-dire en supprimant largement le premier et en se privant de son aptitude conceptuelle. Cette amputation était d'autant plus maladroite qu'en parallèle ont commencé les travaux sur le nouveau Rapport sur la politique de sécurité, et sur une mise en œuvre militaire connexe qui deviendra le futur Rapport sur l'armée (Armeebericht). Faute d'une organisation permanente et accoutumée à concevoir l'avenir de l'armée, il a fallu recourir à des groupes de travail ad hoc réunissant des représentants de toutes les organisations de l'armée pour élaborer, dans des délais très courts et sans grande marge de manœuvre, les contenus attendus de la part des militaires. Pour aggraver le tout, l'une des démarches menées entre 2008 et 2009 par l'état-major de planification de l'armée pour identifier les mesures permettant de faire des économies et de se rapprocher de l'équilibre financier, le Strategy Check, a été totalement décrédibilisée par les révélations concernant le chef de ce projet, le faux docteur Tiziano Sudaro ; ce dernier ayant falsifié ses titres académiques et usé de méthodes douteuses pour gravir les échelons de la hiérarchie militaire, les travaux réalisés sous sa responsabilité ont été réduits à néant.   Un faux dilemme à reconnaître Ainsi, bien que le commandement de l'armée parle depuis 3 ans de mesures d'optimisation, les différentes démarches lancées dans ce sens en sont restées aux réponses partielles et graduelles, alors que le déficit sur le plan des finances comme du personnel était une remise en cause directe et intégrale. On a essayé et on essaie toujours plus de faire des économies, de prendre conscience des coûts et de mettre en place les outils permettant de les estimer ; on a introduit un nouveau modèle comptable et des logiciels de saisie des temps de travail. Mais les effets obtenus à ce jour restent modestes. En fait, les décideurs de notre défense, au premier rang desquels figure bien entendu le Chef du DDPS, ont été pris dans un dilemme insoluble : soit ils poursuivaient la mise en place de l'Armée XXI avec des aménagements progressifs, au risque d'ignorer ses problèmes fondamentaux, soit ils tiraient les conséquences des perspectives budgétaires de la Confédération et lançaient une nouvelle réforme, au risque de déstabiliser une fois de plus l'armée. C'est la première option qui a été choisie, mais elle l'a été par défaut, parce que l'on s'est interdit la deuxième. Il s'est en effet développé ces dernières années une idée fixe, selon laquelle notre armée de milice ne supporterait pas de sitôt une nouvelle réforme et devait être au contraire stabilisée, préservée des changements par trop radicaux. Il est vrai que le changement permanent est difficile à encaisser pour les cadres effectuant au maximum 30 jours de service par année ; d'un autre côté, les changements logiques et nécessaires ne sont pas difficiles à accepter, et l'économie privée est accoutumée à de tels changements pour conserver sa compétitivité et sa rentabilité - notamment dans les entreprises dont la survie est menacée. Du coup, le commandement de l'armée a été particulièrement attentif à minimiser l'ampleur des changements qu'il a ordonnés. L'étape de développement 08/11 n'était pas une réforme, mais simplement une évolution ; la spécialisation des troupes entre défense et sûreté sectorielle a pourtant un impact immense. La compression des structures de conduite de l'armée annoncée à l'été 2009 n'est pas une réforme, mais simplement une optimisation ; l'abolition projetée des Forces et la séparation des commandements entre engagement et instruction auraient pourtant un impact encore plus grand. En parallèle, l'armée a mené ces dernières années des projets qui, à eux seuls, ont eu sur la troupe autant d'impact qu'une réforme. On peut citer l'introduction du SIC FT (FIS HE), qui par la numérisation transforme de manière radicale la conduite tactique des formations terrestres, celle de Log@V, qui promettait une gestion centralisée et digitale des équipements militaires, et qui pour l'heure n'y parvient guère, ou encore la modification du modèle d'instruction dans les écoles avec le retour des cadres de milice au début de celles-ci. La transformation permanente, annoncée avec l'Armée XXI, a bien lieu. Enfin, et c'est paradoxal, la prise de conscience toujours plus aiguë de l'impasse budgétaire dans laquelle s'était engagée l'armée a amené ses responsables politiques et militaires à multiplier les petites phrases et les ballons d'essai sur des aspects essentiels de la défense nationale. C'est ainsi que l'on a suggéré ces derniers mois de renoncer à la mission de défense pour concentrer l'armée sur l'appui aux autorités civiles, ou encore de renoncer aux cours de répétition traditionnels pour les remplacer par des services de piquet. Voilà