David Humair

Une bombe atomique dans l'arrière-cour

Le risque de voir des terroristes employer des armes de destruction massive donne lieu à de nombreuses spéculations. Parfois, celles-ci deviennent excessives et illustrent une exagération de la menace, notamment aux Etats-Unis. L'analyse du docteur David Humair.

Récemment, deux auteurs, Zimmermann et Levis publiaient un article intitulé "The Bomb in the Backyard"[1], décrivant comme il était simple et relativement peu onéreux de concevoir une bombe atomique, en acquérant de l'uranium enrichi et des composants d'artillerie sur Internet.

Rempli de raccourcis faciles, de prêchi-prêcha apocalyptique et de décomptes "coût/victime" douteux, cet article soutient que la mouvance islamiste cherche à acquérir "coûte que coûte" une arme nucléaire afin d'infliger un maximum de pertes à l'adversaire et cela à moindre frais. Ainsi, une équipe de vingt activistes pourraient créer de toutes pièces, pour environ 5 millions de dollars, une arme nucléaire de plusieurs kilotonnes et cela sur sol américain. Utopie!

Je ne suis assurément pas d'accord avec le professeur Zimmermann et le Docteur Lewis. Il ne serait pas facile pour une bande de "bad guys" de réaliser une bombe atomique dans leur "petite maison dans la prairie", quelque part dans la "Bible Belt"[2], parmi des élevages de cochons, des éoliennes grinçantes, des serpents à sonnettes et des troupeaux de "longhorn". Mon but n'est pas de dénigrer le sujet de l'article publié dans "Foreign Policy", mais plutôt de proposer une vision plus réaliste donc plus utile pour une éventuelle appréhension de la menace liée aux armes de destruction massive.

Je ne vais pas m'attarder ici sur des sujets abondamment discutés comme "Est-ce que les terroristes veulent vraiment tuer beaucoup de personnes?" ou "Est-il facile d'acquérir de l'uranium enrichi?". Beaucoup d'encre a déjà coulé pour exposer ce que je décrirais comme des scénarios à la James Bond, déversant d'anciens stocks d'armes de destruction massive fluorescentes et présentant de vieux savants fous, tout aussi fluorescents, offrant leur savoir à des terroristes pour une poignée de dollars (un scientifique seul ne permet pas d'acquérir la technologie). En parallèle, je ne vais pas non plus mentionner le contrôle des matériaux et technologies critiques, ni la pléthore de moyens mis en place par la communauté internationale pour traquer les activités douteuses en matière de prolifération. Non, je vais ici utiliser la même ligne d'argumentation des auteurs pour y donner une perspective plus réaliste.

D'entrée de jeu, il est déclaré que certaines personnes pensent faussement que les terroristes n'ont ni la volonté ni l'habilité de créer une arme nucléaire. Je suis un de ceux-là, car je juge que même s'ils ont la motivation et/ou le savoir-faire, cela ne signifie encore en rien qu'ils soient dans la possibilité de faire quoique ce soit. Pour étayer leur ligne de raisonnement, les auteurs prétendent que puisque la technologie nécessaire pour la création d'une arme atomique date d'il y a plus de soixante ans, elle est de facto simple à mettre en œuvre. Il ne faut pas oublier que "Gadget", "Fat Man" et "Little Boy" étaient le fruit de programmes du gouvernement américain (Manhattan et Silverplate) ayant coûtés, selon une étude de la Brookings Institution[3] plus de vingt milliards de dollars (constant 1996 dollars). Nous sommes loin des 5.43 millions de dollars que les auteurs proposent. On parle ici d'une somme 4'000 fois plus élevée. Je comprends bien que la part du lion du projet Manhattan ait servi à générer un immense savoir-faire, mais dans tous les cas, ce sont ici des magnitudes très différentes. Quoiqu'il en soit, construire un engin nucléaire à partir de rien coûtera énormément d'argent.

En poursuivant la ligne de raisonnement des auteurs et en calculant le coût par victime du projet Manhattan (Hiroshima, 140'000 personnes, Nagasaki 70'000), nous obtenons un montant de 95'240 dollars par victime, ce qui est 560 fois plus élevé que les 170 dollars des attaques du 11 septembre 2001. Et même s'il est dorénavant cent fois plus simple de produire une bombe atomique, comme le suggèrent Zimmermann et Lewis, cela coûtera toujours environ 1'000 dollars par victime. Je reste persuadé que les terroristes continueront de privilégier des solutions plus simples offrant un meilleur retour sur investissement, comme par exemple les armes légères qu'utilisent les insurgés dans les rues de Bagdad (on parle ici d'environ 10 dollars par victime). Selon certains spécialistes du renseignement, le terrorisme devient de plus en plus « low cost », du fait que les acteurs dépendent de plus en plus de leurs propres capacités financières. Qui plus est, si l'on prend également en considération, la décentralisation croissante des mouvements et donc l'impossibilité de bénéficier de la manne financière des réseaux, le fait qu'un groupe terroriste investisse plus de 5 millions deviendrait presque illusoire.

