Christophe Keckeis

Armée suisse – scénarios pour demain

Ecrit par le Cdt C Christophe Keckeis, chef de l’armée

Les cinq scénarios décrits dans cet article sont source de réflexion si l’on se penche sur la question: que pourrait-il arriver? Et implicitement: quelles sont les aptitudes que l’armée doit développer afin d’être à la hauteur, non pas en cas de guerre seulement, mais si les conditions de sécurité en Suisse venaient à se détériorer massivement ? Nous avons beaucoup de peine à imaginer que cela puisse arriver. Probablement parce que nous savons inconsciemment que la sécurité ne peut être préservée que moyennant de grands changements dans notre mode de vie.


Le cours habituel de vie publique et économique en Suisse n’est pas menacé pour l’instant, pas plus que l’ordre intérieur. Mais l’espoir seul que la situation reste ainsi n’est pas raisonnable du point de vue de la politique de sécurité. Éviter le sujet? Le passer sous silence? Non plus. Si l’on veut s’y préparer, il faut aussi aborder les choses désagréables. Les scénarios qui vont être évoqués sont un mélange de réalité et de fiction. A leur lecture, il ne faut tirer aucunes conclusions, ni géographiques, ni politiques, sur leur probabilité de survenance.


Scénario 1: Grand niveau d’insécurité pendant une période prolongée


En soi une situation normale en Suisse, pareille à aujourd’hui. À Zurich, Baden, Bâle, Berne et Lausanne, l’atmosphère est tendue, voire franchement hostile, en raison de fermetures d’entreprises effectives ou annoncées et de délocalisations à l’étranger. En matière de sécurité, le WEF est devenu de la routine, comme les engagements subsidiaires d’ailleurs. Que la routine porte en elle le germe du danger est bien connu. De graves intempéries en Valais, presque toutes les vallées au sud du Rhône sont coupées du monde. Une conférence internationale à Genève sur les droits de l’homme et le droit international des conflits armés avec la participation de chefs d’État et de gouvernement importants est annoncée et préparée de longue date; il n’est plus possible de reculer sans perdre la face. Pas plus que d’annuler le match de football opposant Israël aux Émirats arabes unis, qui doit se dérouler dans deux semaines. C’est délibérément que la FIFA a décidé que le match se jouerait en Suisse. Le Stade de Suisse sera placé sous haute surveillance. Une fois de plus, les deux corps de police bernois seront privés de vacances et de jours de compensation.


En représailles, vraisemblablement, à une action militaire israélienne de grande envergure menée dans une colonie palestinienne de Cisjordanie, on assiste à des incendies criminels de synagogues à Zurich et à Lausanne. Nos services de renseignement sont en possession d’informations crédibles selon lesquelles un groupe, inconnu jusqu’ici, menace d’abattre des avions américains et israéliens au décollage de Zurich ou de Bâle avec des lance-roquettes portatifs achetés au marché noir.


Situation normale ou situation particulière? L’accumulation d’événements isolés ne sollicite pas seulement les autorités locales et cantonales. Le Gouvernement fédéral est aussi mis à contribution, c’est certain. Les processus et les modes de fonctionnement habituels sont-ils suffisants? Est-ce que l’approche classique de subsidiarité ne devrait pas être complétée par une approche stratégique de la Confédération? Ou bien allons-nous en rester simplement à la gestion des moyens traditionnels? Qu’en est-il de la conduite des opérations? Où en est-on au plan de l’intégration des États voisins dans un dispositif de sécurité supranational? Des engagements subsidiaires de sûreté comme du provisoire qui dure? Est-ce que les troupes suffisent selon le plan des services ou faut-il faire appel à des corps de troupe? Est-ce un service d’appui ou déjà un service actif? Peut-on faire des distinctions selon les régions ou est-ce que la tâche n’en serait rendue que plus compliquée? Des questions qui en appellent d’autres et auxquelles il convient d’apporter des réponses. L’une des réponses possibles de la Confédération serait: sûreté du secteur désigné par l’armée, en collaboration avec des forces d’intervention civiles, avec une structure de commandement militaro-civile spécialement désignée et soigneusement sélectionnée.


Scénario 2: Attaque terroriste imminente


En soi une situation normale en Suisse, pareille à aujourd’hui. Si ce n’est, depuis quelque temps, une guerre des clans qui fait rage entre deux groupes criminels avec plusieurs morts à Zurich et à Bâle. Sinon, rien à signaler. Contrairement au Nord de l’Italie qui est secoué depuis un certain temps par une série d’attentats sporadiques à l’explosif. Impossible jusqu’ici de déterminer le type de cibles visées. Une fois ce sont des terrasses de cafés animées, une autre fois des installations d’infrastructures, mais aussi des monuments historiques du Moyen Age ou de la Renaissance. Aucun coupable n’a pu être arrêté pour l’instant et la police a perdu leur trace. Que ces événements aient un lien avec la reprise du commandement de la FIAS par l’Italie n’est pour l’instant rien d’autre qu’une spéculation qui a la vie dure. Un sentiment d’insécurité et la colère se répandent face à l’inaction des autorités. Les médias se sont emparés de l’affaire.

C’est dans ce climat tendu que se produit soudain l’attaque la plus violente jamais enregistrée. Deux camions-citernes remplis d’un explosif d’un nouveau type explosent à un point de rétrécissement stratégique sur l’autoroute entre Gènes et Milan. La voûte d’un tunnel se brise, un pont est lourdement endommagé, des éléments s’en détachent et viennent s’écraser sur la voie de chemin de fer en contrebas. Les secours sont arrivés très vite sur les lieux, mais ils n’ont pas pu faire grand-chose. Plusieurs sauveteurs se sont plaints d’un sentiment de malaise et de troubles de la vision sur le lieu d’intervention. Les habitants des lotissements avoisinants ont, eux aussi, ressentis les mêmes symptômes. La zone sinistrée a été immédiatement évacuée et barrée sur un large périmètre. Le préfet a décrété l’état d’urgence. On attend sous peu des informations du ministère de l’Intérieur…


Un engagement de sûreté sectoriel préventif le long de la transversale Nord-Sud est l’une des mesures préventives envisageables dans ce cas. L’alternative – voir venir, renforcer quelque peu les activités de patrouille des polices cantonales le long de l’A2 – pourrait coûter très cher à la Suisse. Le Conseil fédéral détermine la stratégie, met sur pied un contingent de troupe, raisonnable mais néanmoins impressionnant. L’engagement est limité provisoirement à six mois. Des bases légales spécifiques sont en préparation.