qui n'a guère rassuré ceux qui tiennent à notre outil militaire. Ainsi, rivalisant de projets pour s'adapter à son époque, mais s'interdisant toute réforme d'ensemble, confrontée à un déficit rendant caduque sa conception, mais s'interdisant d'en imaginer une autre, notre armée est entrée à reculons dans la phase de remise en question lancée par le nouveau Rapport sur la politique de sécurité. L'intention affichée initialement d'apporter un minimum de changement, et surtout de ne pas faire un Plan directeur de l'armée, n'a pas pu être maintenue : le futur Rapport sur l'armée en tient largement lieu, et l'armée n'échappera pas à une transformation en profondeur. Les décisions annoncées la semaine dernière doivent donc être interprétées dans ce sens : faute d'avoir tiré les conséquences du présent comme d'avoir anticipé et conçu son avenir, l'armée a laissé partir le train de la réforme, c'est-à-dire de l'adaptation aux conditions-cadres que forment missions, moyens et méthodes, et subit pleinement les effets de son déséquilibre. Piégée par le faux dilemme entre évolution et transformation, mais aussi privée de direction comme de décision politique, elle a pour l'heure perdu l'initiative et se voit contrainte de demander une rallonge financière pour reprendre pied et repartir de l'avant. Dans la mesure où la plupart des partis politiques sont pour l'heure opposés à une augmentation du budget de l'armée, cette approche ne semble pas pertinente : il ne s'agit pas d'obtenir les ressources permettant de perpétuer le modèle actuel, mais bien de développer un modèle compatible avec les ressources disponibles - en comptant, certes, que celles-ci se maintiennent à leur niveau actuel. Le volume de l'armée, la durée des services, le mode d'alimentation, l'articulation des troupes ou encore le modèle d'instruction doivent être, si nécessaire, adaptés à ces ressources - et pas l'inverse. De tout cela il découle que, effectivement, l'armée est aujourd'hui aux soins intensifs et que sa survie est en jeu. Sans nouvelle conception, sans adéquation retrouvée avec ses conditions-cadres, elle semble promise à une lente dégénérescence. Il est temps de réagir.   Rédaction RMS
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Lors de sa séance plénière du 28 novembre 2006, le Grand Conseil vaudois a accepté une initiative législative visant à retirer toutes les armes d'ordonnance des domiciles pour les entreposer à l'arsenal. Un affront pour tous les citoyens-soldats responsables. Lancée par la députée popiste Françoise Burri, l'initiative cantonale vaudoise a été acceptée par 74 contre 67 et 3 abstentions. Le total des députés présents au moment du vote était de 144. Le débat fut vif et émotionnel. La gauche s'est naturellement exprimée sur les conséquences de l'utilisation d'armes lors de suicides, en essayant d'apporter la preuve que c'est la facilité de l'accessibilité de l'arme qui produit le drame. Nous souhaitons tout naturellement que les actes de violences avec des armes à feu perpétrés contre soi-même ou contre des tiers soient évités dans toute la mesure du possible. Selon le Conseil fédéral (réponse du CF du 4.3.2005 à une question de M. Didier Berberat sur les statistiques sur l'utilisation des armes de service), il n'existe pas de statistiques complètes, ou même partielles, sur le nombre de suicides et d'actes illicites perpétrés avec des armes militaires. La raison est le non différenciation des armes militaires et des autres armes à feu. A titre d'information, selon le DDPS, la Base logistique de l'armée reçoit en retour, par année, seulement 60 à 70 armes militaires saisies par les services de police. Chaque année, un chiffre de 30 à 35 suicides serait annoncé par le DDPS. Pour certains, la preuve est faite qu'il faut consigner les armes militaires dans les arsenaux. Autre élément mis en avant, les tentatives de pressions psychologiques perpétrées contre des tiers, là également aucune statistique fiable n'existant selon le CF. Une polémique insidieuse a débuté lors de l'assassinat en Valais d'une famille connue. Un magazine alémanique, Annabelle, a alors lancé dans son édition du 14/6 une pétition, qui demandait la création d'un registre national des armes et la consignation des armes d'ordonnance militaires. Outre l'image désastreuse montrant un homme pointant son arme sur sa femme, cette pétition médiatique, qui fait suite à celle du Blick sur l'interdiction des Pitbulls, est un affront à tous les citoyens-soldats responsables que notre Pays compte. Le registre a été rejeté par la commission compétente du National par 17 voix contre 8 et la commission de la politique de sécurité refusa par 16 contre 8 de mettre les armes militaires « au placard ». Osons espérer que les chambres fédérales sauront suivre leurs commissions. L'achat d'armes sur la base d'un contrat écrit, avec copie au service cantonal compétent, continuera à être la règle. Pour bien comprendre pourquoi l'essentiel de la droite vaudoise a refusé le renvoi de l'initiative fédérale, il faut s'arrêter sur les statistiques disponibles et les hypothèses qui en découlent. En 2005, 1657 suicides ont été enregistrés en Suisse. 