Stéphane Montabert
La police genevoise sur la sellette
Certains éléments de la police du canton du bout du lac font-ils usage d'une force excessive lors des arrestations, voire de la torture lors des interrogatoires?
Suite aux troubles fréquents de la prison de Champ-Dollon - des menaces de grève de la faim, une violence endémique et des pétitions de détenus - le Grand Conseil a mandaté trois experts pour enquêter sur les causes de la surpopulation chronique de la prison. Les révélations surprennent et débordent largement du milieu carcéral.
Le rapport, mentionné mercredi dans 24 Heures, Le Temps et La Tribune de Genève entre autres, met l'accent sur le recours excessif à la détention préventive, tant dans la fréquence que dans la durée. Mais surtout, il met gravement en cause le travail de la police en amont, bien avant qu'un accusé vienne croupir en cellule dans l'attente de son procès.
Le fait que les détenus de Champ-Dollon soient bien trop peu nombreux à être passé en jugement avant d'être incarcérés n'est finalement qu'une partie, somme toute relative, du problème. En évoquant la police, le rapport va beaucoup plus loin en mentionnant des actes qui s'apparentent à de la torture:
Coups de pied, gifles, rackets, suffocation durant les interrogatoires. Un rapport d’experts dénonce les violences policières subies par des prévenus lors d’interpellations ou dans les salles d’audition. La plupart des abus allégués sont commis par des inspecteurs de la police judiciaire sur des individus souvent menottés.(...)
Le rapport évoque aussi le cas d’un mineur victime de «submarino». En clair, ce dernier déclare qu’un policier lui a plongé et maintenu la tête dans une corbeille à papier remplie d’eau.
Les trois experts mandatés, Christian-Nils Robert, Barbara Bernath et Jean-Pierre Restellini, ont auditionné 125 détenus. Sur ce total, 38 se sont plaints de mauvais traitements physiques.
Après ces révélations, les langues se délient à l'extérieur de la prison. Les deux quotidiens gratuits 20 Minutes et Matin Bleu ont par exemple mentionné aujourd'hui les témoignages d'individus qui ont eu affaire à la police et se disent eux aussi victimes de violences:
Vers 20 h, alors qu’il rentrait chez lui après avoir vendu une barrette de shit dans un parc, "Michel" a été assailli par quatre policiers. Mis à terre sans ménagement, frappé et menotté, il a été emmené au poste de police où il a passé une nuit dont il garde autant de mauvais souvenirs que de stigmates.
Evidemment, on peut toujours mettre en doute les récriminations d'un vendeur de shit. La parole d'un malfrat ne pèse pas lourd face à celle d'un fonctionnaire assermenté. Mais la multiplication d'histoires de ce genre finit par semer le trouble sur la réputation de la police genevoise.
Il est clair que les policiers n'ont pas la tâche facile. Obligés de neutraliser des prévenus qui ne s'avèrent pas toujours aussi calmes que quand ils témoignent de leur mésaventure à des journalistes ou des experts du gouvernement, les policiers doivent parfois faire usage de la force. La question concerne toujours sa proportion - surtout face à un individu désarmé, coopératif et/ou menotté. Est-ce pour "marquer le coup", par habitude, et prévenir toute tentative stupide d'évasion ou de violence? Est-ce une forme de préparation psychologique à l'interrogatoire qui va suivre? Est-ce simplement l'occasion pour des fonctionnaires violents de céder à leur pulsion face à des cibles en position d'infériorité, en toute impunité? On ne peut malheureusement pas être sûr de la moindre hypothèse.
Jean-Pierre Restellini, l’un des experts mandatés pour le rapport et qui travaille comme membre du Comité européen pour la prévention de la torture, affirme désormais qu'il faut «créer une inspection générale des services» et améliorer la formation des policiers. Il est vrai que la surveillance est plutôt élémentaire, avec seulement six commissaires qui assurent ce rôle essentiel - en plus de leur travail.
En plus ou à la place, peut-être devrait-on introduire davantage d'enregistrement audio et vidéo dans les postes de police, voire pour les patrouilles lorsqu'elles en arrivent à effectuer une arrestation, de la même façon que les policiers de la route, aux Etats-Unis, sont constamment filmés lorsqu'ils arrêtent le moindre véhicule. Même s'ils ne donnent pas l'occasion de retranscrire l'intégralité de l'atmosphère d'une scène, ces enregistrements permettraient certainement de lever le doute de bien des exactions dont les policiers genevois sont accusés.
Et naturellement, il reste au législateur à déterminer précisément quelles sont les méthodes d'arrestation et d'interrogation acceptables et celles qui ne le sont pas - ce qui est loin d'être facile.