Scénario 3: Attaques aériennes


Le Conseil de sécurité de l'ONU a pris la décision de ne pas regarder plus longtemps sans agir la situation dramatique qui prévaut dans l’ouest du Soudan. L’ONU va intervenir en force, en mettant elle-même sur pied une mission militaire UNDARF (ONU-Darfour). UNDARF a pour tâche de séparer les nombreuses parties en conflit, d'imposer un cessez-le-feu, de protéger la population locale et d'appuyer les organisations d'aide humanitaire sur place. Les troupes mobilisées se composent de soldats africains, européens et nord-américains. La Suisse met à disposition une douzaine d'observateurs militaires et un détachement aérien avec trois avions de type Porter.


Un avion de transport, un Hercules C-130 de l’US Air Force arborant les couleurs des Nations unies, s’est crashé au décollage à El M… sur une mosquée, au moment de la prière du vendredi, faisant plus de 80 morts parmi les fidèles. Un message vidéo, retransmis par la chaîne de télévision Al-Jazeera, vient confirmer les menaces d’attentats émises par un groupuscule faisant partie du réseau Al-Qaeda. Elles visent les Etats-Unis et les pays de la coalition UNDARF. De ce fait, l'ONU et ses institutions ainsi que les organisations apparentées sont désormais les premières cibles.


Le Conseil fédéral a ordonné, il y a quelque temps déjà, un renforcement de la surveillance dans le périmètre des bâtiments de l'ONU à Genève. L'espace aérien au-dessus de Genève a été soumis à restrictions, il est surveillé et sécurisé en permanence par les Forces aériennes, en collaboration avec l'armée de l'Air française.


Il est 18 heures. Un jet privé est en phase d’approche, en provenance du Sud-Est à une altitude de 11000 mètres. Il y a quelques minutes encore, l’appareil obéissait aux règles de la navigation aérienne civile pour survoler notre territoire en direction de Dijon. A peu près à la hauteur du Cervin, l'équipage a coupé le transpondeur, a cessé de répondre aux appels radio des contrôleurs aériens et a entamé une descente rapide. Les vecteurs du radar indiquent Genève ou Lausanne. Quelle est l'intention des pilotes? Qui est à bord et avec quel matériel?


Ce scénario pourrait se reproduire avec d’autres avions. Un petit appareil privé, affrété n’importe où en Suisse et qui aurait décollé à destination de Nestlé, de Novartis ou du Palais fédéral. La Suisse doit savoir ce qui se passe dans son espace aérien et le compléter vers l’extérieur dans le secteur directement intéressé. Les Forces aériennes doivent être en mesure à tout moment, 24 heures sur 24, de seconder la sécurité aérienne civile, d'identifier les avions et de les repousser, par la force des armes si nécessaire. On appelle cela le service de police aérienne. Un temps de réaction très court et un nombre d'avions suffisant, car la situation peut prendre une tournure critique en très peu de temps. Avec des conséquences, si l’on fait quelque chose. Avec des conséquences pires encore, si l’on ne fait rien.


Scénario 4: Vives inquiétudes dans une grande partie de l'Europe, en raison d'une pandémie


Toute l'Europe lutte contre une maladie mortelle, arrivée d'on ne sait où, et ses répercussions socio-économiques. En vain jusqu'ici, bien qu'au début, tout portait à croire que les autorités sanitaires auraient bientôt la situation sous contrôle, grâce à une mobilisation remarquable, dans le pays et à l'étranger. Une deuxième vague nous a touchés de plein fouet il y a quelques semaines. Les quelque 25000 victimes de la grippe lors de l'épidémie de 1918 ne sont rien en comparaison de ce qui nous attend aujourd’hui. La peur s’empare de la population. Des bruits alarmistes au sujet d’une distribution sélective des médicaments, à certains groupes de personnes seulement, renforcent encore le sentiment de peur. Le plan, diffusé par les médias, qui prévoit de mettre en quarantaine, dans les Alpes, les gens touchés par la maladie, soulève des vagues de protestations. Entre-temps, près d’une personne sur six est contaminée. Tous les secteurs de l'économie et de la vie publique sont affectés. Le Gouvernement a restreint la liberté de réunion et interdit toutes les manifestations sportives d'envergure. La peur, l’impuissance et la colère augmentent dans les mêmes proportions. Les pharmacies doivent être protégées des pillards et…


La police est en permanence sur la brèche. Depuis des semaines, elle fait ce qu'elle peut dans ce climat extrêmement tendu. Que va-t-il arriver si la situation s'envenime? L'État doit être en mesure de maîtriser de tels événements, de rétablir l’ordre public et d'endiguer les actes de violence. Si les mesures prises ne suffisent pas, il faut placer le secteur sous contrôle et le stabiliser. Se contenter de monter la garde et de protéger n’est plus suffisant dans ces conditions. Les foyers de troubles doivent être recherchés activement et maîtrisés. La police et l'armée sont sollicitées à l'identique. La situation dramatique de Genève ne doit pas se répéter. Le souvenir de ces événements ne doit pas être ressenti comme un échec qui nous empêcherait, demain, de maîtriser une situation extrêmement difficile.