46.2% sont le fait des citoyens helvétiques donc 53.8% sont d'origines étrangères. Dans 30% environ des cas, des armes à feu sont utilisées. Les professionnels estiment la part des armes d'ordonnance à 50%. Donc, par extrapolation, sur 1657 suicides, 115 le seraient avec des armes d'ordonnance. Cela nous donne un autre éclairage. Pour avoir une vision complète des militaires en service, il faudrait ne prendre en  compte que les hommes âgés de 20 à 40 ans. Ce pourcentage, selon une statistique zurichoise, passe à 52%. Le nombre de suicide théorique serait de 60. Aujourd'hui, 200'000 armes d'ordonnance sont conservées à domicile. Il est donc irréaliste de dire que la conservation des armes d'ordonnance à l'arsenal réduirait sensiblement le chiffre des suicides. Il est illusoire d'abandonner une tradition accordant à ses citoyennes et citoyens la confiance qu'ils méritent et limiter ainsi les conséquences des vols massifs d'armes que susciterait le stockage centralisé des armes d'ordonnances. Pour terminer, le lecteur avisé est en droit de connaître les votes nominaux des élus du Centre Droit Vaudois (CDV). Tous les radicaux, libéraux et UDC présents refusèrent l'initiative à l'exception de Mesdames Bottlang-Pittet (PDC), Claire Richard (RAD), Messieurs Serge Melly (RAD), Jérôme Christen (Vevey Libre) qui l'acceptèrent. Une abstention du centre-droite est à notifier. Nous espérons que l'assemblée fédérale saura classer cette initiative cantonale car sa légitimité est contestable au vu du vote serré. Ceci dans un sens comme dans l'autre. Par hypothèse, si le CDV avait voté compact, le résultat aurait été de 71 contre 70 et 3 abstentions, soit un refus de cette dernière. Il faut rester démocrate, mais ridiculiser notre Canton de Vaud à Berne est loin d'être la  volonté de nombre de nos élus, officiers ou non, et de nos concitoyens également. Les armes d'ordonnance au placard, fermé à double tour, certes, mais au placard privé.   Premier-lieutenant Eric Bonjour[1]   Cet article est une version modifiée, et envoyée par l'auteur, d'un texte publié dans Le Temps, le 15 décembre 2006.   Sources : appel nominal 06/INI/027 prise en considération, http://www.protell.ch/, http://www.vbs.admin.ch/; http://www.amnesty.ch/; article de l'ats du 5.9.2006, du Temps du 21 juin 2006, http://www.stopsuicide.ch/, http://www.sifa-schweiz.ch/, 06/INI/027, 24 heures du 12 septembre 2006.     [1] Vice-président SVO-Lausanne et député vaudois.
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La guerre de Bosnie a révélé un nouveau danger pour les unités militaires chargées du rétablissement ou du maintien de la paix: le tireur d'élite. Embusqué à bonne distance, il a causé des ravages dans les rangs des soldats de la SFOR en toute impunité. Un temps seulement car, aujourd'hui, le chasseur est devenu gibier: un nouveau système de détection par laser permet de le localiser avant même que puisse agir.   Au premier coup d'oeil, l'engin ressemble à un bon vieux radar de la police routière, une boîte métallique rectangulaire en acier montée sur un trépied avec, sur une face, deux petites fenêtres vitrées. Ce n'est pourtant pas l'automobiliste pressé que traque cet appareil, mais un tout autre gibier, le sniper. Dans les conflits modernes, faits souvent d'engagements rapprochés, ces tireurs d'élite représentent pour les états-majors un cauchemar, non seulement par les victimes qu'ils provoquent, mais aussi par l'insécurité qu'ils engendrent en permanence parmi les soldats et la population. Menace d'autant plus lourde qu'ils agissent par définition en toute impunité, à l'abri d'un bâtiment ou d'un couvert qui les rendent pratiquement indétectables par les procédés visuels classiques. Une vulgaire carabine devient ainsi l'arme absolue contre des opérations de maintien de la paix. C'est ce qu'éprouvèrent les militaires français en débarquant à Sarajevo en 1992. Dans les premiers temps de leur déploiement, plus de quatre-vingts d'entre eux sont victimes de tireurs isolés. Une hécatombe qui provoque, à Paris, l'émoi du ministère de la Défense, lequel demande aux industriels de concevoir une parade contre cette menace. A l'époque, le seul système, capable de répondre au besoin, est le détecteur acoustique, un système mis au point dans les années 1980 par les Britanniques pour leurs opérations en Irlande du Nord. Testé en Bosnie, celui-ci brille par son manque de précision, son temps de réaction élevé et, surtout, un défaut congénital: comme les micros qui le composent réagissent à l'onde de bouche et à l'onde de choc engendrées par une balle, il ne peut s'activer qu'après qu'un coup de feu au moins a été tiré, laissant dans une large mesure la menace persister. Malheureusement pour les soldats français en Bosnie, les snipers locaux étaient d'excellents tireurs qui atteignaient souvent leur cible du premier coup.   