LOI SUR LES MPT
L’AMBIVALENCE POPULAIRE, ENTRE SECURITE ET LIBERTES
Maj Patrick Mayer, responsable des questions de politique de sécurité
Société Suisse des Officiers
Il faut remettre la loi sur laquelle le peuple est amenée à s’exprimer le 13 juin prochain, à savoir la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT), dans son contexte. Nous nous référons au sondage mené annuellement sur des thèmes variés par le Center for Security Studies de l’EPFZ.
En 2016, 87% des sondés approuvaient un renforcement de la lutte contre le terrorisme. Le chiffre passe à 89% en 2018. Selon 64 % des sondés, « le terrorisme devrait être combattu avec tous les moyens dont nous disposons, même si cela doit entraîner certaines restrictions des libertés personnelles ». 62 % estiment en effet que « des mesures de sécurité renforcées peuvent empêcher des attentats ».
On approche ici du fondement populaire en faveur de la loi sur les MPT.
Toutefois, du même sondage, il ressort de 55% : «si je devais choisir, ma liberté individuelle serait pour moi plus importante que ma sécurité personnelle».
On approche ici du fondement populaire contre les MPT.
Les sondés accordent en fait une importance comparable à la liberté et à la sécurité, sauf dans un contexte de menace terroriste accrue. Les Suisses attachent par ailleurs la même importance aux mesures préventives qu’aux mesures répressives.
A la lumière de ces enseignements, le Conseil fédéral a choisi une stratégie nationale équilibrée de lutte contre le terrorisme, qu’il a adoptée en 2015. Cette stratégie identifie quatre domaines d’action : la prévention, la répression, la protection, la prévention des crises.
Le Conseil fédéral s’emploie depuis 2015, à combler les lacunes du droit et des mesures existantes. Trois volets de nouvelles normes et mesures ont été identifiés, auquel un instrument sert de soutien, la loi sur le renseignement adoptée par le peuple en 2016, qui prévoit que le Service de renseignement de la Confédération intensifie la surveillance, notamment en ce qui concerne l’internet et les moyens de communication électronique.
Les trois volets évoqués sont : la modification du droit pénal et d’autres lois de poursuite pénale, désormais faite ; l’élaboration d’un plan d’action national (PAN) contre la radicalisation et l’extrémisme violent, désormais en cours d’exécution et qui comprend des mesures très concrètes de prévention, puis en bout de course des mesures de réintégration ou de socialisation ; et, enfin des mesures policières de lutte contre le terrorisme. Ce dernier volet complète donc un dispositif entier et cohérent, choisi il y a bientôt six ans.
C’est logiquement qu’une large majorité du parlement (112 voix sur 200 au Conseil national et 33 sur 46 au Conseil des Etats) s’est ralliée à la loi proposée par le Conseil fédéral, ce après avoir accepté les deux premiers volets, et en avoir assuré le financement, ainsi qu’après avoir pris acte du soutien populaire à la loi sur le renseignement. Le parlement a été sensible aux faits exposés par le Conseil fédéral, à savoir que les instruments qui sont aujourd’hui à disposition des autorités de sécurité concernent surtout les ressortissants étrangers, comme l’interdiction d’entrée sur le territoire suisse ou l’expulsion de Suisse. S’agissant des ressortissants suisses, et des autres, les instruments disponibles durant la phase d’investigation par l’Office fédéral de la police (fedpol) avant l’ouverture d’une instruction pénale sont trop limités.
La nouvelle loi permet à la police d’agir plus tôt, et donc à titre préventif, lorsque des indices concrets et actuels laissent penser qu’une personne représente une menace terroriste. À la demande d’un canton, du SRC ou d’une commune, fedpol peut obliger un terroriste potentiel à participer à des entretiens ; à ne pas entretenir certains contacts ; à ne pas quitter le territoire suisse ; à se présenter régulièrement aux autorités ; à ne pas se rendre en un lieu déterminé ou à ne pas quitter un lieu déterminé, à rester à résidence, ce qui est la mesure la plus contraignante envisagée. Cette mesure doit être approuvée par le tribunal des mesures de contrainte.
Au parlement, l’opposition aux MPT a été menée par la gauche, ralliée par les Verts Libéraux. Elle repose désormais sur un front plus large, comprenant notamment des Jeunesses de certains partis très sensibles au risque de restriction des libertés individuelles et « digitales », des associations de juristes et avocats (y compris, à Genève, l’Ordre des Avocats), ainsi que des milieux sensibles au droit humanitaire.
Cette opposition relève que des mesures coercitives pourraient déjà être ordonnées à l’encontre de mineurs dès l’âge de 12 ans et une assignation à résidence dès l’âge de 15 ans. La loi violerait donc la Convention relative aux droits de l’enfant. La loi installerait une présomption de dangerosité à la place de la présomption d’innocence. Les mesures prévues par la loi, à l’exception de l’assignation à résidence, n’étant pas ordonnées par un tribunal, elle porterait atteinte gravement au principe cardinal de séparation des pouvoirs.
Finalement, pour être considéré comme un terroriste selon cette loi, il n’y aurait pas besoin de planifier ou d’exécuter un acte criminel. Il suffirait d’estimer que quelqu’un propage la crainte ou menace l’ordre public. Cette loi violerait la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Quel beau débat démocratique, fidèle aux valeurs et à la tradition helvétiques, dont nous pouvons être très fiers ! Aux Suissesses et aux Suisses de consacrer qu’il n’y pas de libertés sans sécurité, ou bien que les libertés font par elles-mêmes la sécurité.