Scénario 5: Des Suisses attendent de l'aide


En Côte d'Ivoire, le drame de 2004 se répète, mais dans des circonstances quelque peu différentes. La France, parce que fortement engagée ailleurs, n'est pas en mesure de stabiliser la capitale, la route qui mène à l'aéroport et l'aéroport lui-même, rendant de ce fait impossible le rapatriement de nombreux Européens en danger de mort, parmi lesquels plusieurs centaines de Suisses. Il manque aussi des capacités de transport. Les hélicoptères sont condamnés à rester sur les porte-avions qui croisent le long de la côte en attendant que les conditions météo s'améliorent. Dans cette situation, la France propose à la Suisse d'intégrer un contingent suisse dans la troupe de protection internationale actuellement mise à rude épreuve, de plus, elle lui demande de participer à la mise en place du pont aérien en cours de réalisation. Le Gouvernement de notre pays sollicite l’aide de la compagnie Swiss, mais cette dernière refuse, arguant que les Airbus ne peuvent atterrir sur la piste endommagée, devenue trop courte…


Jusqu'à aujourd'hui, nous avons toujours eu la chance de pouvoir compter sur les autres. Mais qu'adviendrait-il, s’ils nous demandaient de participer autrement que par des aides financières? Serait-ce là une demande si étrange? Laisserions-nous simplement la colonie suisse à son destin, nous qui sommes si fiers de nos Suisses de l'étranger? Le Gouvernement va-t-il décider de faire appel aux troupes nouvellement constituées et spécialement sélectionnées et formées à ce type d’engagement?


Ce qui change et pourquoi


L'armée doit contribuer à trouver des solutions aux tâches de sécurité actuelles et prévisibles. La situation et les tendances qui se dessinent vont dans le sens d’un besoin accru en forces de protection. À la suite des décisions USIS prises par le Conseil fédéral, l'armée doit se préparer à des engagements subsidiaires de sûreté sur une longue période. D’ailleurs, on verra bientôt de plus en plus de militaires en service long être formés à ce type d’engagements. L'armée doit aussi se préparer à fournir une sûreté subsidiaire permanente et efficace sur une longue durée, pour des secteurs complets ou des régions entières du pays.


Dans le même temps, il incombe aussi à l’armée de maintenir et de développer son aptitude en tant qu’instrument de combat à part entière, pour le cas très improbable d’un retour à une confrontation militaire classique en Europe. À cet effet, nous avons besoin d'un noyau dur de forces de défense (la défense au sens strict du terme) qui soit prêt à transmettre ses connaissances et son savoir-faire dans le domaine du combat interarmes aux nouvelles forces qui devront les appliquer par la suite. Ce noyau doit pouvoir se concentrer sur sa tâche première.


Pour toutes ces raisons, l'armée est, une nouvelle fois, contrainte de s'adapter, de manière plus rapide et plus anticipée qu'on ne le pensait. Au plan mental, structurel et matériel, l'armée était naguère presque essentiellement concentrée sur la pire éventualité, à savoir la conduite de la guerre contre un adversaire militaire. C'était juste, à l'époque. Les deux autres missions que sont le soutien aux autorités civiles et les engagements en faveur de la promotion de la paix étaient réduites, pour ainsi dire, à la portion congrue. Parce que l'armée existait, elle a été engagée pour les deux autres missions, puisqu'il n'y avait, pendant tout ce temps, aucune grande guerre militaire sur le territoire. Dans le nouveau processus de réflexion, l’armée fonctionne selon le principe des engagements prévisibles probables.


Optimisation de l'armée


L'armée se développe selon le principe d’une organisation qui s’adapte en permanence. Une adaptation flexible aux nouvelles donnes et aux nouvelles conditions, c'est là le fondement même de l'Armée XXI. L’étape de développement pour la période 2008 à 2011 n’est pas la réforme de la réforme.


La mission d'engagement de sûreté sectoriel ne vit plus dans l'ombre de la défense. La sûreté sectorielle a certes, au plan de l'exécution technique, de nombreux points communs avec la défense, mais elle peut aussi être totalement séparée d'une attaque militaire qui se déroulerait ultérieurement, si nécessaire. La sûreté sectorielle exige des aptitudes particulières qui ne peuvent s’acquérir, en raison de nos périodes d’instruction extrêmement courtes, que par une répartition des tâches. Aussi bien le combat interarmes que la sûreté sectorielle sont des missions difficiles et complexes; la troupe a le droit d'y être préparée de façon optimale. Le reproche qui leur est fait, d’être des missions secondaires, n’est pas justifié. Toutes les missions de l’armée sont d’égale importance.


Le noyau dur des forces de sûreté: la nouvelle infanterie.- Elle doit être apte à protéger de manière proportionnée, efficace et sérieuse dans toutes les situations très exigeantes, en deçà du seuil infraguerrier proprement dit. Il ne s'agit pas d'un service d’aide à la police. Il s'agit de bien plus, à savoir de la protection d’ouvrages, de la sécurité d'infrastructures et d’axes critiques, de la surveillance, du maintien de la praticabilité, de contrôles, de recherches et de perquisitions, également, suivant la situation, de neutralisation. Des activités exigeantes, quand ce que l’on veut protéger ne doit pas être affecté par notre intervention.


Le noyau dur des forces de défense : les formations mécanisées.- Les chars et les grenadiers de chars, y compris l’artillerie et le génie. Petites par la taille mais grandes par la qualité, ces formations doivent être aptes à maintenir les connaissances et le savoir-faire du combat interarmes au sol, à les développer et, le cas échéant, à les transmettre. Là aussi, il s’agit d’une tâche difficile, en temps de paix, quand beaucoup la considèrent comme superflue. Encore une chose: la possibilité doit être donnée à des éléments du noyau de montée en puissance de pouvoir aller s’entraîner à l’étranger, comme le font les Forces aériennes, pas seulement pour des raisons de place, mais parce qu’il est utile de temps à autre de pouvoir se mesurer à autrui. Dans l’isolement, le noyau de montée en puissance risque de s’affaiblir.