Le principe de l'«œil de chat» Cilas, filiale de EADS spécialisée dans l'optronique, se lance alors dans le développement d'un système non plus passif mais actif, c'est-à-dire capable de détecter la présence du sniper avant que celui-ci ne tire. «Il n'est pas facile de détecter une carabine, mais une lunette oui, grâce au laser... et au principe de l'«oeil de chat», résume Jean-Marc Rouchon, directeur des programmes militaires. On sait en effet que, exposée aux phares d'une voiture, la rétine du matou renvoie une partie de la lumière qu'elle reçoit dans la direction précise d'où elle a été émise. Le réticule de la lunette de visée d'un tireur réagit exactement de la même manière lorsqu'il est «éclairé» par un faisceau laser invisible. Un système de type «émetteur-récepteur laser» peut donc localiser le tireur rapidement et avec une grande précision. Pour autant, le passage de la théorie à la pratique n'est pas si simple. Traditionnellement, le sniper utilise une carabine de calibre 7,62 mm et opère à des distances comprises entre 300 et 600 mètres de sa cible; nous pouvons alors détecter sa lunette au laser sans trop de difficultés, explique Jacques Delhall, responsable des exportations. Mais plus récemment, en ex-Yougoslavie, est apparu le «super-sniper » en calibre 12,7 mm (50") et précis jusqu'à 1000 mètres. Et là, le système de détection doit être extrêmement pointu. D'autant que, les opérations de maintien de la paix se déroulant souvent en milieu urbain, les échos parasites ne manquent pas... et qu'il ne faut pas confondre la lunette d'un tireur avec le téléobjectif d'un journaliste. D'où l'importance du logiciel de traitement des images dans l'élimination des fausses alarmes... et aussi du savoir-faire de l'opérateur dont l'expertise se rapproche de celle de l'artilleur dans le réglage de sa hausse, reconnaît Jean-Marc Rouchon. On ne s'étonnera donc pas que les trois valises qui composent le système SLD-400 de Cilas renferment un véritable concentré de technologie. Celui-ci repose sur une caméra spéciale synchronisée à un laser pulsé à faisceau large (avec un champ de 5 x 4 degrés) qui éclaire la zone à analyser. Un processeur numérise et compare ensuite les images visuelles et laser. A la moindre différence entre les deux, il donne l'alerte en quelques dixièmes de seconde en indiquant sur l'écran du terminal d'ordinateur associé la localisation et l'image de l'anomalie. Le système zoome sur la zone considérée, ce qui permet à l'opérateur de lever le doute. Pour ce faire, il dispose d'un mini-manche qui lui permet de piloter la tourelle sur laquelle repose le système optronique, tant en azimut (sur 350 degrés) qu'en élévation (sur 40 degrés), afin d'orienter ce dernier vers les sources présumées de menace. L'alimentation par batteries confère au système SLD-400 une autonomie supérieure à 24 heures.   Efficacité jusqu'à 4000 mètres Le laser utilisé opère à des longueurs d'onde de 0,8 à 0,9 ?m, ce qui lui permet de détecter, non seulement les lunettes de fusils - y compris si elles se dissimulent derrière des filets de camouflage, des fenêtres on des protections en nid d'abeille - mais aussi beaucoup d'autres optiques telles que les intensificateurs de lumière pour vision nocturne, les télémètres, les jumelles, etc., ce à des distances si élevées qu'elles réduisent à néant l'efficacité du tireur: 1000 mètres en plein jour dans toutes les conditions (sauf, évidemment, par des temps bouchés... qui ne sont guère favorables non plus aux snipers), et jusqu'à 4000 mètres la nuit, ainsi qu'il a pu l'être démontré récemment dans les neiges d'un pays d'Europe du Nord. Auparavant le SLD-400 a fait son apparition fin 1994 en ex-Yougoslavie sous la forme d'un prototype qui réalise tout de suite des prodiges, les pertes humaines dans les rangs français du fait des snipers chutant spectaculairement. Mieux, le contingent déployé quelques années plus tard au Kosovo, nanti d'un certain nombre de détecteurs, n'enregistre aucune victime de tireurs isolés. «Jusque-là sans risque ou presque, le travail du sniper est d'un coup devenu extrêmement dangereux», constate Jacques Delhalle. Et la peur a changé de camp.   J.S.       [1] Cet article a été initialement publié dans Planet Aerospace, 1-2 avril 2005. Il a été repris par Armée et Défense, oct.-nov.-déc. 2005.
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