Opération « DAGUET » (1990-1991) : une logistique de projection
La logistique actuelle de l'Armée de terre française a été éprouvée en grande partie lors de l'opération Daguet en 1990-1991. Les réflexions et les leçons tirées de cet engagement ont fortement influencé la professionnalisation décidée en 1996 par le Président de la République.
L'opération «DAGUET» la réponse de la France à l'invasion du Koweït par l'Irak le 2 août 1990. Si cette opération met en évidence les qualités tactiques de l'Armée de terre, elle souligne aussi son manque de cohérence opérationnelle. En effet, la division Daguet est une division ad hoc, intégrée dans un dispositif à cinq composantes, sous les ordres du général de corps d'armée Michel Roquejoffre:
- un état-major interarmées fort de 350 militaires,
- une composante aérienne (12 avions Mirage 2000, 24 Jaguar),
- une composante sanitaire,
- un «groupement de soutien logistique» (avant et arrière),
- la division Daguet, soit près de 12000 hommes en janvier 1991.
Cette dernière est une division blindée légère (2 régiments d'infanterie, 2 régiments blindés AMX 10 RC, 1 régiment du génie, 1 régiment d'artillerie, 1 régiment de commandement et de soutien), la 6e division blindée légère de la Force d'action rapide (FAR), renforcée avant tout par d'autres régiments et états-majors de cette force.
La FAR, créée en 1984 et forte de 47000 hommes, comprend 5 divisions et 1 brigade logistique; à l'origine, elle était destinée à intervenir rapidement dans la zone Centre-Europe ou outre-mer.
La division Daguet, dans son articulation de combat, aligne au total 132 hélicoptères de toutes catégories, 214 Véhicules de l'avant blindé (VAB), 96 AMX 10 RC et seulement 44 chars de combat. Cette force est basée sur le concept d'engagement de la FAR, alliant puissance de feu antichar et mobilité. Deux brigades américaines sont mises sous contrôle opérationnel français et renforcent massivement la division Daguet qui compte finalement près de 17000 hommes (12000 Français et 5000 Américains).
La division est placée à l'extrême Ouest du dispositif allié et a pour mission de s'emparer du point clé d'As-Salman et de couvrir les flancs du XVIIIe corps aéroporté américain sur près de 300 km. D'un point de vue logistique, la mission reçue implique un mouvement de 300 km, suivi d'une action offensive dans une zone d'engagement profonde de 150 et large de 50 km.
La logistique
1. Les distances et le transport
-
Des dépôts et magasins au port d'embarquement (Toulon) : 800 km
-
De Toulon au port de débarquement (Yanbu) : 5000 km
-
De Yanbu à Rafha (base d'attaque) : 1400 km
-
De Rafha à As-Salman (objectif de l'attaque) : 150 km
Les délais sont augmentés par les transbordements, la manutention, voire le reconditionnement des biens de soutien: à Toulon (de la route ou du train vers les navires), à Yanbu (des navires vers la route). Contrairement aux Américains, les Français n'ont pas de moyens de transport aérien suffisants pour acheminer des volumes importants. Le projet d'avion de transport européen (Airbus militaire A 400 M) est destiné à combler cette lacune.
2. Les tonnages
Les effectifs engagés (division Daguet, aviation, états-majors) ont nécessité:
- 60 tonnes d'eau par jour (60 litres d'eau dont 10 potables par homme et par jour),
- 15 tonnes de rations conditionnées,
- 500 mètres cubes de carburants.
3. Autonomie de soutien
Au moment de passer à l'action, la division Daguet a emporté dans ses soutes et ses véhicules de ravitaillement 7 jours d'autonomie, soit environ 5-6000 tonnes de biens.
4. Manutention
Les points suivants ont suscité l'attention:
- Les contraintes du milieu désertique (contraste thermique diurne et nocturne),
- l'absence de matériel de manutention rapide pour les conteneurs maritimes,
- le stockage, la gestion et la distribution des trois carburants utilisés (essence, gasoil, kérosène).
5. Transport terrestre
De nouveaux camions lourds équipés d'un bras de chargement, capables avec leurs remorques de transporter 25 tonnes, sont engagés pour la première fois. Pour éviter les transbordements, les conteneurs maritimes sont chargés directement sur ces camions, comparables aux nouveaux camions Iveco de l'armée suisse. Au total, les 260 véhicules et 3400 conteneurs mis à disposition de la division Daguet transportent 45000 tonnes de biens jusqu'à la fin du conflit.