La question des Forces aériennes


Les Forces aériennes sont dans l’ensemble exclues de l’étape de développement 2008-2011. Elles doivent continuer à s’adapter aux changements, mais pas dans leurs fondements. Aujourd’hui déjà, les Forces aériennes ne sont plus considérées comme un noyau de montée en puissance dans le domaine de la guerre aérienne. Même plus cela! Beaucoup d’éléments font défaut. Le combat terrestre et l’exploration s’affaiblissent, la défense aérienne n’est efficace que jusqu’à moyenne altitude.


La mission présente et future la plus importante des Forces aériennes est la préservation de la souveraineté de l’espace aérien et la protection de l’espace aérien suisse. La souveraineté dans la troisième dimension doit être rendue visible de tout un chacun et, si nécessaire, imposée. Une surveillance permanente de l’espace aérien ne suffit pas. Il faut pouvoir, à peine en quelques minutes, mobiliser les moyens requis pour des interventions dans l’espace aérien, 24 heures sur 24, 365 jours par année.


La deuxième mission des Forces aériennes est le transport aérien, garant de la mobilité de l’ensemble de l’armée, notamment dans le domaine de l’appui aux autorités civiles, y compris l’assistance humanitaire et la promotion de la paix. L’importance et la valeur de tels engagements ont été largement démontrées lors des événements qui se sont produits en Suisse et à l’étranger en 2005.


La troisième mission est un travail dexploration avec différents capteurs permettant de se faire une image de la situation, donc de prendre des décisions à l’échelon opératif. Actuellement, ce domaine n’a pas les moyens de donner satisfaction. La mise hors service des Mirage utilisés pour l’exploration n’a pas été compensée. Il est nécessaire d’agir rapidement et d’aboutir à des mesures concrètes, encore avant la montée en puissance. Trop de choses dépendent d’une exploration performante.


Nous devons malheureusement, en raison de moyens financiers réduits, nous accommoder d’une capacité de feu opératif conditionnelle menée à partir de l’espace aérien. Le savoir-faire de quelques pilotes polyvalents n’est pas une compensation, mais sert seulement à ne pas perdre totalement pied.


La défense aérienne a, elle aussi, plutôt le caractère d’un noyau de montée en puissance en ce moment. Un début d’efficacité crédible est garanti avec les 33 F/A-18 dont la modernisation est en cours. La durée de vie des composants de vol n’est en revanche pas assurée. Les composants au sol, la défense contre avions, dans la diversité des armes qu’elle comporte et avec les moyens qui sont les siens, demeure, en comparaison internationale, à un bon niveau à basse altitude. En revanche, à moyenne et haute altitude, ses moyens ne lui permettent pas de défendre l’espace aérien.


Un important retard doit être comblé dans les Forces aériennes pendant l’étape de développement 2008-2011 et au-delà aussi. La priorité absolue doit être donnée au projet de remplacement du Tiger F-5 qui, s’il peut certes encore voler, ne correspond plus aux exigences que l’on attend d’un système de combat. Finalement, il en va de notre crédibilité. Les illusions sont dangereuses, c’est bien connu.


Augmentation des capacités au service de la promotion de la paix


En mai 2005, le Conseil fédéral a également décidé d’augmenter l’état de préparation de l’armée pour des participations à des missions de soutien à la paix. Dans la discussion qui a suivi, cette information a été quelque peu oubliée. La capacité de l’armée pour des engagements de soutien à la paix à l’étranger doit être augmentée ces prochaines années pour atteindre environ cinq cents militaires. Sur la scène internationale, si les milieux politiques donnent toujours leur accord à de tels engagements, l’armée suisse veut aussi être prête à les assumer. A partir de 2008, elle compte pouvoir engager en bloc dans un secteur un bataillon ad hoc ou simultanément deux compagnies renforcées, dans des lieux différents, ce en permanence et sur une période prolongée.


Le gros de l’armée ne change pas, ni dans ses missions, ni dans sa composition. Un nombre approprié d’états-majors de brigade est maintenu, tout comme les quatre régions territoriales directement subordonnées aux Forces terrestres. Un point, décidé avant l’étape de développement, est la fusion des deux formations d’application de l’artillerie et des blindés en une formation d’application des troupes de combat qui inclut aussi les sapeurs de chars.


Les valeurs de référence restent en vigueur. L’armée suisse est et reste une armée de milice, aussi avec l’étape de développement 2008-2011. Elle se fonde sur l’obligation générale de servir. Ces principes sont inscrits dans la Constitution.


L’armée, aussi bien les militaires de milice que le personnel professionnel, se verra, une fois de plus, confrontée à de nombreuses exigences. Jusqu’ici, elle a toujours été à la hauteur. Elle poursuit son développement, car elle ne peut pas rester les bras croisés, quand la réalité change autour d’elle. C’est une situation inconfortable, difficile aussi pour beaucoup d’entre nous, mais l’évolution est inéluctable. Néanmoins, n’exagérons pas et restons réalistes. La période de développement 2008-2011 n’est ni une révolution, ni la réforme de la réforme, pas plus qu’un drame, mais une adaptation dans le cadre des valeurs de référence, connues dans l’intervalle et bientôt familières.


Le soldat qui monte la garde devant l’entrée d’un consulat, le logisticien de la Swisscoy au Kosovo, le médecin militaire en Afghanistan, le soldat d’infanterie qui protège une centrale de commandes d’un attentat, le pilote d’un F/A-18 qui s’entraîne à voler de nuit, au-dessus de la Norvège, tous ces militaires contribuent par leur engagement à la défense moderne du pays, aussi bien que le soldat de char et que le canonnier d’artillerie qui entraînent, sur la place de tir, leur aptitude au combat interarmes. Il n’y a pas de missions de seconde zone. Il n’y a que des missions. Il n’y a qu’une armée, une armée de premier plan.