Concentrons-nous maintenant sur le décor "Petite maison dans la prairie" décrit dans le scénario. Les auteurs imaginent vingt intégristes islamistes vivant dans un environnement chrétien fondamentaliste (Texas ou Wyoming), comme un nombre suffisant pour créer une bombe nucléaire. Assurément, selon le scénario, ces garçons ne sont pas du type "rancher blond conduisant un gros 4x4 et montant des taureaux furieux par pur plaisir". Au contraire, ils ressembleront plutôt aux personnes décrites sur la liste "most wanted terrorists" du FBI[4]. Jusqu'ici, pas de problème majeur, il ne s'agit que de braves musulmans cultivant la terre, joyeusement et légalement, dans les environs d'Austin ou peut-être de Crawford au Texas.

Il faut toutefois dire qu'en allant dans le détail, l'article perd de sa crédibilité. Il est difficile d'imaginer Mohammad X achetant un ranch de dix hectares au milieu de nulle part, pour ne pas utiliser la surface à disposition car il n'a ni bétails, ni tracteurs et surtout aucun intérêt pour le développement agraire de sa propriété. Il est difficile de concevoir les 19 amis masculins arrivant un à un, principalement de nuit, pour ensuite vivre entassés dans la même petite maison, comme il est ardu d'imaginer Rafik Y allant à l'épicerie du village voisin pour acheter 50 kilos de riz et demandant si il n'y aurait pas du mouton "halal" à acheter. Que penser du conducteur de poids lourd livrant les pièces d'artillerie achetées sur Internet, ne trouvant pas son chemin et demandant aux habitants du village où Mohammad et ses amis habitent. Finalement, les coups d'artillerie tirés le dimanche matin en même temps que l'office à l'église baptiste des environs ne viennent pas vraiment renforcer le réalisme de ce scénario.

Soit les voisins de la "petite maison dans la prairie" sont stupides, aveugles ou sourds et n'ont strictement aucune idée de ce qu'il se passe sur cette planète ou Mohammad et ses amis sont très entrainés et organisés pour réaliser des activités illégales de grande envergure.

Il est beaucoup plus probable que selon ce scénario, le ranch sera entouré par 150 agents du FBI, des tanks et des hélicoptères, en moins de trois jours.

Le retour sur investissement, l'accès à des technologies et matériaux critiques, l'enrôlement de scientifiques dévoués et fiables, ainsi que la pression de l'environnement sont autant de facteurs qui mèneront à une tentative infructueuse de conception d'arme nucléaire par un groupe ou une organisation terroriste. Le développement d'une bombe atomique est coûteux, amphigourique, nécessite un support logistique colossal et sophistiqué, un savoir-faire étendu et permet une traçabilité relativement aisée. Toutefois, le facteur le plus convainquant est qu'il existe des alternatives bien moins onéreuses, plus efficaces et présentant un risque beaucoup moins élevé.

Les évènements quotidiens en Irak et en Afghanistan corroborent mon point de vue rectificatif du scénario proposé par Zimmermann et Lewis. Et je reste convaincu que le Professeur Mueller de l'Université d'Etat de l'Ohio n'a pas tout tort lorsqu'il écrit: "Although it remains heretical to say so, the evidence so far suggests that fears of the omnipotent terrorist - reminiscent of those inspired by images of the 20-foot-tall Japanese after Pearl Harbor or the 20-foot-tall Communists at various points of the Cold War (particularly after Sputnik) - may have been overblown, the threat presented within the United States by al Qaeda is greatly exaggerated"[5].


 Dr. David Humair


 

[1] Foreign Policy, November/December 2006 Edition, pp. 33-39.

[2] Le Bible Belt, littéralement la "ceinture de la Bible" est une zone géographique et « sociologique » des États-Unis dans laquelle vivent un pourcentage élevé de personnes se réclamant d'un protestantisme rigoriste. (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Bible_Belt pour plus d'informations)

[3] http://www.brook.edu/FP/PROJECTS/NUCWCOST/MANHATTN.HTM, visité le 29 janvier 2007 à  14 :49. .

[4] http://www.fbi.gov/wanted/terrorists/fugitives.htm visité le 16.02.2007 à 11:06.