Dans le domaine des carburants, il apparaît que les moteurs fonctionnant au gasoil (les camions et la majorité des véhicules blindés français) peuvent aussi tourner avec du kérosène moyennant un additif et une perte de puissance de l'ordre de moins de 5%.
Le service du matériel est décisif: les ateliers et dépôts de pièces détachées répartis entre Yanbu et Rafha ont géré 17000 références codées. Ils ont reçu 2000 tonnes de rechanges, allant du moteur de char à la rondelle de contre-écrou. Le jour «J» de l'offensive terrestre, le taux de disponibilité du matériel atteint 100% pour les matériels majeurs de combat.
6. Affrètement de moyens de transport civils
Une part importante des transports maritimes et terrestres est assurée par des entreprises civiles, qui affrètent des avions Boeing 747, des cargos, des ferry ou des porte-conteneurs. Sur place, le soutien logistique de l'Arabie saoudite est très important, que ce soit par la mise à disposition d'installations modernes (notamment le port de Yanbu, un terminal de l'aéroport international de Riyad), le prêt de matériels spéciaux (porte-chars) et surtout la fourniture de tout le carburant, l'eau potable et la subsistance consommés par les militaires français durant l'engagement.
Quelques leçons
Pour la logistique de l'Armée XXI, certains problèmes que la division Daguet a rencontrés peuvent être pris en considération.
1. Effectif
La division Daguet aligne une brigade logistique forte de 4600 hommes (35% de la force): 1600 hommes du régiment de commandement et de soutien (février 1991); 2500 hommes du «Groupement de soutien logistique» (1000 hommes du service de santé, 1500 hommes répartis dans les autres services, en particulier le train routier; 500 hommes appartenant à la «Base opérationnelle mobile aéroportée» de la 11e division parachutiste, responsables du contrôle aérien et de la gestion du fret aérien.
Ce ratio de 1 logisticien pour 4 combattants contraste avec celui affiché par les Américains (1 combattant pour 1 logisticien, 1 pour 3-4 durant l'opération « IRAQI FREEDOM »). Deux explications: l'effectif de 3000 hommes ne prend pas en compte la logistique d'engagement, compris dans les effectifs combattants. L'efficacité des procédés, des matériels et des structures de la logistique militaire française a pourtant permis d'économiser les moyens et de les engager «au bon endroit, au bon moment et dans la bonne quantité».
Dans l'Armée XXI, 1 brigade logistique (soit près de 12'700 hommes actifs et réservistes) assure le soutien logistique de 10 brigades d'engagement, soit 207'300 hommes (actifs et réservistes), soit 1 logisticien pour 16 combattants. C'est là un ratio qui peut laisser songeur, mais qui ne tient pas compte de la formation d'une Base logistique de l'armée comprenant, outre la brigade logistique, les moyens des anciens OFEFT et OFEFA.
2. Les structures
Pour la première fois, l'Armée française a engagé un «Groupement de soutien logistique», nettement sous-dimensionné au début du déploiement. Il en va de même pour l' «escadron de commandement et des services» des formations de combat, les régiments. Ainsi, l'escadron du 1er régiment étranger de cavalerie, l'unique formation blindée de la Légion étrangère, aligne un effectif proche de 100 hommes au lieu des 230 prévus au tableau des effectifs du temps de guerre.
Cette situation s'explique par le fait que le groupement de soutien logistique «ad hoc», constitué pour l'opération, comporte seulement des militaires engagés prélevés dans toutes les unités de l'Armée de terre, alors que les formations logistiques sont composées à 80% de personnels de réserve (le contingent). Aujourd'hui, ces formations sont professionnalisées à 80%.
3. Circulation et transport
L'engagement de camions lourds avec remorques pose des problèmes de gabarit. Pour les Français, ce n'est pas le cas en Arabie Saoudite, mais en Haute-Provence, lors des manœuvres de la FAR. Les mêmes problèmes se posent en Suisse, particulièrement dans les Alpes (60% du territoire), mais aussi sur le Plateau (restriction de trafic sur certains ponts ou tronçons routiers).
