Stéphane Montabert
Cabale à la Banque Mondiale
Paul Wolfowitz, nommé par la Maison Blanche à la tête de la Banque Mondiale, est menacé en ce moment par une commision d'enquête interne. De ce côté de l'Atlantique, les railleries vont bon train contre le président menacé: Paul Wolfowitz, l'affreux directeur qui aurait profité de son poste pour augmenter spectaculairement le salaire de sa moitié.
Malheureusement, la vérité est souvent la première victime d'une lutte d'influence. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, et celle-ci n'a rien a voir avec l'augmentation de salaire dont M. Wolfowitz aurait fait bénéficier une amie. Eclaircissons un peu le dossier, à l'aide notamment d'extraits de courriers électroniques échangés par les protagonistes.
Lorsque M. Wolfowitz est nommé au poste de Président de la Banque Mondiale, il a immédiatement un problème: sa liaison avec Shaha Riza, une cadre de la banque, est contraire à la charte éthique de l'institution. Il en informe immédiatement les directeurs mais le comité d'éthique refuse la solution qu'il propose - laisser les choses en place en se voyant retiré tout pouvoir de décision concernant le salaire et la position de la collaboratrice. La commission propose au contraire de donner un poste à Mme Riza hors de la banque, seul moyen de la mettre "à l'abri" de l'autorité de son Président, et de lui donner une promotion pour compenser cet accident de carrière... Une recommandation dont ils laissent au président le soin de régler les détails, salaire compris!
Aussi, le conflit naît non du principe de l'augmentation de salaire mais de son montant, qui revint à une augmentation annuelle de 8% au lieu des 3.7% habituels - 8% correspondant à une "performance exceptionnelle" et dépassant vraisemblablement ce que le comité d'éthique avait à l'esprit. Cela suffit à causer une immense fureur au sein des bureaucrates de l'institution, très attachés aux notions de rang et de statut. Mais leur colère ne fit que croître quand ils virent que Mme Riza bénéficierait en outre d'une promotion au rang de directeur ou de conseiller expert à son retour dans la Banque Mondiale, quand le mandat de M. Wolfowitz expirerait en 2010 - voire en 2015 avec le rang de vice-président, si M. Wolfowitz était reconduit dans ses fonctions.
Ces attentions semblent des faveurs, mais il est en réalité peu probable que ce soit le cas. Selon toute vraisemblance, M. Wolfowitz essayait d'apaiser une collaboratrice dont la carrière promettait d'être brisée par la nomination d'un petit ami plus haut dans la hiérarchie de la banque, coup du sort face auquel elle était totalement impuissante. L'inaction aurait en outre posé de sérieux risques légaux à l'institution face à des accusations de népotisme - accusations dont est paradoxalement accusé aujourd'hui M. Wolfowitz, précisément pour la façon dont il essaya de résoudre le problème.
Reste au bureau exécutif de la banque de décider de l'interprétation de tout ceci. Leur comité d'éthique n'aurait jamais dû donner à M. Wolfowitz un pouvoir de décision l'exposant ensuite aux critiques de ce même comité. D'autant plus que les gens étaient au courant: un email anonyme fut envoyé dès janvier 2006, s'indignant du nouveau salaire de Mme Riza. Or, après une "revue soigneuse" du dossier, le comité d'éthique conclut que tout était correct et que l'e-mail dénonciateur ne contenait finalement "aucune information nouvelle"...
Hors de la banque, les médias profitent de l'affaire pour descendre le Président en flammes, et rares sont ceux qui relatent sincèrement la chronologie des événements. Pourquoi cette cabale? Outre les inévitables intrigues et luttes d'influence qui émaillent le quotidien de ce genre d'institutions - associées à toutes les médisances de ceux qui cherchent à l'affaiblir par pur dessein idéologique - il n'est pas besoin de chercher très loin l'objectif direct et inavoué atteint par la démission de Wolfowitz: l'arrêt de sa politique. Rappelons un petit article du Financial Times parlant de la nomination de M. Wolfowitz, deux ans plus tôt:
La décision du Président George W. Bush mecredi de nommer Paul Wolfowitz comme prochain président de la Banque Mondiale est le second choc du mois pour les Européens, qui pensaient que M. Bush présenterait un visage plus aimable au monde pour son second mandat.
A la place, avec la nomination la semaine dernière de John Bolton comme ambassadeur auprès des Nations Unies, M. Bush a mis en avant deux hommes avocats passionnés de la position selon laquelle le reste du monde suivra et se rangera derrière la direction prise par les Etats-Unis.
"Wolfowitz est le symbole de l'approche solitaire de l'administration Bush", dit Devesh Kapur, expert en sciences politiques à Harvard et co-auteur de l'histoire officielle de la Banque Mondiale. "Associée à la nomination de John Bolton, les Etats-Unis donnent les postes aux gens les plus sceptiques quant au multilatéralisme."
(...) Des organisations non gouvernementales craignent que M. Wolfowitz ait un objectif différent [de la simple lutte contre la pauvreté], cherchant à enrôler la banque dans le vaste projet consistant à améliorer la sécurité des Etats-Unis en faisant la promotion de la démocratie. "Il y a des inquiétudes sur la possibilité d'introduire la guerre contre le terrorisme dans les projets et les directives de la Banque Mondiale", explique Manish Bapna, directeur du Bank Information Center.
M. Wolfowitz a affirmé à plusieurs occasions qu'il pense que le développement est vital pour gagner la guerre contre le terrorisme. Dans un discours prononcé à l'institut Brookings en 2002, il dit: "Les centaines de millions de musulmans qui aspirent à la modernité, la liberté et la prospérité sont, en réalité, en toute première ligne de la lutte contre le terrorisme."
Etrange de voir comme ceux qui expliquent le plus souvent le terrorisme par la pauvreté s'effraient finalement que cette opinion soit partagée au sommet de la Banque Mondiale...
Historiquement, le FMI est dirigé par un Européen alors que la Banque Mondiale l'est par un Américain. Mais les traditions n'empêchent pas la critique. Si celle-ci tombe à plat, la bonne vieille méthode du scandale permettra toujours de se débarrasser d'un nominé gênant. Mais malgré toutes les "conclusions d'experts", le sort de Paul Wolfowitz dans son rôle actuel est suspendu à la décision de l'administration Bush; avec 19% des parts de la Banque Mondiale, les Etats-Unis disposent d'une voix prépondérante dans l'institution, même en face de ce pseudo-scandale.
Pour finir, une colonne de l'Opinion Journal permet de mesurer le gouffre qui sépare un dossier d'un autre selon les personnes impliquées...











