Le quatrième Forum Sécurité Chablais s'est déroulé mercredi 10 novembre dernier dans la salle polyvalente de Lavey Village. Plus de 280 personnes ont assisté à un débat public sur le thème du puzzle de la sécurité en Suisse.
Après des éditions consacrées à la jeunesse et la sécurité, le partenariat sécuritaire suisse et la question des armes à feu au quotidien, c'est encore une fois un thème on ne peut plus actuel qui a été choisi pour ce forum, organisé par l'Académie de police de Savatan et le centre de formation du Chablais de la Sécurité Militaire.
L'ouverture du forum a ainsi été assurée par le directeur de l'Académie de police, le lieutenant-colonel Alain Bergonzoli. Ce dernier a expliqué que, en tant que fondement de toute société organisée, la sécurité est nécessairement une priorité ; mais celle-ci est sujette à l'évolution de cette société, et l'augmentation constante de la criminalité - comme des violences que subissent les forces de l'ordre - nécessitent un vrai questionnement. Le directeur de l'Académie identifie ainsi quatre axes d'amélioration pour assurer cette sécurité :
Former les gens comme ils doivent être engagés.
Assurer une cohérence territoriale et une répartition afférente des compétences.
Conduire avec flexibilité, rapidité et la technologie requise.
Assurer la volonté politique de créer des partenariats et d'octroyer les moyens nécessaires.
Réserves et synergies
Le forum a débuté par 5 éclairages fournis par des personnalités venues d'horizons parfois très différents.
Le premier éclairage a été celui de Christian Varone, commandant de la Police cantonale valaisanne, et a porté sur les événements extraordinaires, non prévisibles, auxquels les forces de police sont confrontées. Pour donner le cadre de la problématique, il faut d'abord identifier les missions et les moyens des polices cantonales ; dans le cas du Valais, on compte 525 personnes dont 480 policiers, ce qui fait 1 agent pour 650 habitants compte tenu de l'afflux touristique.
En temps normal, la police valaisanne est confrontée en à 49,8 infractions pour 1000 habitants (contre 71,9 au niveau suisse), dont la majorité au préjudice du patrimoine ; la lutte contre la criminalité ordinaire correspond de fait aux effectifs disponibles. Lors d'événements particuliers, comme les accidents récents de Fiesch et de Reckingen, la collaboration entre services de secours permet là aussi de répondre aux besoins.
En revanche, pour les événements extraordinaires, la situation est différente. Face aux catastrophes naturelles, les effectifs de police ne suffisent pas, mais la collaboration avec d'autres partenaires - notamment avec l'armée - permet de trouver des solutions. Mais face aux activités humaines, comme le rassemblement de 450 néo-nazis à Gamsen près de Brigue le 17 septembre 2005 pour un concert non autorisé lorsque seuls 40 policiers étaient disponibles, l'intervention n'est simplement pas possible.
Comment est-il néanmoins possible de réagir ? A l'époque, le périmètre a été sécurisé et les intéressés ont été identifiés, de manière à permettre l'enquête pénale ; mais cela n'aurait pas été possible si les extrémistes avaient décidé d'enchaîner par une manifestation violente.
Christian Varone propose trois axes de réflexion pour trouver une solution :
Améliorer les concepts internes de mobilisation au niveau des polices cantonales et municipales. Ceci est déjà mis en œuvre, mais pas suffisant.
Renforcer les concepts de mobilisation intercantonaux (GMO, CCPCS). Mais cette solution est limitée, parce que les effectifs le sont aussi.
Constituer une réserve opérationnelle sur le plan fédéral. Pour cela, il faut considérer le système fédéral comme une notion dynamique; dépasser les divergences d'opinion sur les rôles respectifs dans la sécurité; passer à une vision globale et coordonnée des moyens sécuritaires en Suisse.
Le fait que des éléments sécuritaires au niveau fédéral soient répartis entre 4 Départements différents montre bien les progrès qui doivent être faits en la matière.
Un sommet international réussi
Le deuxième éclairage a été apporté par Jacques Antenen, commandant de la Police cantonale vaudoise, qui s'est penché sur le récent Sommet de la Francophonie à Montreux.
De manière générale, le canton de Vaud est également en mesure de faire face à des événements ordinaires, mais au prix d'un engagement à flux tendu de tous les collaborateurs de la Police, et une limite a été atteinte en la matière. De fait, si la réforme des polices aboutit ainsi à une diminution du nombre de policiers, elle sera un échec.
Concernant le XIIIe Sommet de la Francophonie, même si c'était un événement planifié, il s'agit d'emblée de rappeler que le temps restant pour la planification - soit 10 mois - a été accompagné par des incertitudes, par exemple sur le nombre de chefs d'État présent. La police cantonale vaudoise a assuré la conduite globale du dispositif sécuritaire au sol, et l'a fait sur la base de plusieurs mots d'ordre, dont la convivialité, la flexibilité, la coopération avec tous les partenaires, l'image du pays et de la région, ceci en plus de la sécurité à proprement parler.