Transport et circulation sont indissociables: le mélange des véhicules des deux brigades américaines avec ceux du 2e échelon de combat français crée un embouteillage important que les Irakiens auraient pu exploiter s'ils avaient été capables d'engager leur aviation. Cette situation s'est produite pour les Allemands au début de la campagne de France de 1940; là aussi, l'aviation adverse n'a pas pu ou su l'exploiter.
4. Service sanitaire
Durant l'engagement de la division Daguet, le souci principal du commandement est d'assurer un soutien logistique au plus près des combattants. L'Armée française parle de trois types de soutien: le soutien de l'homme (le service du commissariat suisse), le soutien matériel et le soutien santé. Durant les opérations, l'effort principal est effectué dans ce dernier domaine: ainsi, sur les 39 hélicoptères de transport de type Puma, 14 sont réservés de façon permanente au soutien sanitaire. La rapidité d'évacuation des blessés ne peut être garantie que par ce moyen.
5. Sûreté
La sûreté des formations logistiques a été assurée à deux niveaux:
-
pour la logistique d'engagement, par l'utilisation des mêmes véhicules que ceux des formations combattantes (VAB sanitaires, de maintenance et de réparation),
-
par l'affectation de moyens de combat au régiment de commandement et de soutien: 1 compagnie de protection de la Légion étrangère (cavalerie blindée et infanterie mécanisée) et 1 compagnie renforcée de missiles Mistral (l'équivalent français du Stinger).
Conclusion
L'une des clefs du succès de la division Daguet a été sa logistique d'engagement, au plus près des unités de combat, afin d'assurer, par exemple, la récupération et la réparation des matériels dans les plus brefs délais. Les véhicules de remplacement ont été ainsi en dotation dès le deuxième échelon de combat.
Contrairement à celle des bataillons d'infanterie de l'Armée XXI, la logistique d'engagement française dispose des mêmes véhicules que les unités de combat (VAB sanitaire, camion lourd de dépannage). Ce dernier véhicule s'est avéré indispensable, car les pneus des VAB ont mal supporté le désert de pierres irakien. Une version de dépannage du Piranha en dotation dans les bataillons d'infanterie XXI existe, mais elle n'a pas été acquise, de même qu'une version sanitaire.
L'engagement de la division Daguet révèle que négliger la logistique contribue à dégrader la capacité opérationnelle des unités de combat. Pour des raisons politiques, le nombre des unités dites «de combat» a été accru au détriment des unités logistiques, à tel point qu'au début du déploiement, il n'y a aucune unité logistique structurée. Les conséquences sont multiples: par exemple, le 1er REC passe cinq mois dans le désert avec deux douches de campagne pour 800 hommes ...
L'état-major de la division Daguet prend tardivement conscience de l'importance de la logistique, car il est plus accoutumé aux petites interventions africaines comme l'opération « MANTA » (Tchad, 1983) avec une force de près de 3000 hommes seulement. La capacité de projection est désormais au cœur de la doctrine actuelle d'engagement de l'Armée de terre.
Des expériences tirées de l'opération « DAGUET » découle en grande partie la logistique actuelle de l'Armée de terre. Celle-ci est basée sur les principes suivants:
-
la priorité donnée à la projection de forces (outre-mer),
-
la modularité,
-
la complémentarité des composantes fixes et projetables de la logistique (économie des forces).
Capitaine Pierre Streit
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La logistique actuelle de l'Armée de terre française a été éprouvée en grande partie lors de l'opération Daguet en 1990-1991. Les réflexions et les leçons tirées de cet engagement ont fortement influencé la professionnalisation décidée en 1996 par le Président de la République.
L'opération «DAGUET» la réponse de la France à l'invasion du Koweït par l'Irak le 2 août 1990. Si cette opération met en évidence les qualités tactiques de l'Armée de terre, elle souligne aussi son manque de cohérence opérationnelle. En effet, la division Daguet est une division ad hoc, intégrée dans un dispositif à cinq composantes, sous les ordres du général de corps d'armée Michel Roquejoffre:
un état-major interarmées fort de 350 militaires,
une composante aérienne (12 avions Mirage 2000, 24 Jaguar),
une composante sanitaire,
un «groupement de soutien logistique» (avant et arrière),
la division Daguet, soit près de 12000 hommes en janvier 1991.