[5] John Mueller, 2006, "Is there still a terrorist threat?", Foreign Affairs, vol 85. no 5. p. 8

Une bombe atomique dans l'arrière-cour

Le risque de voir des terroristes employer des armes de destruction massive donne lieu à de nombreuses spéculations. Parfois, celles-ci deviennent excessives et illustrent une exagération de la menace, notamment aux Etats-Unis. L'analyse du docteur David Humair.

Récemment, deux auteurs, Zimmermann et Levis publiaient un article intitulé "The Bomb in the Backyard"[1], décrivant comme il était simple et relativement peu onéreux de concevoir une bombe atomique, en acquérant de l'uranium enrichi et des composants d'artillerie sur Internet.

Rempli de raccourcis faciles, de prêchi-prêcha apocalyptique et de décomptes "coût/victime" douteux, cet article soutient que la mouvance islamiste cherche à acquérir "coûte que coûte" une arme nucléaire afin d'infliger un maximum de pertes à l'adversaire et cela à moindre frais. Ainsi, une équipe de vingt activistes pourraient créer de toutes pièces, pour environ 5 millions de dollars, une arme nucléaire de plusieurs kilotonnes et cela sur sol américain. Utopie!

Je ne suis assurément pas d'accord avec le professeur Zimmermann et le Docteur Lewis. Il ne serait pas facile pour une bande de "bad guys" de réaliser une bombe atomique dans leur "petite maison dans la prairie", quelque part dans la "Bible Belt"[2], parmi des élevages de cochons, des éoliennes grinçantes, des serpents à sonnettes et des troupeaux de "longhorn". Mon but n'est pas de dénigrer le sujet de l'article publié dans "Foreign Policy", mais plutôt de proposer une vision plus réaliste donc plus utile pour une éventuelle appréhension de la menace liée aux armes de destruction massive.

Je ne vais pas m'attarder ici sur des sujets abondamment discutés comme "Est-ce que les terroristes veulent vraiment tuer beaucoup de personnes?" ou "Est-il facile d'acquérir de l'uranium enrichi?". Beaucoup d'encre a déjà coulé pour exposer ce que je décrirais comme des scénarios à la James Bond, déversant d'anciens stocks d'armes de destruction massive fluorescentes et présentant de vieux savants fous, tout aussi fluorescents, offrant leur savoir à des terroristes pour une poignée de dollars (un scientifique seul ne permet pas d'acquérir la technologie). En parallèle, je ne vais pas non plus mentionner le contrôle des matériaux et technologies critiques, ni la pléthore de moyens mis en place par la communauté internationale pour traquer les activités douteuses en matière de prolifération. Non, je vais ici utiliser la même ligne d'argumentation des auteurs pour y donner une perspective plus réaliste.

D'entrée de jeu, il est déclaré que certaines personnes pensent faussement que les terroristes n'ont ni la volonté ni l'habilité de créer une arme nucléaire. Je suis un de ceux-là, car je juge que même s'ils ont la motivation et/ou le savoir-faire, cela ne signifie encore en rien qu'ils soient dans la possibilité de faire quoique ce soit. Pour étayer leur ligne de raisonnement, les auteurs prétendent que puisque la technologie nécessaire pour la création d'une arme atomique date d'il y a plus de soixante ans, elle est de facto simple à mettre en œuvre. Il ne faut pas oublier que "Gadget", "Fat Man" et "Little Boy" étaient le fruit de programmes du gouvernement américain (Manhattan et Silverplate) ayant coûtés, selon une étude de la Brookings Institution[3] plus de vingt milliards de dollars (constant 1996 dollars). Nous sommes loin des 5.43 millions de dollars que les auteurs proposent. On parle ici d'une somme 4'000 fois plus élevée. Je comprends bien que la part du lion du projet Manhattan ait servi à générer un immense savoir-faire, mais dans tous les cas, ce sont ici des magnitudes très différentes. Quoiqu'il en soit, construire un engin nucléaire à partir de rien coûtera énormément d'argent.

En poursuivant la ligne de raisonnement des auteurs et en calculant le coût par victime du projet Manhattan (Hiroshima, 140'000 personnes, Nagasaki 70'000), nous obtenons un montant de 95'240 dollars par victime, ce qui est 560 fois plus élevé que les 170 dollars des attaques du 11 septembre 2001. Et même s'il est dorénavant cent fois plus simple de produire une bombe atomique, comme le suggèrent Zimmermann et Lewis, cela coûtera toujours environ 1'000 dollars par victime. Je reste persuadé que les terroristes continueront de privilégier des solutions plus simples offrant un meilleur retour sur investissement, comme par exemple les armes légères qu'utilisent les insurgés dans les rues de Bagdad (on parle ici d'environ 10 dollars par victime). Selon certains spécialistes du renseignement, le terrorisme devient de plus en plus « low cost », du fait que les acteurs dépendent de plus en plus de leurs propres capacités financières. Qui plus est, si l'on prend également en considération, la décentralisation croissante des mouvements et donc l'impossibilité de bénéficier de la manne financière des réseaux, le fait qu'un groupe terroriste investisse plus de 5 millions deviendrait presque illusoire.