C.K.

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Ecrit par le Cdt C Christophe Keckeis, chef de l’armée Les cinq scénarios décrits dans cet article sont source de réflexion si l’on se penche sur la question: que pourrait-il arriver? Et implicitement: quelles sont les aptitudes que l’armée doit développer afin d’être à la hauteur, non pas en cas de guerre seulement, mais si les conditions de sécurité en Suisse venaient à se détériorer massivement ? Nous avons beaucoup de peine à imaginer que cela puisse arriver. Probablement parce que nous savons inconsciemment que la sécurité ne peut être préservée que moyennant de grands changements dans notre mode de vie. Le cours habituel de vie publique et économique en Suisse n’est pas menacé pour l’instant, pas plus que l’ordre intérieur. Mais l’espoir seul que la situation reste ainsi n’est pas raisonnable du point de vue de la politique de sécurité. Éviter le sujet? Le passer sous silence? Non plus. Si l’on veut s’y préparer, il faut aussi aborder les choses désagréables. Les scénarios qui vont être évoqués sont un mélange de réalité et de fiction. A leur lecture, il ne faut tirer aucunes conclusions, ni géographiques, ni politiques, sur leur probabilité de survenance. Scénario 1: Grand niveau d’insécurité pendant une période prolongée En soi une situation normale en Suisse, pareille à aujourd’hui. À Zurich, Baden, Bâle, Berne et Lausanne, l’atmosphère est tendue, voire franchement hostile, en raison de fermetures d’entreprises effectives ou annoncées et de délocalisations à l’étranger. En matière de sécurité, le WEF est devenu de la routine, comme les engagements subsidiaires d’ailleurs. Que la routine porte en elle le germe du danger est bien connu. De graves intempéries en Valais, presque toutes les vallées au sud du Rhône sont coupées du monde. Une conférence internationale à Genève sur les droits de l’homme et le droit international des conflits armés avec la participation de chefs d’État et de gouvernement importants est annoncée et préparée de longue date; il n’est plus possible de reculer sans perdre la face. Pas plus que d’annuler le match de football opposant Israël aux Émirats arabes unis, qui doit se dérouler dans deux semaines. C’est délibérément que la FIFA a décidé que le match se jouerait en Suisse. Le Stade de Suisse sera placé sous haute surveillance. Une fois de plus, les deux corps de police bernois seront privés de vacances et de jours de compensation. En représailles, vraisemblablement, à une action militaire israélienne de grande envergure menée dans une colonie palestinienne de Cisjordanie, on assiste à des incendies criminels de synagogues à Zurich et à Lausanne. Nos services de renseignement sont en possession d’informations crédibles selon lesquelles un groupe, inconnu jusqu’ici, menace d’abattre des avions américains et israéliens au décollage de Zurich ou de Bâle avec des lance-roquettes portatifs achetés au marché noir. Situation normale ou situation particulière? L’accumulation d’événements isolés ne sollicite pas seulement les autorités locales et cantonales. Le Gouvernement fédéral est aussi mis à contribution, c’est certain. Les processus et les modes de fonctionnement habituels sont-ils suffisants? Est-ce que l’approche classique de subsidiarité ne devrait pas être complétée par une approche stratégique de la Confédération? Ou bien allons-nous en rester simplement à la gestion des moyens traditionnels? Qu’en est-il de la conduite des opérations? Où en est-on au plan de l’intégration des États voisins dans un dispositif de sécurité supranational? Des engagements subsidiaires de sûreté comme du provisoire qui dure? Est-ce que les troupes suffisent selon le plan des services ou faut-il faire appel à des corps de troupe? Est-ce un service d’appui ou déjà un service actif? Peut-on faire des distinctions selon les régions ou est-ce que la tâche n’en serait rendue que plus compliquée? Des questions qui en appellent d’autres et auxquelles il convient d’apporter des réponses. L’une des réponses possibles de la Confédération serait: sûreté du secteur désigné par l’armée, en collaboration avec des forces d’intervention civiles, avec une structure de commandement militaro-civile spécialement désignée et soigneusement sélectionnée. Scénario 2: Attaque terroriste imminente En soi une situation normale en Suisse, pareille à aujourd’hui. Si ce n’est, depuis quelque temps, une guerre des clans qui fait rage entre deux groupes criminels avec plusieurs morts à Zurich et à Bâle. Sinon, rien à signaler. Contrairement au Nord de l’Italie qui est secoué depuis un certain temps par une série d’attentats sporadiques à l’explosif. Impossible jusqu’ici de déterminer le type de cibles visées. Une fois ce sont des terrasses de cafés animées, une autre fois des installations d’infrastructures, mais aussi des monuments historiques du Moyen Age ou de la Renaissance. Aucun coupable n’a pu être arrêté pour l’instant et la police a perdu leur trace. Que ces événements aient un lien avec la reprise du commandement de la FIAS par l’Italie n’est pour l’instant rien d’autre qu’une spéculation qui a la vie dure. Un sentiment d’insécurité et la colère se répandent face à l’inaction des autorités. Les médias se sont emparés de l’affaire. C’est dans ce climat tendu que se produit soudain l’attaque la plus violente jamais enregistrée. Deux camions-citernes remplis d’un explosif d’un nouveau type explosent à un point de rétrécissement stratégique sur l’autoroute entre Gènes et Milan. La voûte d’un tunnel se brise, un pont est lourdement endommagé, des éléments s’en détachent et viennent s’écraser sur la voie de chemin de fer en contrebas. Les secours sont arrivés très vite sur les lieux, mais ils n’ont pas pu faire grand-chose. Plusieurs sauveteurs se sont plaints d’un sentiment de malaise et de troubles de la vision sur le lieu d’intervention. Les habitants des lotissements avoisinants ont, eux aussi, ressentis les mêmes symptômes. La zone sinistrée a été immédiatement