Cette dernière est une division blindée légère (2 régiments d'infanterie, 2 régiments blindés AMX 10 RC, 1 régiment du génie, 1 régiment d'artillerie, 1 régiment de commandement et de soutien), la 6e division blindée légère de la Force d'action rapide (FAR), renforcée avant tout par d'autres régiments et états-majors de cette force.
La FAR, créée en 1984 et forte de 47000 hommes, comprend 5 divisions et 1 brigade logistique; à l'origine, elle était destinée à intervenir rapidement dans la zone Centre-Europe ou outre-mer.
La division Daguet, dans son articulation de combat, aligne au total 132 hélicoptères de toutes catégories, 214 Véhicules de l'avant blindé (VAB), 96 AMX 10 RC et seulement 44 chars de combat. Cette force est basée sur le concept d'engagement de la FAR, alliant puissance de feu antichar et mobilité. Deux brigades américaines sont mises sous contrôle opérationnel français et renforcent massivement la division Daguet qui compte finalement près de 17000 hommes (12000 Français et 5000 Américains).
La division est placée à l'extrême Ouest du dispositif allié et a pour mission de s'emparer du point clé d'As-Salman et de couvrir les flancs du XVIIIe corps aéroporté américain sur près de 300 km. D'un point de vue logistique, la mission reçue implique un mouvement de 300 km, suivi d'une action offensive dans une zone d'engagement profonde de 150 et large de 50 km.
La logistique
1. Les distances et le transport
Des dépôts et magasins au port d'embarquement (Toulon) : 800 km
De Toulon au port de débarquement (Yanbu) : 5000 km
De Yanbu à Rafha (base d'attaque) : 1400 km
De Rafha à As-Salman (objectif de l'attaque) : 150 km
Les délais sont augmentés par les transbordements, la manutention, voire le reconditionnement des biens de soutien: à Toulon (de la route ou du train vers les navires), à Yanbu (des navires vers la route). Contrairement aux Américains, les Français n'ont pas de moyens de transport aérien suffisants pour acheminer des volumes importants. Le projet d'avion de transport européen (Airbus militaire A 400 M) est destiné à combler cette lacune.
2. Les tonnages
Les effectifs engagés (division Daguet, aviation, états-majors) ont nécessité:
60 tonnes d'eau par jour (60 litres d'eau dont 10 potables par homme et par jour),
15 tonnes de rations conditionnées,
500 mètres cubes de carburants.
3. Autonomie de soutien
Au moment de passer à l'action, la division Daguet a emporté dans ses soutes et ses véhicules de ravitaillement 7 jours d'autonomie, soit environ 5-6000 tonnes de biens.
4. Manutention
Les points suivants ont suscité l'attention:
Les contraintes du milieu désertique (contraste thermique diurne et nocturne),
l'absence de matériel de manutention rapide pour les conteneurs maritimes,
le stockage, la gestion et la distribution des trois carburants utilisés (essence, gasoil, kérosène).
5. Transport terrestre
De nouveaux camions lourds équipés d'un bras de chargement, capables avec leurs remorques de transporter 25 tonnes, sont engagés pour la première fois. Pour éviter les transbordements, les conteneurs maritimes sont chargés directement sur ces camions, comparables aux nouveaux camions Iveco de l'armée suisse. Au total, les 260 véhicules et 3400 conteneurs mis à disposition de la division Daguet transportent 45000 tonnes de biens jusqu'à la fin du conflit.
Dans le domaine des carburants, il apparaît que les moteurs fonctionnant au gasoil (les camions et la majorité des véhicules blindés français) peuvent aussi tourner avec du kérosène moyennant un additif et une perte de puissance de l'ordre de moins de 5%.
Le service du matériel est décisif: les ateliers et dépôts de pièces détachées répartis entre Yanbu et Rafha ont géré 17000 références codées. Ils ont reçu 2000 tonnes de rechanges, allant du moteur de char à la rondelle de contre-écrou. Le jour «J» de l'offensive terrestre, le taux de disponibilité du matériel atteint 100% pour les matériels majeurs de combat.