Au total, près de 6500 personnes ont été engagées pour le dispositif de sécurité du Sommet. La collaboration s'est faite de nombreux partenaires, avec au total 5000 militaires, 1000 membres de la protection civile et 600 policiers, auxquels il faut ajouter 500 employés de la sécurité privée.
Les enseignements de cette action ont été les suivants :
La décision de subordonner les effectifs militaires au commandement de la police cantonale a été validée par les faits, et a permis une action harmonieuse. Le recours à des policiers communaux a été également un succès.
Le budget prévisionnel - en l'occurrence 9 millions pour la sécurité - est un conditionnement permanent pour toutes les activités.
Le temps disponible a été particulièrement court pour la planification et l'évaluation du dispositif, de sorte que plusieurs personnes ont été dégagées de leurs activités pour se concentrer sur cette tâche.
Le système de sécurité doit être particulièrement flexible, dans la mesure où des chefs d'États peuvent avoir des désirs imprévus qui modifient les programmes et les dispositifs.
Le soutien de l'armée est indispensable pour l'organisation d'un tel événement. Cependant, la décision des commandants de police de ne pas engager le détachement de protection du Conseil fédéral (DPCF) peut amener l'armée à s'interroger sur l'avenir de ce détachement, alors que les polices romandes y étaient pourtant favorables.
L'image de la Suisse suite à l'organisation du Sommet a été particulièrement favorable.
Gestion de crise à Londres
Le troisième éclairage a été fourni par l'inspecteur Andy Welch, de Scotland Yard, qui est aujourd'hui officier de liaison auprès de la direction générale de la Police nationale (DGPN) à Paris.
Tout comme la Suisse, le Royaume-Uni n'a pas de police nationale, mais des polices départementales (43 entre l'Angleterre et le Pays de Galles, auxquelles il faut ajouter 8 forces de police pour l'Écosse et 1 pour l'Irlande du Nord, sans compter des polices spéciales - chemin de fer, centrales nucléaires). La police de Londres (Metropolitan Police Service) compte 30'000 officiers de police et 20'000 employés civils, ceci pour 7 millions d'habitants regroupés en 32 arrondissements, dans une véritable plaque tournante du transport mondial.
La ville de Londres a été depuis longtemps, à l'époque du conflit en Irlande du Nord, une cible privilégiée des attentats terroristes. Cela a encore été davantage le cas lors des attentats suicides du 7 juillet 2005, qui ont fait 52 morts suite aux bombes mises à feu par des citoyens britanniques d'origine étrangère. Pour gérer une telle crise, la police dispose d'une Special Operations Room (SOR) contenant 100 postes de travail, avec l'accès à plus de 10'000 caméras de surveillance de la capitale et des liaisons sans fil avec toutes les polices du Royaume-Uni. En vue des Jeux Olympiques de 2012, cette salle sera toutefois encore agrandie, afin de pouvoir accueillir 150 postes de travail.
Lors d'une crise, il faut ainsi compter environ 20 minutes pour ouvrir la salle des opérations spéciales. La gestion est partagée entre la conduite stratégique (niveau or, une seule personne), la conduite tactique (niveau argent, quelques personnes) et la conduite de terrain (niveau bronze, en fonction du nombre de zones touchées). Les autres services d'urgence envoient également des représentants permanents dans la salle, et celle-ci intègre en permanence tous leurs moyens de communication normaux.
Ainsi, lors de n'importe quel incident (attentat ou accident), c'est la police qui dirige (un commissaire divisionnaire ou un contrôleur général assure la fonction or) et qui répond à la cellule de crise COBRA du Gouvernement. Tous les autres services d'urgence sont subordonnés à la police, mais toutes les décisions sont en règle générale prises ensemble.
Le rôle de la Gendarmerie française
Le quatrième éclairage a été apporté par le général Bertrand Cavallier, de la Direction de la Gendarmerie nationale française.
Une analyse de l'évolution même de la sécurité amène à prendre conscience de la fragilité des sociétés modernes, confrontées à la violence globale, qui rend caduque toute distinction entre petite et grande délinquance, mais également à l'individualisme, à la consommation généralisée de stupéfiants, à l'apologie du communautarisme, jusqu'à la menace extrême du terrorisme. Dans ce contexte, les populations expriment une attente envers l'État, à savoir la garantie de la sécurité, de sorte que l'enjeu « population » est devenu central. Il n'y a pas de différence à ce sujet entre le territoire national, le Kosovo ou encore l'Afghanistan.
Un concept de force de sécurité militaire, intégrée, à forte assise territoriale comme la Gendarmerie, relève ainsi d'une approche pertinente. La Loi du 3 août 2009 a défini la Gendarmerie comme force armée de sécurité publique, intégrée avec une structure pyramidale, axée sur la continuité paix / guerre et activités quotidiennes / extraordinaires. C'est une force armée qui est basée sur des valeurs militaires - discipline, disponibilité, loyauté et neutralité, ainsi que sens du sacrifice.