Concentrons-nous maintenant sur le décor "Petite maison dans la prairie" décrit dans le scénario. Les auteurs imaginent vingt intégristes islamistes vivant dans un environnement chrétien fondamentaliste (Texas ou Wyoming), comme un nombre suffisant pour créer une bombe nucléaire. Assurément, selon le scénario, ces garçons ne sont pas du type "rancher blond conduisant un gros 4x4 et montant des taureaux furieux par pur plaisir". Au contraire, ils ressembleront plutôt aux personnes décrites sur la liste "most wanted terrorists" du FBI[4]. Jusqu'ici, pas de problème majeur, il ne s'agit que de braves musulmans cultivant la terre, joyeusement et légalement, dans les environs d'Austin ou peut-être de Crawford au Texas.

Il faut toutefois dire qu'en allant dans le détail, l'article perd de sa crédibilité. Il est difficile d'imaginer Mohammad X achetant un ranch de dix hectares au milieu de nulle part, pour ne pas utiliser la surface à disposition car il n'a ni bétails, ni tracteurs et surtout aucun intérêt pour le développement agraire de sa propriété. Il est difficile de concevoir les 19 amis masculins arrivant un à un, principalement de nuit, pour ensuite vivre entassés dans la même petite maison, comme il est ardu d'imaginer Rafik Y allant à l'épicerie du village voisin pour acheter 50 kilos de riz et demandant si il n'y aurait pas du mouton "halal" à acheter. Que penser du conducteur de poids lourd livrant les pièces d'artillerie achetées sur Internet, ne trouvant pas son chemin et demandant aux habitants du village où Mohammad et ses amis habitent. Finalement, les coups d'artillerie tirés le dimanche matin en même temps que l'office à l'église baptiste des environs ne viennent pas vraiment renforcer le réalisme de ce scénario.

Soit les voisins de la "petite maison dans la prairie" sont stupides, aveugles ou sourds et n'ont strictement aucune idée de ce qu'il se passe sur cette planète ou Mohammad et ses amis sont très entrainés et organisés pour réaliser des activités illégales de grande envergure.

Il est beaucoup plus probable que selon ce scénario, le ranch sera entouré par 150 agents du FBI, des tanks et des hélicoptères, en moins de trois jours.

Le retour sur investissement, l'accès à des technologies et matériaux critiques, l'enrôlement de scientifiques dévoués et fiables, ainsi que la pression de l'environnement sont autant de facteurs qui mèneront à une tentative infructueuse de conception d'arme nucléaire par un groupe ou une organisation terroriste. Le développement d'une bombe atomique est coûteux, amphigourique, nécessite un support logistique colossal et sophistiqué, un savoir-faire étendu et permet une traçabilité relativement aisée. Toutefois, le facteur le plus convainquant est qu'il existe des alternatives bien moins onéreuses, plus efficaces et présentant un risque beaucoup moins élevé.

Les évènements quotidiens en Irak et en Afghanistan corroborent mon point de vue rectificatif du scénario proposé par Zimmermann et Lewis. Et je reste convaincu que le Professeur Mueller de l'Université d'Etat de l'Ohio n'a pas tout tort lorsqu'il écrit: "Although it remains heretical to say so, the evidence so far suggests that fears of the omnipotent terrorist - reminiscent of those inspired by images of the 20-foot-tall Japanese after Pearl Harbor or the 20-foot-tall Communists at various points of the Cold War (particularly after Sputnik) - may have been overblown, the threat presented within the United States by al Qaeda is greatly exaggerated"[5].


 Dr. David Humair


 

[1] Foreign Policy, November/December 2006 Edition, pp. 33-39.

[2] Le Bible Belt, littéralement la "ceinture de la Bible" est une zone géographique et « sociologique » des États-Unis dans laquelle vivent un pourcentage élevé de personnes se réclamant d'un protestantisme rigoriste. (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Bible_Belt pour plus d'informations)

[3] http://www.brook.edu/FP/PROJECTS/NUCWCOST/MANHATTN.HTM, visité le 29 janvier 2007 à  14 :49. .

[4] http://www.fbi.gov/wanted/terrorists/fugitives.htm visité le 16.02.2007 à 11:06.

[5] John Mueller, 2006, "Is there still a terrorist threat?", Foreign Affairs, vol 85. no 5. p. 8

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