6. Affrètement de moyens de transport civils
Une part importante des transports maritimes et terrestres est assurée par des entreprises civiles, qui affrètent des avions Boeing 747, des cargos, des ferry ou des porte-conteneurs. Sur place, le soutien logistique de l'Arabie saoudite est très important, que ce soit par la mise à disposition d'installations modernes (notamment le port de Yanbu, un terminal de l'aéroport international de Riyad), le prêt de matériels spéciaux (porte-chars) et surtout la fourniture de tout le carburant, l'eau potable et la subsistance consommés par les militaires français durant l'engagement.
Quelques leçons
Pour la logistique de l'Armée XXI, certains problèmes que la division Daguet a rencontrés peuvent être pris en considération.
1. Effectif
La division Daguet aligne une brigade logistique forte de 4600 hommes (35% de la force): 1600 hommes du régiment de commandement et de soutien (février 1991); 2500 hommes du «Groupement de soutien logistique» (1000 hommes du service de santé, 1500 hommes répartis dans les autres services, en particulier le train routier; 500 hommes appartenant à la «Base opérationnelle mobile aéroportée» de la 11e division parachutiste, responsables du contrôle aérien et de la gestion du fret aérien.
Ce ratio de 1 logisticien pour 4 combattants contraste avec celui affiché par les Américains (1 combattant pour 1 logisticien, 1 pour 3-4 durant l'opération « IRAQI FREEDOM »). Deux explications: l'effectif de 3000 hommes ne prend pas en compte la logistique d'engagement, compris dans les effectifs combattants. L'efficacité des procédés, des matériels et des structures de la logistique militaire française a pourtant permis d'économiser les moyens et de les engager «au bon endroit, au bon moment et dans la bonne quantité».
Dans l'Armée XXI, 1 brigade logistique (soit près de 12'700 hommes actifs et réservistes) assure le soutien logistique de 10 brigades d'engagement, soit 207'300 hommes (actifs et réservistes), soit 1 logisticien pour 16 combattants. C'est là un ratio qui peut laisser songeur, mais qui ne tient pas compte de la formation d'une Base logistique de l'armée comprenant, outre la brigade logistique, les moyens des anciens OFEFT et OFEFA.
2. Les structures
Pour la première fois, l'Armée française a engagé un «Groupement de soutien logistique», nettement sous-dimensionné au début du déploiement. Il en va de même pour l' «escadron de commandement et des services» des formations de combat, les régiments. Ainsi, l'escadron du 1er régiment étranger de cavalerie, l'unique formation blindée de la Légion étrangère, aligne un effectif proche de 100 hommes au lieu des 230 prévus au tableau des effectifs du temps de guerre.
Cette situation s'explique par le fait que le groupement de soutien logistique «ad hoc», constitué pour l'opération, comporte seulement des militaires engagés prélevés dans toutes les unités de l'Armée de terre, alors que les formations logistiques sont composées à 80% de personnels de réserve (le contingent). Aujourd'hui, ces formations sont professionnalisées à 80%.
3. Circulation et transport
L'engagement de camions lourds avec remorques pose des problèmes de gabarit. Pour les Français, ce n'est pas le cas en Arabie Saoudite, mais en Haute-Provence, lors des manœuvres de la FAR. Les mêmes problèmes se posent en Suisse, particulièrement dans les Alpes (60% du territoire), mais aussi sur le Plateau (restriction de trafic sur certains ponts ou tronçons routiers).
Transport et circulation sont indissociables: le mélange des véhicules des deux brigades américaines avec ceux du 2e échelon de combat français crée un embouteillage important que les Irakiens auraient pu exploiter s'ils avaient été capables d'engager leur aviation. Cette situation s'est produite pour les Allemands au début de la campagne de France de 1940; là aussi, l'aviation adverse n'a pas pu ou su l'exploiter.
4. Service sanitaire
Durant l'engagement de la division Daguet, le souci principal du commandement est d'assurer un soutien logistique au plus près des combattants. L'Armée française parle de trois types de soutien: le soutien de l'homme (le service du commissariat suisse), le soutien matériel et le soutien santé. Durant les opérations, l'effort principal est effectué dans ce dernier domaine: ainsi, sur les 39 hélicoptères de transport de type Puma, 14 sont réservés de façon permanente au soutien sanitaire. La rapidité d'évacuation des blessés ne peut être garantie que par ce moyen.