évacuée et barrée sur un large périmètre. Le préfet a décrété l’état d’urgence. On attend sous peu des informations du ministère de l’Intérieur… Un engagement de sûreté sectoriel préventif le long de la transversale Nord-Sud est l’une des mesures préventives envisageables dans ce cas. L’alternative – voir venir, renforcer quelque peu les activités de patrouille des polices cantonales le long de l’A2 – pourrait coûter très cher à la Suisse. Le Conseil fédéral détermine la stratégie, met sur pied un contingent de troupe, raisonnable mais néanmoins impressionnant. L’engagement est limité provisoirement à six mois. Des bases légales spécifiques sont en préparation. Scénario 3: Attaques aériennes Le Conseil de sécurité de l'ONU a pris la décision de ne pas regarder plus longtemps sans agir la situation dramatique qui prévaut dans l’ouest du Soudan. L’ONU va intervenir en force, en mettant elle-même sur pied une mission militaire UNDARF (ONU-Darfour). UNDARF a pour tâche de séparer les nombreuses parties en conflit, d'imposer un cessez-le-feu, de protéger la population locale et d'appuyer les organisations d'aide humanitaire sur place. Les troupes mobilisées se composent de soldats africains, européens et nord-américains. La Suisse met à disposition une douzaine d'observateurs militaires et un détachement aérien avec trois avions de type Porter. Un avion de transport, un Hercules C-130 de l’US Air Force arborant les couleurs des Nations unies, s’est crashé au décollage à El M… sur une mosquée, au moment de la prière du vendredi, faisant plus de 80 morts parmi les fidèles. Un message vidéo, retransmis par la chaîne de télévision Al-Jazeera, vient confirmer les menaces d’attentats émises par un groupuscule faisant partie du réseau Al-Qaeda. Elles visent les Etats-Unis et les pays de la coalition UNDARF. De ce fait, l'ONU et ses institutions ainsi que les organisations apparentées sont désormais les premières cibles. Le Conseil fédéral a ordonné, il y a quelque temps déjà, un renforcement de la surveillance dans le périmètre des bâtiments de l'ONU à Genève. L'espace aérien au-dessus de Genève a été soumis à restrictions, il est surveillé et sécurisé en permanence par les Forces aériennes, en collaboration avec l'armée de l'Air française. Il est 18 heures. Un jet privé est en phase d’approche, en provenance du Sud-Est à une altitude de 11000 mètres. Il y a quelques minutes encore, l’appareil obéissait aux règles de la navigation aérienne civile pour survoler notre territoire en direction de Dijon. A peu près à la hauteur du Cervin, l'équipage a coupé le transpondeur, a cessé de répondre aux appels radio des contrôleurs aériens et a entamé une descente rapide. Les vecteurs du radar indiquent Genève ou Lausanne. Quelle est l'intention des pilotes? Qui est à bord et avec quel matériel? Ce scénario pourrait se reproduire avec d’autres avions. Un petit appareil privé, affrété n’importe où en Suisse et qui aurait décollé à destination de Nestlé, de Novartis ou du Palais fédéral. La Suisse doit savoir ce qui se passe dans son espace aérien et le compléter vers l’extérieur dans le secteur directement intéressé. Les Forces aériennes doivent être en mesure à tout moment, 24 heures sur 24, de seconder la sécurité aérienne civile, d'identifier les avions et de les repousser, par la force des armes si nécessaire. On appelle cela le service de police aérienne. Un temps de réaction très court et un nombre d'avions suffisant, car la situation peut prendre une tournure critique en très peu de temps. Avec des conséquences, si l’on fait quelque chose. Avec des conséquences pires encore, si l’on ne fait rien. Scénario 4: Vives inquiétudes dans une grande partie de l'Europe, en raison d'une pandémie Toute l'Europe lutte contre une maladie mortelle, arrivée d'on ne sait où, et ses répercussions socio-économiques. En vain jusqu'ici, bien qu'au début, tout portait à croire que les autorités sanitaires auraient bientôt la situation sous contrôle, grâce à une mobilisation remarquable, dans le pays et à l'étranger. Une deuxième vague nous a touchés de plein fouet il y a quelques semaines. Les quelque 25000 victimes de la grippe lors de l'épidémie de 1918 ne sont rien en comparaison de ce qui nous attend aujourd’hui. La peur s’empare de la population. Des bruits alarmistes au sujet d’une distribution sélective des médicaments, à certains groupes de personnes seulement, renforcent encore le sentiment de peur. Le plan, diffusé par les médias, qui prévoit de mettre en quarantaine, dans les Alpes, les gens touchés par la maladie, soulève des vagues de protestations. Entre-temps, près d’une personne sur six est contaminée. Tous les secteurs de l'économie et de la vie publique sont affectés. Le Gouvernement a restreint la liberté de réunion et interdit toutes les manifestations sportives d'envergure. La peur, l’impuissance et la colère augmentent dans les mêmes proportions. Les pharmacies doivent être protégées des pillards et… La police est en permanence sur la brèche. Depuis des semaines, elle fait ce qu'elle peut dans ce climat extrêmement tendu. Que va-t-il arriver si la situation s'envenime? L'État doit être en mesure de maîtriser de tels événements, de rétablir l’ordre public et d'endiguer les actes de violence. Si les mesures prises ne suffisent pas, il faut placer le secteur sous contrôle et le stabiliser. Se contenter de monter la garde et de protéger n’est plus suffisant dans ces conditions. Les foyers de troubles doivent être recherchés activement et maîtrisés. La police et l'armée sont sollicitées à l'identique. La situation dramatique de Genève ne doit pas se répéter. Le souvenir de ces événements ne doit pas être ressenti comme un échec qui nous empêcherait, demain, de maîtriser une situation extrêmement difficile. Scénario 5: Des Suisses attendent de l'aide En Côte d'Ivoire, le drame de 2004 se répète, mais dans des circonstances quelque peu différentes. La France, parce que fortement engagée ailleurs, n'est pas en mesure de stabiliser la capitale, la