Au quotidien, la Gendarmerie couvre 95% du territoire français et garantit la sécurité publique pour environ 55% de la population. Elle s'occupe notamment des zones périurbaines et rurales, mais participe également à la réponse antiterroriste, répond à la délinquance itinérante et veille au bon déroulement des migrations saisonnières - plusieurs dizaines de millions de personnes traversant la France chaque année. Elle est présente dans tout le spectre de menaces, aux côtés de la Police nationale comme des Armées, mais a notamment pour vocation d'agir dans les situations dégradées intermédiaires, ceci essentiellement à travers la Gendarmerie mobile, qui compte quelque 17'000 gendarmes et des moyens lourds. La Gendarmerie représente un trait d'union entre civils et militaires.
De fait, la Gendarmerie est aujourd'hui une force de régulation sociale, une fonction stabilisatrice qui procède d'une réponse globale. Le gendarme est immergé, il vit là où il travaille, il est au sein de la population qu'il est chargé de protéger ; c'est par la combinaison de l'ensemble des missions - renseignement, sécurité de la route, police judiciaire, service quotidien, etc. - que l'on contribue à la sécurité générale. L'objectif quotidien, en effet, consiste à vivre ensemble, un vivre ensemble qui doit être diffusé, stimulé ou même imposé. Le gendarme est donc un militant des valeurs républicaines et un acteur du continuum social / sociétal.
Les menaces et les entreprises
Le cinquième et dernier éclairage a été apporté par Chantal Balet, associée du Cabinet Fasel-Balet-Loretan.
La Suisse connait une grande prospérité que nous devons à l'excellence, une excellence qui s'applique également au domaine de la sécurité. Cela fait partie de la qualité de vie, un critère essentiel des entreprises susceptibles de venir s'établir en Suisse ou qui attendent simplement des conditions de travail optimales.
De nouveaux risques, de nouvelles menaces apparaissent cependant pour les entreprises en Suisse, comme les menaces adressées à des banquiers privés à Genève, à des chercheurs de laboratoire de l'industrie pharmaceutique, dans une société où le passage à l'acte est de plus en plus fréquent. L'intolérance de certains extrémistes peut ainsi amener à une violence ayant des conséquences graves, y compris sur le plan économique.
A cela s'ajoutent les menaces pesant sur les réseaux informatiques, que ce soit pour le sabotage de système (ainsi le piratage de la messagerie du groupe Bobst) ou pour l'espionnage industriel, qui n'est pas sans risque pour les entreprises suisses (ainsi le vol de données informatiques, dans un cas comme celui de HSBC). De tels risques sont encore renforcés lorsque des États voisins profitent des vols ainsi effectués pour leurs propres intérêts, spécialement pour un petit pays comme le nôtre.
Sur le plan du commerce extérieur, l'épisode libyen a montré l'émergence de menaces ayant un impact direct sur l'une des sources de la prospérité suisse. La Suisse doit se préoccuper d'avoir les moyens de répondre à de telles situations. Il en va de même sur les menaces que la piraterie maritime exerce sur la flotte suisse de haute mer : on ne peut pas continuer à improviser des réponses face à des cas qui vont se reproduire.
Pour les entreprises suisses, enfin, la sécurité du droit et le respect des lois jouent un rôle central. Un épisode comme l'affaire HSBC ne doit pas se reproduire. Par ailleurs, la simplicité des règles fait également partie de cette sécurité du droit, et la tendance à compliquer le droit pour répondre en détail à chaque menace est ainsi contre-productive. Rester dans une société de confiance, sans règle excessivement tatillonne, est nécessaire.
Débat et conclusion
Le débat subséquent a rassemblé les 5 intervenants qui se sont exprimés, mais aussi 5 autres intervenants : la conseillère aux États Géraldine Savary, le conseiller national Yvan Perrin, le directeur général des douanes Rudolf Dietrich, le vice-directeur de l'Office fédéral de la police Adrian Lobsiger, ainsi que le divisionnaire Jean-François Corminboeuf, ancien commandant de la région territoriale 1.
Il serait vain de résumer les propos tenus durant près d'une heure et demie par ces 10 personnes. Les aspects saillants des débats ont cependant été les suivants :
Les lacunes sur le plan du renseignement, et notamment l'absence de toute possibilité de surveiller des communications en-dehors d'une enquête pénale, par exemple lorsqu'une menace se dessine et qu'une action préventive reste possible.
La perméabilité actuelle des frontières, que celle-ci soit physique ou cybernétique, et pour ce dernier cas la difficulté de régler les compétences juridiques lors du constat d'activités criminelles.
La méconnaissance des problèmes de sécurité contemporains au sein de la classe politique, et le fait que ce thème ne soit pas porteur du tout, voire même soit entaché de positions idéologiques.
Le forum a été clos par le colonel EMG Yves Gaillard, commandant du centre de formation du Chablais de la Sécurité Militaire, qui est revenu sur le thème de la pièce manquante de la sécurité, et qui a souligné à la fois le lien étroit entre la sécurité et le bonheur et le fait que l'une comme l'autre ne sont jamais acquises. Au final, les participants ont partagé le verre de l'amitié et ont ainsi poursuivi les discussions pertinentes et enrichissantes suscités par les thèmes abordés.
Lt col EMG Ludovic Monnerat