5. Sûreté
La sûreté des formations logistiques a été assurée à deux niveaux:
pour la logistique d'engagement, par l'utilisation des mêmes véhicules que ceux des formations combattantes (VAB sanitaires, de maintenance et de réparation),
par l'affectation de moyens de combat au régiment de commandement et de soutien: 1 compagnie de protection de la Légion étrangère (cavalerie blindée et infanterie mécanisée) et 1 compagnie renforcée de missiles Mistral (l'équivalent français du Stinger).
Conclusion
L'une des clefs du succès de la division Daguet a été sa logistique d'engagement, au plus près des unités de combat, afin d'assurer, par exemple, la récupération et la réparation des matériels dans les plus brefs délais. Les véhicules de remplacement ont été ainsi en dotation dès le deuxième échelon de combat.
Contrairement à celle des bataillons d'infanterie de l'Armée XXI, la logistique d'engagement française dispose des mêmes véhicules que les unités de combat (VAB sanitaire, camion lourd de dépannage). Ce dernier véhicule s'est avéré indispensable, car les pneus des VAB ont mal supporté le désert de pierres irakien. Une version de dépannage du Piranha en dotation dans les bataillons d'infanterie XXI existe, mais elle n'a pas été acquise, de même qu'une version sanitaire.
L'engagement de la division Daguet révèle que négliger la logistique contribue à dégrader la capacité opérationnelle des unités de combat. Pour des raisons politiques, le nombre des unités dites «de combat» a été accru au détriment des unités logistiques, à tel point qu'au début du déploiement, il n'y a aucune unité logistique structurée. Les conséquences sont multiples: par exemple, le 1er REC passe cinq mois dans le désert avec deux douches de campagne pour 800 hommes ...
L'état-major de la division Daguet prend tardivement conscience de l'importance de la logistique, car il est plus accoutumé aux petites interventions africaines comme l'opération « MANTA » (Tchad, 1983) avec une force de près de 3000 hommes seulement. La capacité de projection est désormais au cœur de la doctrine actuelle d'engagement de l'Armée de terre.
Des expériences tirées de l'opération « DAGUET » découle en grande partie la logistique actuelle de l'Armée de terre. Celle-ci est basée sur les principes suivants:
la priorité donnée à la projection de forces (outre-mer),
la modularité,
la complémentarité des composantes fixes et projetables de la logistique (économie des forces).
Capitaine Pierre Streit
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Après avoir essayé de caractériser l'ennemi polymorphe que les Américains doivent affronter actuellement en Irak, il est inévitable de se demander si ceux-ci, vu leurs moyens, peuvent encore remporter un succès, trois ans après la fin officielle des hostilités[1].
La question du retrait et celle des effectifs
Aux yeux de certains, le retrait des forces américaines ne changerait guère la situation sécuritaire en Irak. Sur quelque 135000 hommes actuellement déployés[2], seuls 50000 sont réellement opérationnels dans l'ensemble de l'Irak, un pays de 26 millions d'habitants . Ce nombre peut être comparé aux 37500 policiers que compte la ville de New York, dont la population est beaucoup moins hostile que celle de l'Irak. L'armée américaine est donc incapable de contrôler la situation. Elle ne l'a d'ailleurs jamais été. L'ambassade des Etats-Unis et les bâtiments même du Gouvernement irakien sont protégés par les fameuses sociétés de sécurité privées, non par les troupes américaines[3].
Quant aux forces irakiennes, leurs effectifs (militaires et policiers) devraient atteindre 300000 hommes à la fin de cette année. Si l'armée irakienne commence à être efficace et à être associée, sinon directement engagée, dans des opérations contre la guérilla, même si elle ne dispose pas encore de moyens lourds, elle pèche surtout par un manque de cadres subalternes entre le rang de simple soldat et celui de haut gradé. Quant à la police, elle manque cruellement de moyens.
Dans ces conditions, un retrait rapide des forces américaines n'est pas encore à l'ordre du jour. Un premier objectif reste de les voir disparaître des villes. Un objectif irréalisable pour certains analystes qui préconisent une augmentation des effectifs en Irak (jusqu'à 450000 hommes) et un effort principal sur la sécurisation des certaines zones clés (Kurdistan, Bagdad par exemple)[4]. L'armée américaine est-elle en mesure de fournir ces troupes, alors qu'elle peine à renouveler ses effectifs, en particulier ses effectifs combattants[5]?