route qui mène à l'aéroport et l'aéroport lui-même, rendant de ce fait impossible le rapatriement de nombreux Européens en danger de mort, parmi lesquels plusieurs centaines de Suisses. Il manque aussi des capacités de transport. Les hélicoptères sont condamnés à rester sur les porte-avions qui croisent le long de la côte en attendant que les conditions météo s'améliorent. Dans cette situation, la France propose à la Suisse d'intégrer un contingent suisse dans la troupe de protection internationale actuellement mise à rude épreuve, de plus, elle lui demande de participer à la mise en place du pont aérien en cours de réalisation. Le Gouvernement de notre pays sollicite l’aide de la compagnie Swiss, mais cette dernière refuse, arguant que les Airbus ne peuvent atterrir sur la piste endommagée, devenue trop courte… Jusqu'à aujourd'hui, nous avons toujours eu la chance de pouvoir compter sur les autres. Mais qu'adviendrait-il, s’ils nous demandaient de participer autrement que par des aides financières? Serait-ce là une demande si étrange? Laisserions-nous simplement la colonie suisse à son destin, nous qui sommes si fiers de nos Suisses de l'étranger? Le Gouvernement va-t-il décider de faire appel aux troupes nouvellement constituées et spécialement sélectionnées et formées à ce type d’engagement? Ce qui change et pourquoi L'armée doit contribuer à trouver des solutions aux tâches de sécurité actuelles et prévisibles. La situation et les tendances qui se dessinent vont dans le sens d’un besoin accru en forces de protection. À la suite des décisions USIS prises par le Conseil fédéral, l'armée doit se préparer à des engagements subsidiaires de sûreté sur une longue période. D’ailleurs, on verra bientôt de plus en plus de militaires en service long être formés à ce type d’engagements. L'armée doit aussi se préparer à fournir une sûreté subsidiaire permanente et efficace sur une longue durée, pour des secteurs complets ou des régions entières du pays. Dans le même temps, il incombe aussi à l’armée de maintenir et de développer son aptitude en tant qu’instrument de combat à part entière, pour le cas très improbable d’un retour à une confrontation militaire classique en Europe. À cet effet, nous avons besoin d'un noyau dur de forces de défense (la défense au sens strict du terme) qui soit prêt à transmettre ses connaissances et son savoir-faire dans le domaine du combat interarmes aux nouvelles forces qui devront les appliquer par la suite. Ce noyau doit pouvoir se concentrer sur sa tâche première. Pour toutes ces raisons, l'armée est, une nouvelle fois, contrainte de s'adapter, de manière plus rapide et plus anticipée qu'on ne le pensait. Au plan mental, structurel et matériel, l'armée était naguère presque essentiellement concentrée sur la pire éventualité, à savoir la conduite de la guerre contre un adversaire militaire. C'était juste, à l'époque. Les deux autres missions que sont le soutien aux autorités civiles et les engagements en faveur de la promotion de la paix étaient réduites, pour ainsi dire, à la portion congrue. Parce que l'armée existait, elle a été engagée pour les deux autres missions, puisqu'il n'y avait, pendant tout ce temps, aucune grande guerre militaire sur le territoire. Dans le nouveau processus de réflexion, l’armée fonctionne selon le principe des engagements prévisibles probables. Optimisation de l'armée L'armée se développe selon le principe d’une organisation qui s’adapte en permanence. Une adaptation flexible aux nouvelles donnes et aux nouvelles conditions, c'est là le fondement même de l'Armée XXI. L’étape de développement pour la période 2008 à 2011 n’est pas la réforme de la réforme. La mission d'engagement de sûreté sectoriel ne vit plus dans l'ombre de la défense. La sûreté sectorielle a certes, au plan de l'exécution technique, de nombreux points communs avec la défense, mais elle peut aussi être totalement séparée d'une attaque militaire qui se déroulerait ultérieurement, si nécessaire. La sûreté sectorielle exige des aptitudes particulières qui ne peuvent s’acquérir, en raison de nos périodes d’instruction extrêmement courtes, que par une répartition des tâches. Aussi bien le combat interarmes que la sûreté sectorielle sont des missions difficiles et complexes; la troupe a le droit d'y être préparée de façon optimale. Le reproche qui leur est fait, d’être des missions secondaires, n’est pas justifié. Toutes les missions de l’armée sont d’égale importance. Le noyau dur des forces de sûreté: la nouvelle infanterie.- Elle doit être apte à protéger de manière proportionnée, efficace et sérieuse dans toutes les situations très exigeantes, en deçà du seuil infraguerrier proprement dit. Il ne s'agit pas d'un service d’aide à la police. Il s'agit de bien plus, à savoir de la protection d’ouvrages, de la sécurité d'infrastructures et d’axes critiques, de la surveillance, du maintien de la praticabilité, de contrôles, de recherches et de perquisitions, également, suivant la situation, de neutralisation. Des activités exigeantes, quand ce que l’on veut protéger ne doit pas être affecté par notre intervention. Le noyau dur des forces de défense : les formations mécanisées.