La technologie ne remplace pas les hommes
Comme le relève un officier français, «la grande désillusion, d'abord, fut de constater que le brouillard de la guerre n'était pas dissipé - ou pas suffisamment -, par les nouvelles technologies[6].» De retour d'Irak, certains officiers n'hésitent pas à remettre en question le dogme du tout technologique. Le conflit irakien et, plus généralement, la longue guerre contre le terrorisme se traduisent toutefois par une adaptation des moyens. La Revue de défense quadriennale (QDR) 2006, rendue publique en février 2006, confirme la volonté de rendre les forces américaines plus souples, plus mobiles, plus réactives. Ce document (re)dessine régulièrement les contours du champ de bataille du futur et ses conséquences pour l'engagement des forces.
Face à la capacité d'adaptation et à l'ingéniosité mortelle des insurgés, l'armée américaine est engagée dans une course contre la montre avec un certain succès. La mise en service d'un réseau tactique interne permet la diffusion immédiate des rapports des patrouilles aux unités qui vont être engagées et à celles qui s'entraînent aux Etats-Unis. On peut voir là une première application du concept de «guerre en réseau», dans lequel l'information circule à la fois horizontalement et verticalement dans la hiérarchie militaire. La réponse américaine porte à la fois sur l'adaptation des tactiques et des aspects techniques (amélioration de la protection des véhicules légers de type Humvee par exemple). Elle n'est toutefois conçue qu'à court terme car, au-delà, trois facteurs semblent expliquer les difficultés de l'armée américaine:
- La formation du soldat américain, sa culture, qui se retrouve dans le code du soldat: «Je suis un guerrier et membre d'une équipe; je sers le peuple des Etats-Unis et vis selon les valeurs de l'armée. (...) Je me tiens prêt à me déployer, à engager [l'adversaire] et à détruire les ennemis des Etats-Unis. (...) Je suis le gardien de la liberté et de la manière de vivre (way of life) américaine.» A l'opposé, le code du soldat français est rédigé différemment: «Maître de sa force, il respecte l'adversaire et veille à épargner les populations. Il obéit aux ordres dans le respect des lois, des coutumes de la guerre et des conventions internationales. (...) Il est ouvert sur le monde et la société, et en respecte les différences[7].»
- La prise en compte encore limitée du changement de la nature de la guerre. L'armée américaine continue à s'organiser et à s'entraîner pour des opérations de guerre conventionnelle (syndrome de la guerre froide) et non pour les conflits actuels et futurs. Comme le note le brigadier Nigel Aylwin-Foster, l'US Army est «à l'image de la société américaine dont elle est issue: elle aspire à obtenir des résultats visibles très rapidement», ce qui incite le Pentagone à viser des objectifs militaires déconnectés d'objectifs politiques plus larges[8].
- Le recours systématique à la technologie (qui diminue du même coup les contacts avec la population), la destruction de l'«ennemi» étant l'objectif stratégique. Ainsi, les officiers américains notent que «nos alliés sont trop réservés sur l'emploi de la force, ce qui encourage les insurgés à résister et démontre à la population locale que nous manquons de détermination. (...) Etant donné le rôle prééminent du combat coercitif enseigné et pratiqué habituellement par nos soldats du premier échelon, il était déraisonnable et trop compliqué d'attendre d'eux qu'ils développent la subtilité et la maîtrise nécessaire pour gagner les cœurs et les esprits pendant la phase de stabilisation et de reconstruction. (...) Sur 123 opérations de pacification entreprises entre mai 2003 et mai 2004, 6% seulement cherchèrent à créer un environnement sécurisé pour la population: la tactique préférée consistait à employer la force létale à grande échelle au cours de raids d'une journée (...)[9].»
L'impasse actuelle de l'armée américaine en Irak a donc des fondements beaucoup plus profonds que la simple inexpérience des soldats, le manque de moyens, notamment blindés, ou encore l'action des insurgés.
Retrait improbable, victoire impossible?
Aussi brillante soit-elle, l'opération militaire du printemps 2003 a débouché sur un conflit interne à l'issue incertaine entre les différentes communautés irakiennes. Les Etats-Unis se trouvent désormais contraints de maintenir une présence coûteuse humainement, politiquement et financièrement (environ 5 milliards de dollars par mois toutes dépenses confondues). Même si aux Etats-Unis le soutien de l'opinion publique à la politique menée en Irak fléchit, un rapide retrait des troupes américaines reste peu probable. L'hypothèse d'un retrait partiel a été envisagée après la fin officielle des hostilités en mai 2003. Les Américains se seraient repliés sur d'anciennes bases militaires, leur permettant d'intervenir au profit des autorités irakiennes, de contrôler certaines zones (les champs pétrolifères par exemple) et, par l'isolement de ces installations, de prévenir tout risque d'attentats majeurs.
Comme le montre la récente «fronde des généraux[10]», le sentiment généralement exprimé est de considérer qu'il n'y a pas de solution militaire à la crise actuelle. La destruction des réseaux et des poches de résistance (comme à Falloujah fin 2004) se traduit automatiquement par leur réorganisation et leur réapparition. Par ailleurs, le problème des effectifs est amplifié par les difficultés de recrutement. A l'instar de l'armée active, la Garde nationale, dont les effectifs présents en Irak représente le tiers du contingent américain, peine à recruter des volontaires.
Alors que certains en sont à leur troisième séjour en Irak, les officiers subalternes américains (du rang de lieutenant à celui de major) sont confrontés à un changement radical de perspective. Les opérations de police ou de ratissage qu'ils conduisent quotidiennement sont loin de celles qu'on leur a enseignées et qui mettent l'accent sur la guerre en réseau et la technologie. Depuis 2003, l'armée américaine redécouvre l'importance des «300 derniers mètres», l'espace où se joue la décision d'un combat rapproché.
L'expérience irakienne a fini par créer deux écoles de pensée au sein de l'armée américaine. L'une considère que les opérations menées en Irak seront la règle dans le futur et que, par conséquent, il faut investir dans des matériels avant tout robustes. L'autre considère au contraire que l'Irak est un cas particulier et qu'il faut continuer à investir dans des matériels à haute valeur technologique ajoutée, tel le futur véhicule de combat (Future Combat System - FCS), dont le développement coûte des sommes considérables. En définitive, le problème pour de nombreux officiers américains en opération peut être formulé simplement: «We've got all the toys, but not enough boys[11].» Cette réalité rend actuellement un succès américain improbable en Irak.
Capitaine Pierre Streit
[1] Voir RMS, mai 2006, «Quel ennemi pour les Américains en Irak?»
[2] Soit 17 brigades dont 7 de la Garde nationale.
[3] Au moins 36 sociétés privées seraient actives actuellement, soit environ 25000 personnes.
[4] Pollack, Kenneth: Switch in Time, a New Strategy for America in Iraq. Brookings Institution, février 2006.
[5] Sur le million de soldats que compte l'armée américaine, seuls 400000 sont des combattants et seulement 150000 appartiennent aux unités d'active (Raids, mai 2006, p. 11).
[6] Lieutenant-colonel Benoît Durieux, cité in Le Figaro, 20.3.06, «L'U.S. Army redécouvre l'importance des 300 derniers mètres».
[7] Voir http://www.defense.gouv.fr/sites/terre/
[8] L'opinion de ce général britannique, en poste en Irak pendant plus de six mois, a été publiée dans la Military Review (novembre-décembre 2005) et suscite toujours la controverse.
[9] Les différentes citations figurent dans l'article du colonel Gilles Rouby, «Mode de combat à l'américaine et perspectives européennes », publié dans les actes de la journée d'études du 13 mars 2006 (FRS), disponibles sur le site web de la FRS.
[10] Plusieurs généraux actifs durant l'opération «IRAQI FREEDOM» (mars-avril 2003) ont demandé le départ du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld. Cette «fronde des généraux» n'affecte guère l'USAF et la Navy, peu impliqués en Irak. Dans l'optique d'une action militaire éventuelle contre l'Iran, l'attitude réservée de ces deux armes appelées à jouer les premiers rôles peut se comprendre. Une autre explication est le combat que se livrent les différentes armes pour justifier leurs programmes d'armement (USAF: F-22 Raptor, avions furtifs).
[11] «Nous avons reçu tout le matériel, mais pas assez d'hommes.»