- Les chars et les grenadiers de chars, y compris l’artillerie et le génie. Petites par la taille mais grandes par la qualité, ces formations doivent être aptes à maintenir les connaissances et le savoir-faire du combat interarmes au sol, à les développer et, le cas échéant, à les transmettre. Là aussi, il s’agit d’une tâche difficile, en temps de paix, quand beaucoup la considèrent comme superflue. Encore une chose: la possibilité doit être donnée à des éléments du noyau de montée en puissance de pouvoir aller s’entraîner à l’étranger, comme le font les Forces aériennes, pas seulement pour des raisons de place, mais parce qu’il est utile de temps à autre de pouvoir se mesurer à autrui. Dans l’isolement, le noyau de montée en puissance risque de s’affaiblir. La question des Forces aériennes Les Forces aériennes sont dans l’ensemble exclues de l’étape de développement 2008-2011. Elles doivent continuer à s’adapter aux changements, mais pas dans leurs fondements. Aujourd’hui déjà, les Forces aériennes ne sont plus considérées comme un noyau de montée en puissance dans le domaine de la guerre aérienne. Même plus cela! Beaucoup d’éléments font défaut. Le combat terrestre et l’exploration s’affaiblissent, la défense aérienne n’est efficace que jusqu’à moyenne altitude. La mission présente et future la plus importante des Forces aériennes est la préservation de la souveraineté de l’espace aérien et la protection de l’espace aérien suisse. La souveraineté dans la troisième dimension doit être rendue visible de tout un chacun et, si nécessaire, imposée. Une surveillance permanente de l’espace aérien ne suffit pas. Il faut pouvoir, à peine en quelques minutes, mobiliser les moyens requis pour des interventions dans l’espace aérien, 24 heures sur 24, 365 jours par année. La deuxième mission des Forces aériennes est le transport aérien, garant de la mobilité de l’ensemble de l’armée, notamment dans le domaine de l’appui aux autorités civiles, y compris l’assistance humanitaire et la promotion de la paix. L’importance et la valeur de tels engagements ont été largement démontrées lors des événements qui se sont produits en Suisse et à l’étranger en 2005. La troisième mission est un travail d’exploration avec différents capteurs permettant de se faire une image de la situation, donc de prendre des décisions à l’échelon opératif. Actuellement, ce domaine n’a pas les moyens de donner satisfaction. La mise hors service des Mirage utilisés pour l’exploration n’a pas été compensée. Il est nécessaire d’agir rapidement et d’aboutir à des mesures concrètes, encore avant la montée en puissance. Trop de choses dépendent d’une exploration performante. Nous devons malheureusement, en raison de moyens financiers réduits, nous accommoder d’une capacité de feu opératif conditionnelle menée à partir de l’espace aérien. Le savoir-faire de quelques pilotes polyvalents n’est pas une compensation, mais sert seulement à ne pas perdre totalement pied. La défense aérienne a, elle aussi, plutôt le caractère d’un noyau de montée en puissance en ce moment. Un début d’efficacité crédible est garanti avec les 33 F/A-18 dont la modernisation est en cours. La durée de vie des composants de vol n’est en revanche pas assurée. Les composants au sol, la défense contre avions, dans la diversité des armes qu’elle comporte et avec les moyens qui sont les siens, demeure, en comparaison internationale, à un bon niveau à basse altitude. En revanche, à moyenne et haute altitude, ses moyens ne lui permettent pas de défendre l’espace aérien. Un important retard doit être comblé dans les Forces aériennes pendant l’étape de développement 2008-2011 et au-delà aussi. La priorité absolue doit être donnée au projet de remplacement du Tiger F-5 qui, s’il peut certes encore voler, ne correspond plus aux exigences que l’on attend d’un système de combat. Finalement, il en va de notre crédibilité. Les illusions sont dangereuses, c’est bien connu. Augmentation des capacités au service de la promotion de la paix En mai 2005, le Conseil fédéral a également décidé d’augmenter l’état de préparation de l’armée pour des participations à des missions de soutien à la paix. Dans la discussion qui a suivi, cette information a été quelque peu oubliée. La capacité de l’armée pour des engagements de soutien à la paix à l’étranger doit être augmentée ces prochaines années pour atteindre environ cinq cents militaires. Sur la scène internationale, si les milieux politiques donnent toujours leur accord à de tels engagements, l’armée suisse veut aussi être prête à les assumer. A partir de 2008, elle compte pouvoir engager en bloc dans un secteur un bataillon ad hoc ou simultanément deux compagnies renforcées, dans des lieux différents, ce en permanence et sur une période prolongée. Le gros de l’armée ne change pas, ni dans ses missions, ni dans sa composition. Un nombre approprié d’états-majors de brigade est maintenu, tout comme les quatre régions territoriales directement subordonnées aux Forces terrestres. Un point, décidé avant l’étape de développement, est la fusion des deux formations d’application de l’artillerie et des blindés en une formation d’application des troupes de combat qui inclut aussi les sapeurs de chars. Les valeurs de référence restent en vigueur. L’armée suisse est et reste une armée de milice, aussi avec l’étape de développement 2008-2011. Elle se fonde sur l’obligation générale de servir. Ces principes sont inscrits dans la Constitution. L’armée, aussi bien les militaires de milice que le personnel professionnel, se verra, une fois de plus, confrontée à de nombreuses exigences. Jusqu’ici, elle a toujours été à la hauteur. Elle poursuit son développement, car elle ne peut pas rester les bras croisés, quand la réalité change autour d’elle. C’est une situation inconfortable, difficile aussi pour beaucoup d’entre nous, mais l’évolution est inéluctable. Néanmoins, n’exagérons pas et restons réalistes. La période de développement 2008-2011 n’est ni une révolution, ni la réforme de la réforme, pas plus qu’un drame, mais une adaptation dans le cadre des valeurs de référence, connues dans l’intervalle et bientôt familières. Le soldat qui monte la garde devant l’entrée d’un consulat, le logisticien de la Swisscoy au Kosovo, le médecin militaire en Afghanistan, le soldat d’infanterie qui protège une centrale de commandes d’un attentat, le pilote d’un F/A-18 qui s’entraîne à voler de nuit, au-dessus de la Norvège, tous ces militaires contribuent par leur engagement à la défense moderne du pays, aussi bien que le soldat de char et que le canonnier d’artillerie qui entraînent, sur la place de tir, leur aptitude au combat interarmes. Il n’y a pas de missions de seconde zone. Il n’y a que des missions. Il n’y a qu’une armée, une armée de premier plan. C.K.
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